• Aucun résultat trouvé

Après près de trente ans d’absence d’études portant sur les dangers du phosphore blanc sur la santé des ouvrièr·e·s, la recherche scientifique reprend en 1888 et 1889. La principale évolution de la décennie, marquée par une stagnation des débats sur le phosphore, est l’émergence de la notion de phosphorisme, à savoir l’empoisonnement chronique au phosphore blanc. Nous nous appuierons pour ce chapitre, comme pour la période précédente, sur des publications médicales. Si certaines d’entre elles continuent d’être publiées aux AHPML, la Revue d’hygiène et de médecine professionnelle (désormais RHPS), créée en 1879, en accueille également un grand nombre. Concurrente des AHPML, cette Revue se préoccupe uniquement d’hygiène. Elle publie notamment les débats de la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle (désormais SMPHP) dont elle est l’organe officiel1.

Cette société, dédiée à l’hygiène au sens large, est composée d’une pluralité de professions. Elle comprend des médecins, des vétérinaires, des chimistes, des physiciens, des ingénieurs, des météorologistes et des architectes. Elle se veut à la fois organe scientifique et groupe de pression, notamment sur le Parlement. La SMPHP, tout comme l’Académie de médecine ou le Conseil d’hygiène et de salubrité de la Seine, s’empare de la question allumettière. Débattue à plusieurs reprises dans les années 1890, cette question constitue ainsi le premier thème d’hygiène industrielle discuté à la SMPHP avant les débats sur la céruse au début du XXe siècle. Deux auteurs sont particulièrement importants pendant cette période. Le premier est Émile Magitot, dont nous avons déjà parlé quant à ses travaux sur la nécrose dans les années 1870. Il est à l’origine, entre 1888 et 1897, de cinq publications, et se place au centre des débats sur le phosphore blanc à l’Académie de médecine ainsi qu’à la SMPHP. Il est notamment à l’origine du terme de phosphorisme. Le deuxième auteur, François Arnaud, médecin à la Manufacture de Marseille et aux Hôpitaux, est beaucoup moins prolifique et ses travaux sont moins connus de la communauté scientifique. Cependant, il est à l’origine de deux grandes enquêtes statistiques sur les allumettièr·e·s, permettant de préciser la nature du phosphorisme2.

1 On peut trouver une description de ces deux revues, ainsi que de la SMPHP dans MORICEAU Caroline, Les douleurs de

l’industrie, EHESS, Paris, 2009, pp. 142-151.

2 Sa première enquête, qui porte sur des analyses d’urines, a été publiée la première fois dans ARNAUD François,

« Recherche sur l’urologie du phosphorisme chronique chez les ouvriers des manufactures d’allumettes chimiques »,

AHPML Série 3 (35), 1896, pp. 193-223. Ses recherches sont compilées dans ARNAUD François, Études sur le

a) Les maladies professionnelles : de la nécrose au phosphorisme

• État des lieux de la recherche, 1888-1889

Les connaissances scientifiques sur les dangers du phosphore blanc pour les ouvrièr·e·s semble ne pas avoir beaucoup évolué entre les années 1850 et la fin des années 1880. Un état des lieux des savoirs médicaux réalisé par Magitot à l’Académie de médecine en 1888 met en lumière une situation peu reluisante : lors que la nécrose est connue depuis longtemps, elle persiste dans des proportions considérables3. D’après Magitot, « il était permis de croire que les améliorations générales apportées à

l’industrie en avaient atténué les atteintes. On verra qu’il n’en est rien. Le mal persiste et l’on doit reconnaître qu’il n’a rien perdu, sinon de sa fréquence, du moins de son caractère et de sa gravité »4.

