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a) Un poison industriel cumulant les dangers

• La découverte de la nécrose phosphorée, « une des maladies professionnelles les plus cruelles, et les plus dignes de fixer l’attention des hygiénistes »1

L’histoire des débuts de la recherche sur la nécrose phosphorée est bien connue des médecins et des chimistes du XIXe siècle. Elle est rappelée en préambule d’une grande partie des mémoires se rapportant aux allumettes2. L’industrie allumettière est encore jeune quand un médecin viennois, le Dr

Lorinser, publie en mars 1845 des observations inédites : neuf allumettières, toutes des femmes, sont atteintes d’une forme de nécrose de la mâchoire, laquelle est probablement causée par le phosphore blanc utilisé dans l’industrie allumettière. Cette publication est suivie par d’autres dans toute l’Allemagne concernant le même phénomène3. En France, les premières observations sont dues aux Dr

Strohl et Sédillot en 1845 à Strasbourg. La première recherche complète française est à mettre au crédit du Dr Roussel, à Paris en mars 1846. Cette publication de Roussel est particulièrement intéressante car elle porte en germe une grande partie de ce qui a été dit sur la nécrose par la suite. Toutefois, en raison de la méconnaissance de la maladie, Roussel est obligé d’émettre un certain nombre de suppositions. Il espère que son travail contribuera à « faire sortir de l’obscurité l’histoire d’un mal qui menace la vie d’un certain nombre d’ouvriers »4.

1 TARDIEU Ambroise, « Étude hygiénique et médico-légale sur la fabrication et l’emploi des allumettes chimiques. Rapport fait au comité consultatif d’hygiène publique. », AHPML Série 2 (6), 1856, p. 18.

2 Un historique complet est par exemple présent en première partie de BOUVIER Sauveur, « De la nécrose phosphorée et

de la prohibition des allumettes chimiques. Rapport fait à l’Académie impériale de Médecine, sur l’ouvrage allemand de MM. De Bibra et Geist, intitulé : Des maladies des ouvriers employés à la fabrication des allumettes phosphoriques, et spécialement de l’affection des mâchoires par les vapeurs de phosphore », Bulletin de l’Académie impériale de

Médecine (XXV), 1860, pp. 1031-1062.

3 Principalement en Bavière, en Prusse et dans le Wurtemberg. Dans les sources, le terme « Allemagne » recoupe aussi bien les divers États allemands que l’empire d’Autriche. Il semble par ailleurs que les recherches germanophones soient concentrées en quelques lieux : Vienne pour l’Autriche, Berlin pour la Prusse et Erlangen pour la Bavière.

4 ROUSSEL Théophile, Recherches sur les maladies des ouvriers employés à la fabrication des allumettes chimiques,

Roussel a constaté neuf cas de nécrose, six femmes et trois hommes, dans les principaux hôpitaux parisiens. Aucune observation n’avait été réalisée à Paris, parce que les malades ne restent pas dans les fabriques mais sont à chercher dans les hôpitaux. Apparemment, selon lui, aucun médecin n’avait eu l’idée de recueillir des informations sur les allumettièr·e·s autrement qu’en demandant aux employeurs. Charles Lépine, de Chalon-sur-Saône, a identifié quatre cas dont il est également rendu compte dans le mémoire de Roussel. Selon les observations de ce dernier, la nécrose concerne toujours et uniquement les maxillaires, bien que la progression de la maladie et les symptômes soient assez variables5. La maladie peut se déclarer aussi bien au niveau du maxillaire supérieur qu’inférieur, voire

dans les deux. Elle commence généralement par des maux de dents et des fluxions6. Le début peut être

lent, avec un simple gonflement de la mâchoire, ou être beaucoup plus fulgurant, mais la maladie semble toujours débuter au niveau des mauvaises dents. Un arrachage de ces dents n’est pas suffisant pour enrayer la maladie. La maladie peut aussi se propager directement des dents au tissu cellulaire du visage si l’infection a débuté dans la mâchoire supérieure. Si l’infection a débuté au niveau de la mâchoire inférieure, elle peut se propager au tissu cellulaire du cou. Des abcès apparaissent alors sur ces parties molles en contact avec l’os, dont des éclats se détachent parfois à cause de la suppuration. Une autre possibilité observée est que l’infection reste centrée sur l’os, et après que les dents sont tombées, les gencives continuent de se ramollir et se putréfient, provoquant un écoulement purulent et fétide7. Dans tous les cas, les parties molles tombent les premières, laissant l’os à nu. Ce dernier se

