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CHAPITRE 1 : Introduction générale

1. Une agriculture moderne en pleine mutation

1. Une agriculture moderne en pleine mutation

1.1.Limites écologiques de l’agriculture intensive

Afin de satisfaire les besoins d'une population planétaire croissante, l'objectif principal de

l'agriculture durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale a été d'augmenter

les rendements agricoles, une forme d'agriculture appelée agriculture intensive. Une étude de

la FAO (Food and Agriculture Organization, 1997) montre ainsi que la production mondiale de

céréales et de plantes à racines alimentaires a doublé entre 1961 et 1996. Ceci a été rendu

possible par toute une série d'innovations dans la sélection variétale et le machinisme agricole

et par l'augmentation du commerce international de denrées alimentaires et de la concentration

des terres, et productions agricoles. Mais il a aussi été rendu possible par l'utilisation d'agents

chimiques de protection et de fertilisation des cultures. Par exemple, l'augmentation de la

production agricole entre 1961 et 1996 a été accompagnée d’une multiplication des fertilisations

azotée et phosphatée de 6.87 et 3.48 fois, respectivement (Tilman 1999, Food and Agriculture

Organization, 1997).

Même si le succès de l'agriculture intensive de la deuxième moitié du XX

ème

siècle est

indéniable en termes de baisse des prix des denrées alimentaires et du nombre d'humains

souffrant de malnutrition, ses effets délétères sur la santé des sols, des écosystèmes et des

humains sont devenus clairs au tournant du siècle. La durabilité d'une telle pratique agricole a

ainsi été remise en cause avec la mise en place de nombreux plans de réduction des usages de

pesticides organiques de synthèse comme le plan Ecophyto 2018 en France adopté fin 2007

suite au Grenelle de l'environnement. Même si l'objectif initial de réduction d'un facteur deux

des substances les plus toxiques ne sera pas atteint, une première baisse de 2.7% du nombre de

doses unité a été observée sur 2014-2015 et l'approche sera poursuivie avec le plan Ecophyto

2. La situation est plus complexe du côté des engrais car ils sont issus de denrées pétrolières

(nécessaires à la minéralisation de l'azote atmosphérique) et géologiques (polyphosphate) en

quantités limitées et leur échappement des champs est la source de dérèglements écologiques à

large échelle (Townsend et al. 2003) (Figure 1.1). Dans le cas des engrais azotés, si leur

utilisation augmente les rendements agricoles, ils perdent en efficacité à forte dose où ils

commencent par contre à poser des problèmes de santé publique (Figure 1.1). Dans les années

2000, l’objectif de nombreuses études a donc été d’appréhender la relation entre rendement et

fertilisation afin d’optimiser l’efficacité d’utilisation de l’azote (NUE : nutrient use efficiency)

en tant qu’engrais (Sadras et Lemaire 2014 ; Bodirsky et Müller 2014). Malgré les différents

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azotés et, encore aujourd’hui, la NUE n’avoisine que 50% (Bodirsky et al. 2012). L'usage

d'engrais azotés d’origine minérale continue ainsi à contribuer à la pollution des sols et de l’eau

notamment par lixiviation des nitrates. La capacité d’assimilation de l’azote par une culture

dépend de nombreux facteurs tels que le type de culture, son âge, le climat, la texture et la

structure du sol (Cassman et al. 1998). Le cycle biogéochimique de l'azote étant lui aussi

complexe et lié à la vie microbiologique des sols et au climat, il est difficile pour les

coopératives agricoles d’assurer chaque année des rendements optimums avec le minimum

d'engrais nécessaire (Weinbaum et al. 1992). Une gestion optimisée nommée agriculture

raisonnée a cependant permis de conserver des rendements optimums avec des excès de

fertilisation conservés à leur minimum tout comme l'usage des pesticides.

Même si l'augmentation des connaissances scientifiques laisse envisager une diminution

graduelle de l'usage des pesticides de synthèse et des engrais minéraux dans les décennies à

Figure 1.1 : Modèle conceptuel de l’impact d’une fixation et d’une utilisation du diazote

atmosphérique croissante par l’Homme sur la santé publique globale (d’après Townsend et al.

2003)

Parallèlement à l’augmentation de la fixation du diazote atmosphérique réalisé par l’Homme,

des effets positifs de l’azote sur la croissance végétale, la production alimentaire, et sur la

nutrition globale ont été mis en évidence. Ceux-ci sont importants à de faibles doses d'azote et

tendent à saturer. Inversement, les effets sur la santé humaine sont d'autant plus délétères que

l'usage de l'azote est augmenté. Un optimum théorique existe donc pour la santé humaine.