Depuis 1875, date de ses premières recherches, il a observé personnellement 65 cas, dont 46 cas de nécrose confirmée (25 guérisons après opération, 20 décès et 4 personnes perdues de vue) et 19 cas de nécrose naissantes enrayées, parmi lesquels 18 dans la fabrique d’allumettes de Turin, sur un personnel de 500 ouvrièr·e·s. L’absence de monographies sur la nécrose depuis 1860 rend difficile l’établissement d’une statistique, même si Magitot se prête comme ses prédécesseurs à cet exercice courant en cette période de construction lente d’une science statistique encore embryonnaire5. Selon Bouvier, y aurait

ainsi eu 75 cas français et allemands avant 1860, puis 61 cas en France et 73 à l’étranger entre 1860 et 1888. Cette inflation est difficile à interpréter. En effet, elle ne correspond pas forcément à une augmentation du nombre de nécroses, mais plutôt à une augmentation du nombre de cas connus et pris en charge. La statistique étrangère s’est également ouverte à d’autres pays comme l’Italie. Magitot considère qu’en additionnant tous les cas connus on en a arrive à plusieurs centaines, et ce sans avoir d’information sur les fabriques britanniques, belges et néerlandaises. Le taux de mortalité oscille entre 25 et 30 %, soit moins que les taux estimés dans les années 1840 à 1860 plus proches de 50 %. Mises à part ces informations statistiques à proprement dites, du reste très lacunaires, le savoirs scientifiques sur les dangers du phosphore n’ont pas beaucoup évolué depuis le milieu du siècle. L’analyse chimique des vapeurs de phosphore n’a pas progressé depuis Dupasquier en 1846. D’après Magitot, les vapeurs

3 MAGITOT Émile, « Pathogénie et prophylaxie des accidents industriels du phosphore et en particulier de la nécrose

phosphorée », Bulletin de l’Académie de Médecine 3e série (XX), 1888, pp. 753-794. 4 Ibid., p. 759.

5 RAINHORN Judith, « Interroger l’opacité d’une maladie : le saturnisme professionnel comme enjeu sanitaire, scientifique

contiendraient des acides de phosphore, des sous-oxydes de phosphore, de l’azotite d’ammoniaque, du phosphore libre et de l’ozone. Si les vapeurs phosphorées sont nocives, le composé chimique responsable de cette nocivité n’est toujours par connu. Sont incriminés, selon les études, l’ozone ou les acides de phosphore. La composition des vapeurs phosphorées n’est chimiquement identifiée qu’au cours des années 1890. Ces vapeurs contiennent ainsi les éléments énumérés par Magitot, ainsi que de l’hydrogène phosphoré et d’autres composés gazeux comme des acides de soufre.

Concernant la pathogénie de la maladie, trois théories continuent de s’affronter : altération générale du squelette qui se révélerait uniquement dans les maxillaires ; pénétration du phosphore par les gencives et origine périostique de la nécrose ; théorie de la carie dentaire. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, Magitot se rallie à cette dernière théorie qu’il modifie en partie. Selon lui, la carie doit nécessairement être pénétrante pour qu’il y ait un risque de nécrose. Il faut qu’il y ait dénudement et destruction de la pulpe, créant ainsi un réceptacle pour le phosphore. Le même effet se produit si une dent a été imparfaitement arrachée ou en cas de blessure au maxillaire. Il n’y a donc pas de changement radical par rapport aux connaissances scientifiques du milieu du siècle. La principale évolution, en réalité, est que les médecins se concentrent beaucoup plus sur la santé des travailleur·se·s qu’auparavant. En effet, de manière générale, les autres dangers liés au phosphore blanc, à savoir les incendies et les empoisonnements, sont mis de côté. Ils sont parfois rappelés pour étayer une argumentation, en faveur de l’interdiction du phosphore blanc notamment. Toutefois, il ne constituent plus que des enjeux de second ordre, alors qu’au milieu du siècle ces dangers prenaient le pas sur la nécrose dans certaines études. La mise en avant des problématiques de santé au travail sur les enjeux de sécurité publique reste une constante pendant toute la décennie. Ce changement est peut-être causé par le changement d’identité des médecins à l’origine des études scientifiques sur le phosphore. En effet, Magitot est chirurgien et plusieurs d’autres sont médecins dans les manufactures, et sont donc au contact uniquement des ouvrièr·e·s sur leur lieu de travail et beaucoup moins du reste de la population. Il s’agit aussi probablement une conséquence de l’importance que prend chez les hygiénistes la RHPS, qui s’intéresse uniquement aux questions d’hygiène, dont l’hygiène industrielle. À l’inverse, les

AHPML, plus généralistes, consacraient également de nombreux articles à la médecine légale, plus

pertinente pour traiter notamment des cas d’empoisonnement au phosphore6.