désagrège alors peu à peu. Dans de rares cas, après la chute de la partie nécrosée du maxillaire, la chair se régénère et recouvre l’os sain restant. Toutefois, dans un grand nombre de cas, les forces des nécrosé·e·s déclinent, leur système digestif se dérègle, leur teint devient jaune paille, la fièvre se déclare et au final les malades meurent. Selon Roussel, il n’y aurait pas de différence notoire avec des ostéites et périostites quand celles-ci dégénèrent en nécroses8. N’ayant aucune preuve expérimentale de

cette assertion, Roussel appelle à faire des analyses chimiques du pus et des fragments d’os nécrosé pour déterminer par exemple s’il s’y trouve du phosphore. La nécrose phosphorée est de fait une

5 Maxillaire : os de la mâchoire. Selon la terminologie du XIXe siècle, il y a un maxillaire inférieur (aujourd’hui, mandibule) et un maxillaire supérieur (aujourd’hui, maxillaire). Le maxillaire inférieur est l’os formant la totalité de la mâchoire inférieure. Le maxillaire supérieur est un os symétrique qui couvre l’arcade dentaire supérieure, la partie inférieure de l’orbite osseuse et la face latérale des fosses nasales. Les termes médicaux et anatomiques sont reportés dans un lexique en Annexe 1 p. 342.

6 Fluxion : Gonflement inflammatoire des gencives et des joues.

7 Gencive, Adj. : gingival. Muqueuse buccale qui assure le rôle de manchon étanche autour de chaque dent. Elle recouvre également l'os alvéolaire.

8 Ostéite, anciennement « carie des os » : inflammation des tissus osseux. Périostite : inflammation du périoste, c’est-à-dire la partie superficielle de l’os.

maladie professionnelle assez particulière car elle est physiquement extrêmement visible. Ce n’est pas la seule maladie causée par un poison industriel qui provoque de tels symptômes. Dans les années 1920, aux États-Unis, les nécroses de la mâchoire prolifèrent dans les usines de montres utilisant du radium pour rendre les aiguilles phosphorescentes. L’épidémie concerne surtout de jeunes femmes, appelées « Radium girls », attirées dans cette industrie par des salaires élevés et de bonnes conditions de travail9. Or, la technique consistant à passer le pinceau entre ses lèvre pour qu’il reste droit met

directement le poison au contact des muqueuses. La propagation de la maladie est décrite de manière encore plus glaçante que dans les écrits des hygiénistes, en partant du ressenti des femmes concernées :

« Désintégration, c’était le mot. La bouche de Mollie partait littéralement en morceaux. Elle était perpétuellement à l’agonie, et seulement des palliatifs superficiels leur apportaient un soulagement. Pour Mollie, une fille qui avait toujours adoré blaguer, c’était insoutenable. Son sourire éclatant, qui éclairait avant son visage, n’était plus reconnaissable à mesure que de plus en plus de dents tombaient. De toute façon, elle avait trop mal pour sourire. »10

Si le parallèle avec la nécrose phosphorée est explicitement posé, car dans les deux cas la nécrose est envahissante, et au final mortelle, le cas des radium girls permet d’interroger la perceptibilité de la maladie. En effet, la nécrose de Mollie n’est en réalité jamais diagnostiquée. Lors d’une première visite chez le médecin, ce dernier pense qu’il s’agit de rhumatismes et lui prescrit de l’aspirine. Lors de la deuxième visite, le médecin lui fait passer un analyse pour vérifier que sa maladie n’est pas la syphilis. Les résultats sont négatifs, ce qui n’empêche pas une deuxième d’être réalisée, alors que la nécrose est confirmée, et celle-ci est positive. Si, dans le roman, la mauvaise foi des médecins est patente, cet exemple montre que dans une certaine mesure des symptômes qui nous semblent extrêmes aujourd’hui étaient peut-être moins rares, ou en tout cas perçus comme moins extraordinaires. Les références fréquentes des hygiénistes aux antécédents syphilitiques ou à l’état dentaire préalable des allumettièr·e·s tendrait alors à montrer que si la nécrose est extrême, la dégradation de la mâchoire ou du visage est monnaie courante chez les ouvrièr·e·s du XIXe siècle.

