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Chapitre 1 : Qu’est-ce que l’erreur ?

1.4. Un modèle contextualisé d’analyse des erreurs

Dans notre étude expérimentale81, l’analyse des erreurs produites par les informateurs n’a pas constitué un objectif en soi mais un instrument pour fournir du feedback et un moyen d’analyse des données.

Commençant par le recueil des données – que nous considérons comme une étape préliminaire à l’analyse des erreurs mais qui ne fait pas partie de l’analyse elle même82 nous avons élicité, par des tâches demandant le récit d’histoire à partir d’images83, des productions écrites et orales auprès de nos informateurs84.

80 Pour une exposition plus exhaustive sur le sujet voir le chapitre 2 sur le feedback correctif. 81 Pour plus de détails sur l’étude expérimentale voir la Partie II et III.

82 En effet, nous n’avons pas recueilli des données afin d’effectuer l'analyse des erreurs, mais l’analyse des erreurs a été un outil pour interpréter les effets du feedback, objet de notre recherche. 83 Voir Chapitre 5

Nous avons ensuite procédé à l’analyse des erreurs qui a comporté trois étapes principales : l’identification des erreurs, leur description et leur explication.

1.4.2. L’identification des erreurs des informateurs

L’analyse des erreurs proprement dite commence à notre avis au moment de leur identification. Pour ce faire, les critères que nous avons adoptés sont ceux de la grammaticalité, à savoir le respect des règles de la langue cible et celui de l’acceptabilité en relation avec le contexte de production (voir § 1.1.3). Dans cette perspective, nous nous sommes inspirée de l’algorithme de Corder présenté en § 1.3.1.1 et avons analysé la grammaticalité des productions des apprenants, répondant nous-même en qualité d’enseignante et locutrice native à la question : « L'énoncé respecte-t-il les règles grammaticales (morphologiques, lexicales, syntaxiques et orthographiques) de la langue cible ? ». Dans le cas d’une réponse négative, une ou plusieurs erreurs sont présentes ; dans le cas de réponse positive, la question successive est : « L’énoncé est-il approprié au contexte de production ? Correspond-il à ce qu’un locuteur natif aurait produit dans ce même contexte ? » Si la réponse à cette question est positive, aucune erreur n’est présente ; si la réponse est négative, une ou plusieurs erreurs sont présentes. Enfin, nous avons produit une reconstruction correcte en langue cible de l’énoncé erroné de l’apprenant ; nous avons comparé les deux et nous avons relevé les écarts. Cela nous a permis d’identifier les erreurs. La Figure 4 visualise la démarche adoptée :

Figure 4. Schéma pour l’identification des erreurs.

84 Il s’agit de 26 apprenants francophones de l’italien comme LV3 au niveau débutant dans une classe de Terminale d’un Lycée bordelais. Plus de détails sur l’échantillon de référence seront donnés dans le Chapitre 5.

1.4.3. La description des erreurs : catégories linguistiques, stratégies de surface et comptage

Une fois les erreurs identifiées, nous avons procédé à leur description. Pour les raisons que nous avons précisées en § 1.3.2.6, il convient de distinguer d’une part, la description objective des erreurs effectuées par rapport à la langue cible, et, de l’autre, l’explication liée à l’interprétation des erreurs par rapport à l’interlangue. Pour ce dernier point, il convient dans la phase de description d’avoir recours aux taxonomies uniquement basées sur des caractéristiques observables de surface, comme point de départ pour les étapes d’analyse suivantes. En effet, nous avons choisi d’effectuer la description par rapport à la langue cible et aux écarts de la norme objectivement observables. En particulier, pour obtenir une description complète, qui prend en compte toutes les dimensions de l’erreur commise, nous avons combiné les taxonomies, rigoureusement descriptives et non explicatives, de :

 catégories linguistiques ;  stratégies de surface85 ;  comptage.

Dans le modèle que nous proposons, les catégories ne sont pas prédéterminées mais élaborées progressivement sur la base des erreurs effectivement produites par les apprenants constituant notre échantillon de référence. Pour l’identification des catégories linguistiques, notre référence a été la deuxième édition de la Grammatica Italiana de Serianni (2005) qui comme le précise l’auteur adopte une approche « subtilement normative » visant non pas à interdire ou à condamner, mais à suggérer une utilisation plus consciente des différents registres de langue. Les macro-catégories retenues ont été les suivantes : lexique, orthographe et morphosyntaxe86.