Tout comme la connaissance de la nécrose n’a pas beaucoup évolué, il semble que les recommandations des hygiénistes soient restées en grande partie lettre morte. L’état des manufactures

d’allumettes gérées par la Compagnie générale des allumettes est en effet catastrophique. Cela préoccupe aussi bien l’opinion publique que la presse scientifique et médicale. Suite à l’apparition de plusieurs nouveaux cas de nécrose, le préfet de police demande en 1888 au Conseil d’hygiène publique et de salubrité de la Seine de diligenter une enquête dans les manufactures de Pantin-Aubervilliers. Cette enquête est menée par Gabriel Pouchet, inspecteur des établissements classés, du point de vue industriel et technique, et par Paul Brouardel, doyen de la Faculté de médecine, membre des Académies des sciences et de médecine, du point de vue de l’hygiène. Elle donne lieu à plusieurs publications ainsi qu’à des débats au Conseil d’hygiène, à l’Académie de médecine ou encore à la SMPHP. Il transparaît de cette enquête que des efforts ont été réalisés pour respecter les prescriptions des hygiénistes, mais qu’ils ont été insuffisants. Dans son étude des manufactures de Pantin-Aubervilliers, Pouchet, plutôt enthousiaste, note ainsi la présence de vases d’essence de térébenthine un peu partout dans les ateliers, suspendus ou posés sur les surfaces de travail. Cinquante kilogrammes d’essence environ sont vaporisés par mois7. Une bonne ventilation aurait également été mise en place dans tous les ateliers,

ceux-ci n’étant pas complètement séparés spatialement. La fabrication de la pâte a été perfectionnée. Elle est réalisée dans une machine fermée inventée par le directeur de la manufacture de Pantin. De nombreuses affiches manuscrites sont placardées rappelant le règlement et notamment l’interdiction de manger dans les ateliers. Concernant les ouvrièr·e·s, des vestiaires et des réfectoires ont été mis en placeont été mis en place, ainsi que le port obligatoire d’un habit de travail différent de l’habit de ville. De l’eau pour se laver les mains et des gargarismes divers sont également mis la à disposition des allumettièr·e·s, qui doivent passer une visite médicale de la bouche tous les six mois. Le compte-rendu de l’enquête identifie également certaines mesures dont l’efficacité est douteuse. Une rotation des postes aurait été prévue, afin de réduire l’exposition au phosphore, entre les ateliers de mise en presse, le trempage et le séchage. Cette mesure rencontre d’après Pouchet l’opposition des ouvrièr·e·s du fait des différences de salaires, allant du simple au double entre la mise en presse et le trempage. La différence est d’autant plus forte que la mise en presse est surtout effectuée par des femmes alors que le trempage est principalement réalisé par des hommes. Des machines seraient par ailleurs utilisées pour réduire l’exposition directe aux vapeurs de phosphore. Pour le dégarnissage, « le côté phosphoré de l’allumette est situé sur la face de la machine opposée à celle devant laquelle l’ouvrière travaille ; la machine et l’épaisseur du bois de l’allumette dans le sens de sa longueur forme donc écran et empêche

7 POUCHET Gabriel, « Étude sur l’état actuel de l’industrie des allumettes au point de vue de l’hygiène des ouvriers »,

la respiration des vapeurs s’exhalant immédiatement de la pâte phosphorée »8. L’utilité de cette mesure

est douteuse, car elle ressemble à la théorie de la distance de Glénard, qui, pour rappel, considérait sans le prouver que la nocivité des vapeurs de phosphore diminue à mesure que l’on s’éloigne du foyer d’exposition. Pantin est néanmoins dans un meilleur état sanitaire qu’Aubervilliers, où se sont apparemment produits tous les cas de nécrose qui ont motivé l’enquête. L’outillage de cette dernière manufacture est moins perfectionné qu’à Pantin.