Dès lors, la question de l’étiologie de la nécrose que Roussel pose devient primordiale11 : la

nécrose est-elle causée par les vapeurs de phosphore ou par un autre gaz présent dans les fabriques

9 Plusieurs ouvrages de fiction sont dédiés aux Radium girls, et donnent un aperçu terrifiant de la rapide déchéance physique causée par le radium. Voir par exemple MOORE Kate, The Radium Girls: They paid with their lives. Their

final fight was for justice., Simon and Schuster, 2016.

10 Ibid., p. 26. Nous traduisons personnellement tous les textes (sources et bibliographiques) anglophones. 11 Étiologie : étude des causes et des facteurs d’une maladie.

d’allumettes ? Plusieurs médecins en Allemagne soutiennent par exemple que des vapeurs arsenicales seraient mêlées aux vapeurs phosphorées. En effet, des traces d’arsenic sont parfois présentes dans le phosphore blanc, du fait du mode de fabrication dudit phosphore. Nous reviendrons sur ce point dans la suite du chapitre. Cet argument est par exemple repris en France par Alphonse Dupasquier12. Or cette

théorie ne serait pas vérifiée selon Roussel car aucun cas de nécrose n’a été observé dans les mines d’arsenic ou de cobalt arsenical. Les effets de l’arsenic, bien connus, n’ont en outre rien de commun avec les maladies des allumettièr·e·s. Comme nous venons de le voir, le degré d’incertitude est très élevé : les médecins ne savent ni de quoi sont composées les vapeurs émises lors de la production d’allumettes, ni comment ces vapeurs agissent sur l’organisme. D’après Strohl, les vapeurs de phosphore se transformeraient en différents acides au contact de l’air et de la salive, puis imprégneraient et ramolliraient les dents et les gencives. La proposition ne tient pas selon Roussel : si c’était le cas, tou·te·s les allumettièr·e·s auraient de mauvaises dents, or certain·e·s travaillant de longue date dans cette industrie ont les dents saines. Aux causes externes, les vapeurs de phosphore, doivent donc s’ajouter des causes internes aux individus. Ainsi, jusqu’à preuve du contraire, Roussel conclut que « l’altération d’une ou plusieurs dents est une condition indispensable au développement de la maladie des os maxillaires, maladie développée sous l’influence de l’action prolongée des vapeurs phosphorées »13. Outre les acides du phosphore, le phosphore en nature, non altéré, serait également

mis en cause du fait de sa forte toxicité. Toutefois, là encore, Roussel professe ne pas savoir s’il s’en trouve dans les vapeurs de phosphore. Ainsi, le mémoire de Roussel mêle un certain nombre de suppositions, concernant le mode d’action du phosphore, la composition des vapeurs phosphorées, le rôle d’une mauvaise dentition avant l’apparition de la maladie ou la proximité avec les ostéites et périostites. Il contient également plusieurs faits vus comme incontestables, comme le risque de nécrose chez les allumettièr·e·s ou la responsabilité du phosphore blanc. Cette dualité sera une constante pour les années 1840 à 1860.

La multiplication du nombre d’études portant sur les nécroses permet ainsi une connaissance plus fine du phénomène. Ainsi, d’après Bibra et Geist, 75 cas ont été recensés en France et en Allemagne entre 1838 et 1849, dont seulement 5 hommes. Sur 52 cas où les suites de la maladie sont connues, ils dénombrent 19 guérisons, 16 décès et 17 malades encore en cours de traitement. Parmi les

12 DUPASQUIER Alphonse, « Mémoire relatif aux effets des émanations phosphorées sur les ouvriers employés dans les

fabriques de phosphore et les ateliers où l’on prépare les allumettes chimiques », AHPML Série 1 (36), 1846, pp. 342-356.

