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Des professionnels qui doutent

5. La formation est-elle une solution ?

Si la transmission du savoir-faire apparaît comme une nécessité, la réponse aux questions soulevées par l’expérience des entraîneurs ne peut se résoudre par la seule formation. Différents éléments posent problème dans la question de la transmission. La situation de mise en concurrence des entraîneurs apparaît en effet comme un obstacle, de même que la nature du métier qui valorise l’œil ou le tour de main contre les connaissances formelles pour ce qui concerne tous les aspects techniques du métier. Mais d’autre part, la prise en compte des différents contextes et dimensions de l’action ainsi que la nécessaire valorisation du travail accompli rendent incontournables la formalisation de ce qui a été fait. Ceci amène à développer quelques thèmes qui semblent trouver l’assentiment des acteurs.

5.1 Favoriser la rencontre

Il convient d’insister sur l'utilité des rencontres entre entraîneurs. On a vu l'importance que revêt l'épreuve de la reconnaissance et de l'intégration au milieu. Pour aider les entraîneurs dans ce genre d'épreuve, il faudrait favoriser les lieux de rencontre et de socialisation.

Dans ce cadre, les personnes interrogées disent l'intérêt de l'INSEP et des différentes écoles nationales en tant que lieux de rencontre et de sociabilité et qu’il serait souhaitable d’accentuer ce rôle de lieu d’échange et de rencontre. Le sentiment qui domine, chez beaucoup, est celui d’une sous utilisation d’une institution, pour ce qui concerne l’INSEP, de cet ensemble de possibilités. Par comparaison avec les autres pays, certains interlocuteurs valorisent les échanges qui ont lieu dans les autres pays, malgré le manque constaté de moyens institutionnels (Athlétisme).

5.2 De l'utilité du parrainage et favoriser les rites de passage

Toujours pour améliorer l'épreuve de l'intégration, il conviendrait de favoriser les rites de passage intergénérationnels. Pour l'instant, il y a peu de relais préparés : peu d'entraide ou de tutorat, pas de transmission de documents. Mais des formules comme « le successeur m'a vu travailler » ou « c'est en accompagnant les entraîneurs déjà en

poste qu'on apprend beaucoup ». Pourtant, c’est là la formule qui semble plébiscitée : « avec M. et R., là, je sais que c'est eux qui vont me succéder. M., ça fait deux ans que je le sais, donc je lui donne tout. Il n'ignore rien, absolument rien de ma façon de procéder » (Cyclisme). Cela reste une affaire individuelle : « j'ai choisi un gars dans le groupe. C’est un assez gros héritage à donner, héritage de connaissance et héritage matériel. Il faut permettre un passage en douceur, assurer la continuité et la possibilité de continuer à donner quelques conseils. Ce que je voulais, c’était éviter la rupture franche » (Athlétisme) et volontariste : « on continue à se voir presque tous les jours avec le précédent entraîneur, à discuter de tas de choses, des sélections, des techniques. On fonctionne en groupe, en stage. C’est ça, travailler ensemble » (Athlétisme).

Peut-on passer à des formes plus institutionnalisées ? C’est le système de tutorat ou de parrainage qui est largement proposé, sur le modèle de sports qu’on pourrait qualifier de traditionnels comme l’escrime : « il y a une continuité en escrime, des "passes" réussies entre maîtres d'armes. L'athlète voit que le deuxième adjoint sera le futur entraîneur. Il se fait accepter des athlètes. C’est une tradition séculaire, un système bien rôdé et codifié : passage par le statut d'adjoint pour intégrer le métier. Du coup, il y a des reproches s’il y a du court-circuitage parce qu’il manque un élément de formation. Chez nous, il est nécessaire de passer par toutes les étapes. On ne fait pas venir un mec au dernier moment. Ce système permet de faire ses preuves et de gagner la confiance du groupe : copains ou pas copains, ils ont vu ce que j'étais à l'entraînement. C’est-à-dire que je n'étais pas un fainéant ».