Cette vision très positive de l’état des manufactures de Pantin-Aubervilliers est contestée par Magitot à la SMPHP, où est discutée la publication de Pouchet : « il est au moins étrange d’entendre ici faire l’éloge d’une organisation industrielle au lendemain même des accidents si graves, et relativement si nombreux encore, qui s’y dont produits »9. Lui-même conteste plusieurs observations. Ainsi, la

séparation des ateliers serait loin d’avoir des effets aussi positifs que ne le prétend Pouchet. La fabrication de la pâte ne produit certes plus de vapeurs, mais la pièce dans laquelle est située la machine en question est contiguë et communique constamment avec une seconde pièce où refroidit à l’air libre ladite pâte, engendrant de grandes quantités de vapeurs phosphorées qui se répandent dans les deux pièces. Le séchoir, très insalubre malgré une ventilation qui ne sera jamais parfaite, communique directement avec l’atelier du dégarnissage. Cela augmente encore l’insalubrité pourtant déjà forte de ce dernier atelier : « La ventilation y est notoirement imparfaite, les ouvertures sont insuffisantes, aucun appel mécanique d’échappement au dehors n’est installé. […] La ventilation est donc illusoire dans cette partie des ateliers d’Aubervilliers et de Pantin »10. Concernant l’interdiction de manger dans les

ateliers, Magitot dit n’être pas convaincu de son application, ayant vu des paniers de provisions et du lait dans les ateliers de dégarnissage. Il reconnaît l’efficacité théorique du roulement, qu’il a lui-même mis en place dans une grande usine d’allumettes à Turin, mais il doute de son applicabilité à Pantin- Aubervilliers car la plupart des tâches n’exposant pas au phosphore (fabrication des cartonnages et des boîtes, découpe du bois, préparation des bougies…) n’y ont pas lieu. En résumé, malgré les améliorations, la situation globale des fabriques n’a pas tant changé depuis les années 1840 : « un atelier où se manipulent les allumettes, après le trempage, reste encore à l’état de foyer d’émanation de vapeurs plus ou moins intenses et parfois aussi épaisses qu’au temps où Tardieu déclarait qu’elles

8 Ibid., p. 1072.

9 SMPHP, « Séance du 27 février 1889. Discussion sur Dr. G. Pouchet : La nécrose phosphorée et l’hygiène des fabriques d’allumettes », RHPS (11), 1889, p. 266.

10 SMPHP, « Séance du 28 novembre 1888. Discussion sur Dr. G. Pouchet : Étude sur l’état actuel de l’industrie des allumettes au point de vue de l’hygiène des ouvriers », RHPS (10), 1888, p. 1101.

troublaient la transparence de l’air »11. En effet, même si les ateliers construits par la Compagnie sont

meilleurs du point de vue de l’hygiène, et notamment de la ventilation, les manufactures sont surtout composées « de vieux bâtiments, d’anciennes constructions aménagées tant bien que mal aux besoins de la nouvelle industrie »12.

A l’inverse, les fabriques de phosphore auraient subi de grands changements. Les dangers du phosphore blanc y auraient été complètement éradiqués d’après Cazeneuve, qui y consacre un court mémoire dans les AHPML en 188913. La production est toujours réalisée presque exclusivement dans

les usines Coignet, à Lyon et à Paris. Selon les déclarations de Coignet, il y aurait eu quatre cas de nécrose dont un mortel dans l’usine lyonnaise entre 1860 et 1870. Cela aurait conduit l’industriel à améliorer ses méthodes de production. Il y a eu un perfectionnement des cornues, et les ouvrièr·e·s ne sont plus exposé·e·s aux vapeurs de phosphore. En effet, l’alimentation des fours se fait dans une pièce séparée de celle où chauffent les cornues. Un seul ouvrier est chargé d’en examiner les joints pour éviter les fuites. Le déchargement des cornues se fait dans une pièce fortement ventilée, et le moulage ne requiert plus d’aspiration dans un tube de la part des ouvrièr·e·s. Le phosphore est moulé sous l’eau sous forme de parallélogrammes. Il semblerait donc que la suppression des vapeurs de phosphore ait bien permis d’éliminer tout nouveau cas de nécrose. Cependant, Cazeneuve demeure prudent quant à cette information, contrairement à Dupasquier ou à Glénard. Ainsi, il considére que « aucun accident ne s’y est encore manifesté »14, ce qui veut dire qu’il faut maintenir une vigilance constante en gardant à

l’esprit que le phosphore reste dangereux. Il est très difficile de savoir à quel point ces données sont fiables, tant nous avons vu le peu de fiabilité des études précédentes sur l’usine Coignet de Lyon.

