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Des professionnels qui doutent

1. Un statut dévalorisé

Si on prend la tonalité générale des entretiens et les réponses aux questionnaires, on retiendra que la position d’entraîneur apparaît comme relevant d’un statut flou. Les personnes interrogées mettent en avant des réalités multiples du métier, des tâches qui sont trop hétérogènes et des situations disparates : certes tout le monde fait de l’entraînement, mais certains entraîneurs entraînent peu et ont surtout un rôle administratif et de coordination ou d’animation d’équipes, ils sont les managers des groupes, auquel s’ajoute la figure du sélectionneur, l’organisateur des cadres ou de la formation. Cette diversité des tâches fait passer du statut de coach à celui de manager, et éventuellement les oppose. C’est en quelque sorte l’opposition entre, d’un côté, le terrain et le contact direct avec l’athlète, de l’autre la distance et le surplomb.

Et cette hétérogénéité des tâches ou des statuts s’oppose au don de soi nécessaire, reconnu par tous, pour faire ce métier et produit les déceptions dues au manque de reconnaissance et à la perte d'identité à travers cette dispersion : « on n’a pas le temps de tout faire et il faut se concentrer sur les taches d'entraînement, mais on ne peut pas vraiment le faire » (Natation).

1.1 Don de soi et attentes

D’abord la charge de travail : le rythme des entraînements, les déplacements, les charges nées de l’individualisation de l’entraînement, le suivi des athlètes, le travail administratif. C’est la fois l’intensité de la charge de travail et un éparpillement des tâches. D’où le stress et la fatigue dues à la remise en cause constante et à la nécessité d’être aux aguets. La mobilisation permanente introduisent un flou entre vie professionnelle et vie privée, créant un nouveau risque du métier, la crise familiale, car cette occupation constante du temps par la multiplicité des tâches à accomplir met en danger le mariage et les relations avec les enfants.

L’entraînement est vu comme un don de soi, fondé sur la générosité qui ne doit rien attendre en retour : « C'est un milieu où tu donnes et tu ne dois pas attendre le retour. Cela correspond à un engagement et à la reconnaissance d'un engagement : on investit du temps, on monte un centre d'entraînement. C'est du boulot : créer puis structurer une équipe d'entraîneurs, d'encadrement, assurer la stabilité du recrutement. Mais dès qu'on me proposait quelque chose, j'ai toujours répondu présent » (Escrime). Cependant aussi, il existe aussi des attentes d'un retour sur investissement, attentes parfois déçues : les engagements sont trahis, les sacrifices ne sont pas reconnus.

1.2 Charge de travail

La charge de travail est donc liée à la fréquence et à la durée de l'entraînement, plusieurs séances qui représentent de 2 heures à 4 heures par jour, auxquelles on ajoutera la charge liée à l'individualisation de l'entraînement, donc à la démultiplication des séances : « pour moi, être entraîneur, c’est 70 à 90 heures par semaine ! » (Natation). Mais tout ce qu'il y a à faire quand on est entraîneur « ça dépasse amplement le côté de la technique, de l'entraînement » (Athlétisme). Il faut « aider les athlètes dans leur vie privée, avoir le rôle d'écoute et de confidente. Les transporter en minibus pour leur logement ou pour les compétitions » (natation). Comme l’exprime un entraîneur, l’intéressement aux différents aspects des tâches de l’entraînement fait ressembler l’entraîneur à une firme moderne : « J'ai une gestion du temps en flux tendu » (Volley-ball). C’est le prix à payer pour être proche des athlètes et entretenir son aura en échappant au style « fonctionnaire ».

« On devrait plutôt dire les tâches administratives "et" l’entraînement » (Judo) car on se retrouve face à un ensemble de tâches non prédéfinies et extensives qui amène à la confusion coach /manager. Cela peut se traduire par la bureaucratisation, « des entraîneurs qui entraînent peu, mais ont un rôle administratif et de coordination : le sélectionneur, celui qui organise les cadres, qui met en place la formation. Ce qui fait qu’il y a une perte de "contact" avec le terrain. Bureaucratisation… mais la bureaucratisation est aussi une voie de sortie » (Athlétisme). Cette démultiplication ne peut être contrôlée que par une division du travail : « j’ai l’impression, au contraire, en athlétisme, comme les coordonnateurs gèrent les fonds et les tâches administratives, les entraîneurs ne font qu'entraîner et ils ont pas mal de temps disponible » (Athlétisme).