Ce système est mis en œuvre en athlétisme, notamment : « Dans les nouvelles formations de la FFA, on a introduit la formule du tutorat /compagnonnage sous la forme de la personne-ressource. Il y a plusieurs idées : que le tutorat est plus concret, qu’on a besoin d’un compagnonnage entre entraîneurs, qu’il faut déconcentrer la formation vers les clubs, que les gens prennent l’habitude d’aller voir quelqu’un qui est une personne de référence. On ne peut peut-être pas écrire mais on peut être homme ressources. Plutôt que de faire un QCM après cinquante heures de formation, il vaudrait mieux que les entraîneurs aillent rencontrer des gens qui ont apporté quelque chose à l’entraînement, une sorte de "Tour de France" des gens qui ont quelque chose à dire sur l'entraînement dans une discipline » (Athlétisme).

D’autant que ces formes de transmission et d’échanges feraient place aux entraîneurs capables de dire : « faire de la formation d'entraîneur, encadrer des stages, je me régale en faisant du tutorat » (Volley-ball).

Mais le constat est celui d’une insuffisance organisationnelle : « si le successeur ne convient pas, je ne reviens pas. Je suis attaché à la notion de compagnonnage. Il faudrait une cellule continuant à former des entraîneurs, mais ce n'est pas intégré dans les formations » (Athlétisme). Ce qui désole est le sentiment de la perte : « prends l’exemple d'un défaut de passage de relais. C’est tout un savoir qui va se perdre. On vit le système de la table rase… On ne me demandera pas de participer à la désignation de mon successeur. Cela ne se fait pas dans ce milieu. ça dépend trop de la personnalité du DTN » (Athlétisme). D’autres diront : « on ne connaît pas les successeurs. Souvent, ce sont des parachutés. On manque de continuité et il y a beaucoup de difficultés à planifier et à prévoir parce qu’il y a peu d'observation au long cours. Comment peut-on produire de la continuité et du collectif ? » (Tennis de table).

5.3 De l'utilité des traces écrites : trouver des "écritures" adaptées.

On a vu la réticence de beaucoup d'entraîneurs par rapport à l'écrit : « on a des difficultés à écrire la compétence, à part quelques données techniques. C’est le manque de temps, un tourbillon de travail… C’est le manque de compétence... L'interview serait mieux » (Natation).

Il s’agit donc de favoriser d'autres types d’écritures comme les interviews ou l’usage de la vidéo pour consigner le savoir de ces entraîneurs : « il y a eu la plaquette faite par la fédération sur Joseph Maigrot et sa conception de l'entraînement. Moi, je relis ça, il y a des idées intéressantes et notamment il parle de l'entraînement du relais » (Athlétisme).

S’il y a peu de choses écrites, il conviendrait toutefois de « dégager du temps pour écrire, pour se forcer à rationaliser, se forcer à écrire un livre. Sinon, ça prend beaucoup trop de temps » (Athlétisme). Le problème est que « les "grands" entraîneurs nationaux ont peu de formation institutionnelle, ils vont peu dans les colloques, font peu de publication, ils n’ont pas le temps... Pourtant, on voit des qualités de pédagogue et d'intervenant en formation de beaucoup d'entraîneurs nationaux. En fait, le nom des

grands devrait être associé à des "écoles", des options pratiques, des philosophies, des approches » (Athlétisme).

5.4 Les innovations sont surtout structurelles

L'épreuve de la concurrence est centrale, on l'a vu, pour comprendre certains dysfonctionnements dans la transmission d'informations entre entraîneurs. Comment favoriser des innovations structurelles qui encadrent et organisent cette concurrence ? Et ainsi sortir de la contradiction souvent relevée entre deux constats défendus en parallèle : d’un côté on dit qu’ « on souffre du manque de continuité, trop fort turnover » et de l’autre on affirmera qu’ « au contraire, il n’y a pas assez de turnover ! ».