• Le phosphorisme, faits anciens et paradigme nouveau

La principale évolution des recherches médicales sur le phosphore dans les années 1890 consiste en un élargissement de l’étude de la seule nécrose phosphorée à celle de l’ensemble des maladies professionnelles causées par un empoisonnement chronique au phosphore. Cet

11 MAGITOT, « Pathogénie et prophylaxie... », art. cit., 1888, p. 759.

12 « Discussion. Sur la nécrose phosphorée et l’hygiène de l’industrie des allumettes chimiques », Bulletin de l’Académie

de Médecine 3e série (XX), 1888, p. 811.

13 CAZENEUVE P., « L’industrie du phosphore et des allumettes et la nécrose phosphorée », AHPML Série 3 (21), 1889, pp. 289-295.

empoisonnement est appelé phosphorisme par Magitot, qui présente la notion pour la première fois à la SMPHP en 1894 puis lui consacre un mémoire en 189515. D’après Magitot,

« Le phosphorisme est un état particulier de l’organisme qui résulte de l’absorption lente et progressive du phosphore blanc et de sa fixation dans les organes et les tissus de l’économie. Très comparable au saturnisme, à l’hydrargyrisme, à l’argyrie, etc., le phosphorisme représente exactement l’empoisonnement lent et chronique au phosphore. »16

Il faut en effet mettre en parallèle cette proposition avec la généralisation du terme saturnisme dans les années 1880, qui a permis de dresser un tableau unifié des diverses affections causées par le plomb17.

Comme la nécrose, le phosphorisme ne concerne que les ouvrièr·e·s travaillant dans les ateliers où est manipulé le phosphore blanc, à savoir le laboratoire et les ateliers du trempage, du séchage, du dégarnissage et de la mise en boîtes. L’exposition au phosphore est également modulée par la qualité du renouvellement de l’air et par la présence ou non de machines supprimant les interventions manuelles. Cet élément induit que la prévalence du phosphorisme varie considérablement. Ainsi, les usines de Turin ou d’Alger sont citées en exemple, car la ventilation y est très perfectionnée et le phosphorisme probablement beaucoup moins répandu que dans les manufactures de Pantin-Aubervilliers. Ces dernière sont considérées par Magitot comme les pires de France : « ce sont de véritables foyers d’intoxication, et il ne faut point s’étonner du nombre considérable des accidents qui s’y observent »18.

L’intoxication est assez rapide, quelques mois suffisent, et peut persister plusieurs années après la sortie définitive des usines. Magitot considère que tou·te·s les ouvrièr·e·s exposé·e·s à un moment ou un autre aux vapeurs de phosphore sont atteint·e·s de phosphorisme.

Ce n’est pas à proprement parler une maladie (contrairement à la nécrose), mais plutôt un terrain favorable au développement de maladies. Le phosphorisme est ainsi une « perturbation organique à la faveur [de laquelle] peuvent apparaître et apparaissent précisément des lésions qui, banales et insignifiantes chez un individu quelconque, empruntent au phosphorisme un caractère

15 Voir MAGITOT Émile, « La fabrication des allumettes et les accidents phosphorés », RHPS (16), 1894, pp. 497-501 ;

SMPHP, « Séance du 23 mai 1894. Présentation et discussion sur Dr Magitot : La fabrication des allumettes et les accidents phosphorés », RHPS (16), 1894, pp. 523-526. Le mémoire de 1895 est publié avec une introduction un peu différente dans la RHPS et dans le Bulletin de l’Académie de médecine. Nous avons préféré cette dernière version, car elle est suivie d’une retranscription des débats à l’Académie de médecine : MAGITOT Émile, « Des accidents industriels

du phosphore et en particulier du phosphorisme », Bulletin de l’Académie de Médecine 3e série (XXXIII), 1895, pp. 267-289 ; « Discussions sur le phosphorisme », Bulletin de l’Académie de Médecine 3e série (XXXIII), 1895, pp. 321-327.

16 MAGITOT, « Des accidents industriels... », art. cit., 1895, p. 269.

17 RAINHORN, « Interroger l’opacité d’une maladie... », art. cit., 2017, p. 12.

particulier de gravité. ». Le phosphorisme, comme la nécrose, est facilement perceptible sur les allumettièr·e·s. Selon le Dr Pellat, médecin des manufactures de Pantin-Aubervilliers,

« leur attitude générale est celle d’individus affaiblis et souffreteux ; ils sont pâles et amaigris, le visage

Documents relatifs