Pour les catégories rassemblant les stratégies de surface, nous nous sommes fondée sur celles proposées par Dulay, Burt et Krashen (op. cit.), à savoir l’omission (un élément indispensable dans la phrase a été oublié), l’addition (un élément superflu a été ajouté), la sélection (un élément incorrect a été choisi au lieu d’un autre), et enfin l’ordre (les éléments présents sont corrects mais leur ordre ne l’est pas)87.

85 Proposées par Dulay, Burt et Krashen (1982), voir § 1.3.2.3.

86 Cette dernière comprend des différentes sous-catégories dont les principales sont : les verbes, notamment, mode et temps verbal, accord de la personne du verbe avec le sujet et conjugaison ; les articles définis et indéfinis, les prépositions, les concordances dans le syntagme nominal et la formation des mots.

87 La combinaison des deux taxonomies a donné des classifications du type : omission de la préposition, sélection du mot, ordre des mots, addition de l’article, etc. Pour une description complète des catégories d’erreurs relevées dans notre corpus, nous renvoyons au chapitre X.

Enfin, le comptage nous a permis de déterminer également la fréquence de chaque catégorie d’erreur.

1.4.4. L’explication des sources des erreurs

Dans la phase d’explication, nous avons essayé d’interpréter les erreurs produites par les apprenants par rapport non plus à la langue cible comme dans la phase de description, mais à l’état de leur interlangue. Dans cette phase, deux opérations ont été menées : la détermination des sources des erreurs et l'analyse de leur systématicité. Dans un premier temps, pour retracer la source des erreurs, nous avons établi une distinction entre :

 les erreurs interlinguales, pouvant être causées par l'interférence entre les langues faisant partie du répertoire verbal de l’apprenant88 ;

 les erreurs intralinguales pouvant être causées par la maîtrise encore partielle du système de la langue cible, par exemple les erreurs de simplification, de surgénéralisation ou encore d’application incomplète d’une règle de la L2 ;

 les erreurs ambiguës lorsque les erreurs ont plus d’une source et/ou que la détermination exacte de la source s’avère incertaine.

Nous avons exclu de notre analyse la catégorie des erreurs induites car les apprenants étaient exposés à plusieurs enseignants, nous ne pouvons par conséquent pas mesurer de manière précise l’influence des méthodes d’enseignement adoptées.

Dans un second temps, nous avons examiné la systématicité des erreurs dans chaque production et dans l’ensemble des productions du même apprenant. Pour ce faire, nous avons pris en compte, non seulement l’erreur, mais également les occurrences correctes (si présentes) de la même forme. Pour décrire l’interlangue, il est en effet essentiel de connaître non seulement ce que l’apprenant n’arrive pas à faire, mais ce qu’il sait (déjà) faire : l’erreur, prise individuellement et isolément, ne fournit aucune indication sur ce qu’un apprenant a appris dans la L2, ni sur la manière dont il organise ses nouvelles connaissances89. C’est pourquoi nous avons repris les catégories élaborées par Corder (1974) et avons opéré une distinction entre :

88 Pour identifier les erreurs interlinguales nous nous sommes appuyée sur les informations fournies par les apprenants relativement aux langues dans leur répertoire verbal. Néanmoins, notre connaissance étant limitée à l’anglais et au français, seulement ces deux langues ont pu être prises en compte pour identifier les erreurs interlinguales

89 Seule la prise en compte de contextes interlinguaux plus vastes peut aider à mieux comprendre la nature de l’erreur et seules des études longitudinales peuvent aider à comprendre comment celle-ci se développe dans le temps, en d’autres termes comment se déroule le processus d’acquisition.

 les erreurs pré-systématiques, quand l’apprenant fait des erreurs diverses pour produire la même forme linguistique, ce qui montre qu’il n’applique pas une règle précise ;  les erreurs systématiques quand l’apprenant commet une erreur dans la production de

la même forme linguistique de manière récurrente, ce qui montre que l’apprenant applique une règle interlinguistique différente de celle de la langue cible ;

 les erreurs post-systématiques quand elles se produisent de manière alternée, c’est-à- dire que la structure est parfois produite de manière correcte, et parfois de manière erronée. Cela montre que l'apprenant possède la règle, mais il n’arrive pas encore à l’employer dans tous les contextes d’application90.