61 cas pour lesquels à l’information est indiquée, la maladie occupait les deux mâchoires dans 6 cas, la mâchoire supérieure seulement dans 25 cas et la mâchoire inférieure seulement dans 30 cas14. Selon

Roussel, l’âge moyen des nécrosé·e·s est assez bas, une vingtaine d’années. L’âge et le sexe des malades n’ont toutefois aucune incidence sur la maladie. La majorité de jeunes femmes dans l’échantillon est un reflet de l’industrie allumettière qui emploie majoritairement des femmes et des personnes jeunes, notamment dans les postes exposés aux vapeurs de phosphore. De fait, les trois cas masculins examinés par Roussel ne diffèrent pas des cas féminins au regard de la maladie. Par ailleurs, l’augmentation des cas masculins observés après 1849 en France reflète simplement selon Bouvier la composition genrée de l’industrie allumettière française qui est moins uniformément féminine qu’en Allemagne ou en Autriche. L’état de santé antérieur ne semble pas non plus être important selon Roussel. Parmi les nécrosé·e·s se trouvent aussi bien des individus en excellente santé avant la nécrose que des personnes ayant de lourds antécédents médicaux, syphilitiques notamment. La nécrose se déclare généralement chez des ouvrièr·e·s travaillant de longue date dans l’industrie allumettière, entre 4 et 9 ans pour les nécrosées examinées par Lorinser, et plus de deux ans pour les cas identifiés en France. Cette apparition différée de la maladie par rapport à l’exposition au phosphore peut être une des explications aux résultats obtenus par Dupasquier qui, à Lyon en 1847, dit n’avoir observé aucun cas de nécrose malgré la présence de plusieurs fabriques d’allumettes et de l’usine Coignet fabricant le phosphore blanc. Outre les caries dentaires, Bibra et Geist ont observé d’autres configurations permettant le développement de nécroses : retrait du tissu gingival, plaies des gencives, arrachage d’une dent laissant l’alvéole à nu. Ils distinguent trois phases dans la maladie : une « période invasive » où le phosphore pénètre dans l’os maxillaire du fait, le plus généralement, de caries ou d’une mauvaise dentition ; une « période inflammatoire » entre les premières inflammations de l’os, qui se met à suppurer, détruisant ainsi les parties molles, et la mise à nu de l’os ; enfin une « période éliminatoire » pendant laquelle l’os est éliminé et tombe morceaux par morceaux15.

Toutes les opérations dans la production ne sont par ailleurs pas dangereuses. D’après Tardieu par exemple, mais le fait est très documenté, si les ateliers sont complètement séparés, la coupe du bois, la confection des boîtes et la mise en presse ne posent aucun danger pour la santé. La préparation de la pâte, le trempage, le séchage, le dégarnissage et la mise en boîtes sont en revanche très insalubres : « L’atmosphère de ces divers ateliers est altérée par les vapeurs qui proviennent soit des tables où

14 BOUVIER, « De la nécrose phosphorée... », art. cit., 1860, p. 1035.

s’opère le trempage, soit des masses d’allumettes déjà chargées de pâte phosphorique »16. La nécrose

étant provoquée par le phosphore, il en résulte mécaniquement que les ouvrièr·e·s travaillant à ces tâches sont les plus touché·e·s par les nécroses. Le problème de la nécrose touche également les contremaîtres surveillant ces ateliers. De fait, le raisonnement a aussi été fait en sens inverse. Glénard, dans son enquête pour le compte du Conseil d’hygiène publique de Lyon, a par exemple conclu que, comme toutes les nécroses phosphorées observées à Lyon touchaient des trempeur·se·s, seule cette opération était dangereuse. Il a proposé une explication bancale, et jamais reprise, selon laquelle l’effet sur la santé des fumées de phosphore diminuerait avec la distance17. On peut conclure que seul·e·s

certain·e·s ouvrièr·e·s sont susceptibles d’avoir une nécrose, d’autant plus que la tâche qui demande le plus de main-d’œuvre est la mise en presse. Au total, selon les estimations, ce seraient entre les deux tiers et les quatre cinquièmes des allumettièr·e·s qui ne sont pas ou ne devraient pas être au contact du phosphore. Toutefois, ce fait est à nuancer fortement car il n’est valable que pour les grandes fabriques qui ont strictement séparé les étapes de la production. Dans la totalité des petites fabriques familiales, et un nombre important de grandes fabriques, les opérations ne sont pas, ou mal, séparées, et de fait tout le personnel respire du phosphore.