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venir, l'augmentation de la contestation des agriculteurs et du suicide dans leur profession

indique que l'agriculture raisonnée ne pourra pas résoudre toutes les difficultés générées par

l'intensification de l'agriculture. Les causes du malaise sont multiples. Le développement d'une

agriculture circulaire, la valorisation non-alimentaire des denrées agricoles et des négociations

avec les distributeurs et l'état sont autant de leviers utilisés pour soutenir le revenu des

agriculteurs. Mais ces actions ne résolvent pas le clivage croissant entre citadins et ruraux. Ces

derniers sont de plus en plus mis au banc des nouvelles technologies et de la culture. Le lien

des nouveaux citadins avec le monde rural est de plus en plus fin. Ceux-ci développent des

souhaits alimentaires nouveaux pour, par exemple, l'agriculture biologique, l’alimentation

végétarienne et végan, ou les fermes urbaines. Bien que pour l'instant aucune de ces pratiques

agricoles n'ait fait la preuve de sa capacité à nourrir une large population, la position des citadins

en tant que client et leur nombre toujours croissant leur permet d'imposer leurs souhaits. Le fait

que ces décisions se prennent sans concertation avec les producteurs laisse les organisations

agricoles amères. Contrairement à la plupart des consommateurs citadins, elles ont conscience

des recommandations des Nations Unies pour un doublement de la production agricole

mondiale d'ici 2050 afin de satisfaire l'augmentation prédite de population (United Nation

2009). Elles voient également que si seulement 3% des surfaces du globe sont cultivables, elles

sont en constante régression du fait de l'expansion des banlieues autour des centres urbains.

Finalement, mieux que quiconque, elles perçoivent les effets délétères des changements

climatiques avec des baisses des fois importantes de rendement comme de 30% sur le raisin et

35% sur les pommes cette année en France. Tout ceci incitait le responsable de la FNSEA,

Xavier Beulin, de titrer son dernier ouvrage par la phrase choc 'Notre agriculture est en danger'

(Beulin 2017).

1.2.L'agriculture écologiquement intensive

Afin de répondre aux enjeux sociétaux et techniques, une des voies en cours d'exploration,

notamment en France, est celle de l'agriculture écologiquement intensive (Griffon 2013). Cette

approche agroécologique qui se situe à l'échelle du paysage est basée sur la biodiversité. Elle

vise à conserver les rendements actuels tout en réduisant la consommation d'énergie, de

pesticides et d'engrais en conséquence d'une augmentation de la fertilité des sols et des services

écosystémiques rendus (Figure 1.2). Alors qu’en conditions contrôlées, l’augmentation du

rendement peut être apportée par une intensité lumineuse plus importante, une photopériode

optimisée, l'usage de températures spécifiques à l’espèce végétale ou une bonne disponibilité

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agroécologie a été utilisé pour la première fois en 1928 par Basil Bensin (Wezel et al. 2014)

(Figure 1.2). La discipline quitte le domaine de la recherche dans les années 80-90 pour devenir

un mouvement agronomique d'importance notamment en Amérique latine où elle s'oppose à

l'agriculture verte et productiviste jugée incapable de sortir les paysans de la misère. Ceci a

conduit Miguel Altieri, professeur à l’université de Californie (Berkeley, USA) de définir

l'agroécologie comme ‘la gestion des ressources naturelles au bénéfice des plus démunis,

confrontés à un environnement défavorable’ (Altieri 2002). La discipline s'est ensuite étendue

de la ferme aux paysages et pratiques agricoles. Elle fait désormais appel à des notions issues

de l'agronomie et des sciences humaines et elle est maintenant pratiquée dans les pays

développés pour être définie depuis 2003 comme 'écologie des systèmes alimentaires' (Francis

et al. 2003).

Figure 1.2 : Utilisations potentielles des pratiques agroécologiques dans les prochaines

décennies et relation avec leur intégration dans l’agriculture actuelle (d’après Wezel et al.

2014).

La plupart des pratiques sont encore très peu intégrées dans l’agriculture actuelle avec un

potentiel d’intégration dans un futur proche assez faible ou moyen. A l’inverse, la fertilisation

organique, un travail du sol réduit, une irrigation au goutte à goutte, une lutte biologique contre

les maladies, un meilleur choix du cultivar et une division de la fertilisation sont déjà

moyennement ou fortement intégré et ont un fort potentiel pour le futur.