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Une adhésion relative à la stratégie d’action unitaire

Si les réponses qui ont été les plus sélectionnées méritent une attention particulière, celles qui ont été délaissées également. De ce point de vue, il est frappant de constater que l’enjeu de « favoriser la recomposition syndicale » arrive en avant-dernière position, juste après l’objectif de « favoriser une plus forte participation des femmes dans le syndicat », dans les réponses des délégués au Congrès de Solidaires, mais aussi dans celles des délégués de SUD Rail et de SUD Santé Sociaux (Cf. graphique n°17).

Une telle hiérarchie des choix tend à montrer que ni Solidaires ni ses organisations membres ne sont appréhendées par ceux qui y militent comme des structures transitoires, destinées à disparaître dans un contexte de recomposition d’ensemble du mouvement syndical. Les enjeux mis en avant - comme l’élargissement des implantations dans le privé -

découlent, au contraire, d’une réflexion sur les conditions de renforcement de l’organisation comme acteur central dans le syndicalisme français. Cette dernière conception semble, de plus, être transmise via à ceux qui rejoignent l’organisation puisque les délégués ayant le moins d’ancienneté au sein de Solidaires sont encore moins nombreux que ceux ayant une ancienneté plus importante à percevoir la recomposition syndicale comme un enjeu prioritaire (Cf. graphique n°18).

Les délégués des différents congrès ont été sondés plus directement sur leur perception des enjeux autour de la stratégie unitaire dans les mobilisations. Une telle question ne peut être détachée du contexte dans laquelle elle a été posée, soit l’année 2008 pour les délégués de Solidaires et l’année 2009, marquée par un échec relatif de la démarche unitaire lancée au niveau national par l’intersyndicale, pour les délégués de SUD Santé Sociaux (dont le congrès avait lieu en mai 2009) et ceux de SUD Rail (avec un congrès plus tardif, en octobre 2009). Cette question renvoie également aux expériences des militants dans leur propre champ professionnel et aux relations plus ou moins conflictuelles qu’ils y entretiennent, en particulier avec la CGT. Trois options, relativement contrastées, étaient proposées dans le questionnaire : définir la recherche de l’unité d’action dans les luttes comme une « priorité » pouvant « justifier des concessions », un « moyen stratégique mais difficilement réalisable » et comme une « impasse ». Contrairement à ce que nous avons vu plus haut avec une forte homogénéité dans les réponses, un décalage significatif peut être pointé ici, attestant de divergences et d’expériences fortement contrastés au sein des structures membres de l’union. Quasiment seize points séparent, en effet, les réponses des délégués de Solidaires de celles des militants de SUD Rail sur le fait de concevoir la recherche de l’unité d’action comme un objectif prioritaire (30,3% contre 14,4%) ; à l’inverse les militants de SUD Rail sont 17,6% à estimer que celle-ci constitue une impasse contre 11,1% des délégués présents au congrès de Solidaires.

Il n’est guère surprenant que la variable organisationnelle interfère sur la façon dont l’unité d’action est envisagée. Si l’on reprend la répartition entre trois groupes de structures au sein de Solidaires (Cf. encadré n°4), il apparaît que c’est au sein des organisations qui ont rejoint l’union après 1998 que la part des opinions les plus hostiles à l’idée selon laquelle la « recherche de l’unité d’action dans les luttes » constitue un « objectif prioritaire » pouvant « justifier des concessions » est la plus importante. C’est également dans ce groupe que se trouve le plus fort pourcentage de ceux qui estiment que cette recherche de l’unité peut constituer une « impasse » : soit 17,8% des répondants parmi les délégués membres d’un syndicat ayant rejoint Solidaires après 1998. A l’opposé, plus de 96% des répondants parmi

les délégués membres d’une des trois organisations du groupe des « historiques » (SUD PTT, SUD Rail et le SNUI) rejettent ce terme d’impasse. Un résultat aussi massif, cohérent avec le fait que pour 70% des mêmes répondants l’unité d’action peut être vue comme un objectif prioritaire, renvoie à toute une série d’explications. En premier lieu, une dimension générationnelle intervient peut-être ici : la création des premiers SUD et la transformation du G10 en Solidaires ne peuvent être détachés d’un discours volontariste sur la nécessité de l’unité dans les luttes. Il s’agit d’une prise de position quasi « identitaire » qui s’avère très ancrée dans le discours à la fois des responsables, mais aussi des militants de SUD PTT et du SNUI et dont on peut supposer qu’elle a été transmise à ceux qui ont pris le relais dans l’organisation. En second lieu, les structures qui ont rejoint Solidaires après 1998 sont souvent des petits syndicats d’entreprise, fortement exposés aux attaques d’autres organisations, et ce climat d’hostilité vient probablement renforcer une approche très critique des possibilités concrètes d’une démarche unitaire. Une position assez ambiguë, nourrie par ce contraste entre l’attachement à un principe et la réalité de l’expérience quotidienne, en ressort : si 53,6% des répondants de ce groupe pense que l’unité d’action est quand même un moyen stratégique, bien que difficilement réalisable, 47,4% estiment le contraire. Ce climat d’hostilité marque aussi, bien sûr, le vécu des militants de SUD PTT, de SUD Rail ou du SNUI : mais le fait de militer dans un syndicat majoritaire ou dans l’un des syndicats qui a réussi, en une décennie, à s’imposer comme l’un des plus importants dans l’entreprise, n’a cependant pas les mêmes implications que la résistance menée à partir de positions très minoritaires.

III.4 Un engagement qui s’éprouve : entre logique de la débrouille et