Il est impossible de réaliser une étude statistique fiable du taux de prévalence de la maladie18.

En effet, le manque de données est total. Le nombre d’allumettièr·e·s n’est pas connu car les effectifs des petites fabriques notamment ne sont pas toujours recensés et beaucoup d’établissements se sont installés avant que la demande d’autorisation ne devienne obligatoire, échappant ainsi selon Roussel à tout contrôle19. Le nombre réel de nécrosé·e·s n’est pas non plus connu, un grand nombre de cas

n’ayant probablement pas pu être observés. Ce flou statistique est une constante dans les travaux de recherche portant sur les maladies professionnelles au XIXe siècle20. Ainsi, à Lyon en 1856, Glénard

trouve étrange qu’il ait recensé 12 cas de nécrose sur dix ans alors qu’il n’y a pas eu de changement notable dans la production comparé à l’époque de Dupasquier qui dix ans plus tôt n’avait identifié aucun cas dans la même ville. Il est probable que quelques cas de nécrose se soient déclarés avant 1846

16 TARDIEU, « Étude hygiénique et médico-légale... », art. cit., 1856, p. 13.

17 GLÉNARD Alexandre, Sur la fabrication du phosphore et des allumettes phosphorées à Lyon, rapport au Conseil

d’hygiène publique et de salubrité, 1856.

18 Taux de prévalence : taux d’apparition d’une maladie, ici la nécrose phosphorée, parmi une population donnée, ici les allumettièr·e·s.

19 Il semblerait d’après que les fabriques d’allumettes soient intégrées dans la liste des établissements classés par l’Ordonnance du 25 juin 1823 du Roi ayant pour objet de prévoir les dangers qui peuvent résulter de la fabrication et du début des différentes sortes de poudres et matières détonantes et fulminantes, ce qui est étrange vu que l’invention des allumettes chimiques à proprement dit est postérieure à cette date.

20 LECUYER Bernard-Pierre, « Les maladies professionnelles dans les “Annales d’hygiène publique et de médecine légale”

mais leur rareté, ainsi que l’absence d’attention sur cette maladie, leur a permis de rester inaperçus21.

Tardieu a identifié le même problème : de nombreux cas de nécroses ne sont sans doute pas recensés, et les autres sont consignés dans de multiples registres rendant impossible d’en effectuer une synthèse. Par exemple, on peut légitimement penser que les cas de nécroses dans les petits ateliers familiaux ne sont pas recensés, ou alors peut-être dans les registres hospitaliers, lesquels recueillent aussi les cas des ouvrièr·e·s des grandes fabriques qui arrêtent le travail momentanément pour se faire soigner, pour un temps, à l’hôpital. Le nombre important de ces registres rend la réalisation d’une synthèse sur la maladie très difficile. L’organisation économique de l’industrie allumettière, avec la cohabitation de grosses fabriques et de petites unités de production familiales moins connues et étudiées, est ainsi un élément de l’invisibilité de cette maladie professionnelle. Ainsi, alors que la maladie est connue depuis une dizaine d’années, les dénombrements des nécrosé·e·s sont probablement peu représentatifs du nombre réel de malades.

Le problème est aggravé par le déni ou l’ignorance de la maladie, surtout lors des premières enquêtes. Les employeurs déclarent le plus souvent n’avoir connaissance d’aucun cas de maladie, ce qui est une stratégie récurrente sur les questions de santé au travail22. Deux types de déni, celui de

l’existence de la maladie et celui de son origine professionnelle, sont repérables tant dans les

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