Ce qui fait qu’on développe une forte éthique de travail à l’adresse des autres entraîneurs et des athlètes : « ça me coûte parce qu’on donne tout, que je fais mon boulot à 100% » et on est contre « les fainéants et les couleuvres, contre les tricheurs » (Athlétisme) et qu’ « on aime bien les gars dociles qui bossent. On aime ceux qui sont discrets, bosseurs, ceux qui n'ont jamais peur d'en faire trop, ceux qui sont sérieux » (Cyclisme).

1. 3 Stress et fatigue

La charge de travail est génératrice de fatigue et de stress. C’est une usure en termes de gestion physique : « quand j'ai l'athlète en face de moi, je suis à 180 pulsations à la minute et ça dure une heure, voire une heure et quart, et puis après, vous en avez un deuxième, un troisième, un quatrième. L'approche physique est quelque chose d'important. J'ai 52 ans ! » (Escrime). C’est d’autant plus fort quand de plus on doit vivre la vie des stages ou des compétitions : « gérer un groupe de 20 à 25 personnes tous les jours, ça veut dire ne pas dormir beaucoup » (athlétisme). Du coup, le rendement baisse : « Je fatigue maintenant en fin de matinée. Et on a jusqu'à sept heures et demi, voir huit heures moins le quart, on a entraînement. Là, je suis mort. Je suis moins fort physiquement qu'avant » (Volley-ball). Cet investissement intense produit un stress entraîne des comportements qu’on juge négatif, « je me suis remis à fumer », et une plus grande sensibilité « aux conflits qui entraînent la lassitude et qui font qu’on s’auto-exclut », et finalement la décision de se retirer : « après les jeux, j’arrête ».

1.4 Disponibilité, mobilité et situation familiale

Le métier repose sur des vertus de disponibilité et de don de soi. C’est un métier de passion, et l’entraînement n’échappe pas aux difficultés de ce type d’activités dans lesquelles on ne connaît pas de division très nette entre vie professionnelle et vie privée. Il faut être disponible, « répondre au téléphone aussi bien à 7 h et demi le matin qu'à 11h le soir », ne pas avoir de vie familiale « car on est impliqué 24 heures sur 24 » et que « moi, quand j'ai fini ici, je pars en stage pendant les vacances scolaires donc j'ai deux tiers des vacances scolaires qui sont bouffées » et ces stages ne sont pas toujours à la hauteur de l’intérêt : « s'emmerder en stages pour ne pas passer ses vacances chez soi ». On mène une vie monacale pour les athlètes : « il faut faire des sacrifices en se couchant de bonne heure, en mangeant ce qu'il faut, en refusant de sortir, en vivant à part ».

Surtout, on ne peut mener une vie familiale satisfaisante : « On est parti 150 jours en stage dans l'année. C'est monstrueux ! Sur le plan familial, social, c'est cassant. C'est cassant au possible ! C’est-à-dire que l'on n'est jamais à un endroit, on n'est jamais à un autre. En plus, moi, je m'occupe d'un centre d'entraînement : quand je reviens, il y a du boulot; Je ne suis pas tranquille, je ne suis pas chez moi ! Je suis chez moi sans y être; avec des horaires toujours décalés par rapport à une vie sociale normale. C’est vachement lourd sur le plan familial, personnel » (Aviron).

Ces « 15 ans sans vacances et sans sortie avec des enfants », ont des conséquences sérieuses pour la vie familiale : c’est l’obligation de la mobilité géographique pour être près du pôle d’entraînement, plus radicalement c’est un choix de vie, surtout pour les femmes car cela implique de ne pas avoir d’enfants. Les individus s’usent, comme la vie familiale et on évoque volontiers le taux de divorce très important parmi les entraîneurs. C’est qu’on perd le contact avec les proches : « Leurs femmes ont reconstruit un équilibre à côté et leurs enfants, ils ne le connaissent plus. Il ne sait plus quoi leur dire. Je vois la détresse humaine. J'en ai vu plein ! » (Volley- ball). C’est là un autre motif d’abandon : « Très sincèrement, sur le plan familial, je ne pourrais pas aller au-delà des Jeux. C'est une composante importante pour moi. Et donc, l'engagement est pris au niveau de ma femme en ce qui me concerne, d'arrêter après Sydney » (Aviron).

Cela peut-il être contrebalancé par les gains d’autorité quand on peut faire la preuve qu’on détient des compétences variées extra sportives : « j'emmenais mon enfant avec moi, parce que lorsqu'ils sont bébés, on peut les emmener partout. Toutes les filles savaient que je savais changer les couches » (Volley-ball).