Notre modèle n’inclut pas l’évaluation des erreurs car l’objectif de notre étude91ne le requiert pas. Nous avons ainsi attribué la même valeur à toutes les erreurs et nous ne nous sommes pas interrogée sur leur valeur relative. Toutes les erreurs produites ont été analysées en tant qu’écarts, de natures différentes, des règles de la langue cible. Néanmoins, si on garde à l’esprit que l’évaluation ne peut pas être absolue car elle dépend du contexte dans lequel elle est mise en place, des critères d’évaluation choisis et du point de vue de l’évaluateur, nous n’excluons pas que l'évaluation puisse rentrer parmi les phases de l’analyse si son objectif le requiert. Les critères d’évaluation des erreurs devraient alors être élaborés sur la base de cet objectif.

La correction des erreurs n’a pas non plus été jugée pertinente dans notre analyse car, comme nous l’avons expliqué (§ 1.3.3.1), les deux opérations sont, à notre avis, distinctes et séparées et, dans le cas de notre recherche, l’analyse des erreurs n’a été qu’un instrument pour fournir du feedback dans un contexte donné.

Observations conclusives

Comme nous l’avons vu dans ce chapitre (§ 1.1.), le concept d’erreur est relatif et soumis à l’interprétation. En effet, la distinction entre erreur et faute, et même celle entre erreur et non

90 Pour analyser de manière pertinente la systématicité des erreurs, nous nous sommes appuyée sur des données longitudinales. En effet, nous avons comparé les productions de chaque informateur dans trois moments (pré-test, post-test immédiat et post-test différé) pour évaluer l’éventuelle évolution de l’interlangue.

91Nous avons fourni à nos apprenants du feedback non focalisé, c’est-à-dire sur toutes les erreurs produites. En outre, nous avons mesuré la correction grammaticale des productions des apprenants en termes de nombre total d’erreurs sur le nombre total des mots produits.

erreur, est souple et différents critères comme celui de norme et de variation, de grammaticalité et d’acceptabilité, doivent être pris en compte pour avoir une vision exhaustive de ce phénomène.

Nous avons montré (§ 1.2) que le statut de l’erreur, loin d’être neutre, a évolué selon les divers courants théoriques et conséquemment selon les méthodes d’enseignement des langues étrangères. La connotation négative qui lui était attribuée durant une longue période passée a été abandonnée92 et l’erreur est désormais considérée comme une étape naturelle du processus d’acquisition linguistique.

Deux manières de considérer l’erreur nous semblent alors possibles :

 par rapport à l’interlangue de l’apprenant, elle est une application (et manifestation) d’une règle interlinguistique, un outil pour tester les hypothèses sur la L2 et progresser ainsi dans l’acquisition. Selon une orientation psycholinguistique (voir § 1.2.1.3.1), observer les erreurs récurrentes et systématiques produites par l’apprenant devient ainsi un moyen de déceler les étapes du processus d’appropriation de la L2.

 par rapport à la langue cible, l’erreur est un écart des règles grammaticales, lexico- sémantiques, phonologiques ou pragmatiques de la L293 et/ou de ce que les locuteurs natifs auraient produit dans un même contexte de communication.94 Selon une orientation pédagogique, la correction de ces écarts de la part de l’enseignant pourrait aider l’apprenant à se rapprocher des formes «standard» de la L2.

Ces deux conceptions ne s’excluent pas. Une étude des erreurs complète doit en effet se situer sur deux niveaux qui nous semblent complémentaires : le niveau psycholinguistique, qui considère et décrit l’interlangue par elle-même, et le niveau pédagogique qui met en rapport la description précédente avec toutes les contraintes propres de l'apprentissage d’une langue et notamment celle de se rapprocher progressivement de la maîtrise de la L2.

Une analyse des erreurs soigneuse et fondée sur les phases que nous avons exposées en § 1.495 permet ainsi d’élucider les processus d’acquisition linguistique et d’élaborer une réaction adéquate aux erreurs qui puisse aider les apprenants à progresser dans leur parcours d’appropriation de la L2. Comme le souligne Marquillo Larruy (2003 : 119) :

92 Ce changement s’est produit à partir des travaux sur l’interlangue (voir § 1.2.1.3.1).

93 Telles qu’elles sont décrites dans les ouvrages de référence (dictionnaires, grammaires,manuels, etc).

94 Les productions des apprenants qui ne respectent pas ces règles sont ainsi considérées comme des erreurs tandis que les productions qui, en fonction du contexte et de la situation de communication, présentent des variations du système de la L2 qui restent dans les limites de la grammaticalité ne le sont pas.

Interpréter les erreurs sera toujours une pratique risquée car jamais définitive et jamais totalement certaine mais elle est pourtant indispensable car seule une réaction réfléchie nous semble permettre un étayage pertinent qui accompagnera l’élève sur le chemin de son apprentissage.