Les innovations présentées comme les plus décisives par nos interviewés sont d'ailleurs souvent moins liées à la technique sportive qu'à l'organisation, « modifier l’organisation » : création de centres, réorganisation du staff des coaches, des procédures et des principes de coordination, amélioration de la détection et réaménagement des filières, revalorisation des clubs, etc. : « l'innovation majeure ? S’occuper des jeunes ! Passer de 8 à 20 tables et de 2 à 6 entraîneurs. Renforcement de la solidarité du staff ! » (Tennis de table) ou « pour moi l’innovation elle passe par la rationalisation de l'élevage, des innovations dans les haras où il n’y a pas d'options sportives claires ou encore des innovations dans les filières d'accès au haut niveau » (Equitation).

La mise en concurrence pourrait paradoxalement constituer une innovation importante : « pour nous, il y a rupture dans les années 90 quand deux centres d'entraînement ont été créés. Il y a une unité de lieu qui est importante. Nous, les coureurs, ils sont tout le temps ensemble, toute l'année » (Cyclisme). La question est alors d’organiser cette concurrence : « innovation dans la mise en concurrence des responsables ! mais c’est aussi la création des CPEF, structures d'entraînement de haut niveau ou le journal des entraîneurs d'aviron qui a permis, pour la première fois et malgré la concurrence, de rassembler des entraîneurs autour d'une table pour essayer d'élaborer un projet commun technique » (Aviron).

Du coup le thème de la création d’un collectif est très prégnante : « il faut organiser la structure équipe de France. C’est-à-dire coordonner "l'empire éclaté" des

couples entraîneurs/ nageurs pour créer un collectif » (Natation). Décrit par deux entraîneurs, le champ des innovations en athlétisme prend des directions très diverses : « on prend la détection, c’est difficile et il ne faut pas faire de systématisme dans ce domaine, mais il nous faut un réseau scolaire » (Athlétisme 1) ; « il faut élargir le vivier de recrutement des entraîneurs de haut niveau et pour ça, reconnaître des compétences aux entraîneurs de club, les regrouper et les former. Mais du coup, amener les entraîneurs de haut niveau à former autant (si non plus) qu'à entraîner. C’est une révolution, comme un responsable de la formation qui demande aux entraîneurs : "Vers quoi on peut essayer d'orienter les chercheurs de l'INSEP ou d'ailleurs ? » (Athlétisme 2).

Mais la limite à la communication est précisément la concurrence : « les Allemands sont meilleurs sur la transmission des savoirs, c’est le modèle RDA. En France, la meilleure communication, c’est pour les entraîneurs des juniors. Les Américains ne sont pas bons en communication. Plus la concurrence est forte, moins il y a de ‘com’. En France, avec la partition en groupes de haut niveau, il n’y a pas de confrontation. Pas de confrontation des méthodes d'entraînement. Je suis persuadé que c'est ça, notre limite » (Athlétisme).

5. 5 Eviter la focalisation sur la technique

L'épreuve du résultat ne repose pas que sur des compétences techniques, mais elle repose aussi, et peut-être d'abord, sur la qualité de la relation entraîneur /entraînés. Il convient de favoriser la transmission de ce savoir-faire spécifique, non étroitement technique et lié aux capacités relationnelles qui fait dire à un entraîneur : « un des principaux trucs que j’ai à dire à mon successeur, c’est qu’il faut éviter de faire du favoritisme avec les meilleurs ».

Un premier niveau de conclusions concerne la complexité de l’acte d’entraîner et la volonté de ne pas le réduire à la simple transmission technique et qu’on retrouve dans des formules comme : « il faut réfléchir plus spécifiquement, et moins techniquement, à l'acte d'entraîner », « prendre en compte la notion de complexité ou celle de créativité », « avoir une conception synthétique et non technicienne ». On a vécu « la focalisation des formations sur la technique, l’EFA est une revue trop techniciste, il faut

passer à une ouverture progressive à d'autres aspects de l’entraînement », dont le management fait partie.

En fait, il s’agit d’une disposition à créer. Partant du constat « qu’il n’existe pas ou peu de formation permanente des entraîneurs, seulement des colloques et quelques rencontres », il faudrait « allonger la formation pour leur faire comprendre qu'ils doivent se former tout le temps, faire passer la notion d'auto-formation. C’est faire se rencontrer les gens, profiter des compétitions pour échanger, mais aussi faire passer l’idée qu’il faut profiter de tous ces moments ».