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Un discours métapolitique.

3. Un discours édifiant.

Le discours que Saint-Loup développe dans ses romans est un discours volontiers édifiant. Ceci tient au fait que sous le couvert de la fiction, son écriture est hautement militante, et s’engage férocement sur le champ de bataille de la mémoire.

a. Esthétique martiale et tonalité tragique.

Cette ambition d’édification, notamment des jeunes générations, est perceptible lorsque Saint-Loup cimente ses récits d’images fortes, conçues afin de marquer les esprits. En effet, Saint-Loup fait la mythologie du national-socialisme et de l’engagement français aux côtés de la croix gammée. Dès lors il se fait l’apôtre d’une conception biaisée et arrangée du

478 Ibid.,p. 207.

479 La quatrième de couverture évoque les « les nostalgiques du millénaire hitlérien »… Afin de se renseigner sur

le folklore SS, voir Peter Reichel, La fascination du nazisme, Paris, Odile Jacob, 1997, « L’esthétisation de l’extraordinaire : la SS », p. 238-248.

IIIe Reich, ce qui lui permet de transmettre sa vision politique. L’imaginaire haut en couleurs qu’il insuffle à ses romans est donc le chant des sirènes qui lui permet d’atteindre la sensibilité de ses lecteurs, avec l’espoir de les émouvoir et de distiller sa conception européenne des patries charnelles. Cette stratégie narrative est particulièrement visible dans certains de ses romans militaires, qui servent de support à une esthétisation de la guerre et du sacrifice des guerriers portant la swastika durant les ultimes combats de la Seconde Guerre mondiale. En effet le premier ressort narratif de la section militaire de l’œuvre romanesque de Saint-Loup est celui de la tonalité tragique qui imprègne ces romans. Tonalité qui accentue d’autant plus l’aspect chevaleresque du sacrifice des engagés français480. Le roman le plus représentatif de cette esthétisation des combats crépusculaires du front de l’Est est sans doute

Les Hérétiques. Clairement, Saint-Loup se pose en poète des affrontements qui eurent lieu

dans les ruines du IIIe Reich et de Berlin. En effet la trame du récit est constituée par l’implosion finale de l’empire hitlérien et l’ultime résistance des SS français autour du sanctuaire qu’est devenu le bunker de Hitler. Par conséquent, le roman est baigné d’une lumière lugubre, éclairant les décombres du Reich. Et Saint-Loup donne l’impression de se complaire dans cette ambiance crépusculaire et dans cette posture nostalgique, dans ce discours des réprouvés condamnés par l’Histoire. C’est pourquoi son discours est volontiers esthétisant. Car au final la seule chose qui peut sauver ces obscurs combattants d’une cause déjà perdue, c’est bien le style. Voici pourquoi Saint-Loup fait des SS les héros d’une épopée tragique, qu’il veut édifiante afin de faire perdurer la mémoire de ce corps d’armée qu’il estime avoir été l’instrument incompris de la vision européenne qui l’habite.

De fait, tout le roman révèle le frisson esthétique de son auteur devant un monde qui s’éteint, le récit prenant une dimension eschatologique dans le théâtre d’un Berlin en proie aux flammes. C’est ainsi qu’il narre la débâcle du front de l’Est et les ultimes escarmouches dans les ruines berlinoises : comme la fin d’un monde, mais aussi une apocalypse hautement stylisée, faisant la part belle à une esthétique martiale :

« Puis, le doigt sur la bouche, dans l’attitude de quelqu’un qui va révéler un lourd secret, il le pousse vers une meurtrière et souffle :

480 Et Marc Augier put inscrire dans le sillage du sacrifice glorieux de la LVF et de la SS, ceux de l’Indochine et

de l’Algérie : « Ce qu’il faut bien comprendre, (…) c’est qu’en fait, les combattants du front de l’Est furent les premiers « soldats perdus ». Ceux qui partirent, plus tard, se battre en Indochine, pour conserver un Empire à la France, ceux qui allèrent, avec toutes les bénédictions officielles, arpenter les djebels, sur la promesse d’une « Algérie française », ne firent que récolter des fruits amers. Dans un cas comme dans l’autre (…), les bourgeois se hâtèrent de livrer les « assassins » que nous étions aux communistes, après que le Maréchal Pétain nous eut comparé aux croisés de l’Occident. », Europe Action, novembre 1963, p. 65, cité par Algazy, La tentation néo-

— Regardez !

A moins de trois mètres de la façade, un T 34 gît, immobile. La tourelle révèle le trou mortel pratiqué par la charge creuse. De courtes flammes bleues montent du train de roulement et viennent lécher les flancs de la carcasse. La voix du lieutenant tremble un peu en disant :

— C’est beau, n’est-ce pas ?

Weber parle en termes de guerre sainte ! C’est son troisième char de la journée. L’air sent le benzol et le caoutchouc brûlés. L’espace vibre autour d’eux, comme cinglé par mille coups de fouet cruels. Une clarté crépusculaire pèse sur la Wilhelmstrasse et, cependant, l’après-midi n’est pas très avancé. Mais la poussière prend la densité d’une matière pâteuse, presque solide. »481.

Cette obscurité palpable donne sa teinte à l’ensemble du roman et nous pourrions en multiplier les exemples, qu’accompagne une atmosphère lunaire : « Le grand pays gris se couvre de fumée, de lueurs jaunes et mauves. Le ciel a disparu. La terre répond comme une harpe éolienne aux grondements de l’espace. L’odeur de la poudre efface toutes les senteurs particulières. »482. C’est que les contingents de l’armée rouge sont décrits comme autant de « convois d’Apocalypse »483, leur approche déclenchant une véritable panique chez les civils :

« Un vent de folie soufflait sur la station balnéaire depuis que le canon s’était mis à gronder vers l’Ouest (…). Les milliers de réfugiés, dont certains marchaient depuis Kolberg, voyaient ainsi les portes de leur prison se refermer à quelques kilomètres des terres libres convoitées depuis des semaines, à travers d’indicibles souffrances. Des hommes couraient au bord de l’eau, entraient dans la vague comme s’ils prétendaient gagner la Suède à la nage. Des femmes échevelées se déchiraient le visage à coups d’ongles. Mais la plupart se repliaient sur eux-mêmes, semblaient diminuer de volume au fur et à mesure que s’amenuisait leur espace vital, et s’enfermaient dans un silence farouche, dissimulant leur désespoir au fond des yeux rougis par trop de larmes versées. »484.

Ce climat apocalyptique alimente donc une tonalité tragique qui est au cœur de l’œuvre romanesque de Saint-Loup, que ce soit à travers la défaite inexorable de l’Europe hitlérienne ou le graal aryen toujours fuyant. C’est dans cette tonalité profondément pessimiste que réside le suspens des romans de Saint-Loup, et là que réside aussi l’un des

481

Les Hérétiques, op. cit., p. 336-337.

482 Ibid., p. 143.

483 Ibid., p. 334. La formule est une antienne du roman, déclinée à plusieurs reprises, par exemple p. 235,

« convois apocalyptiques ».

484

arguments de vente des romans. Ainsi on peut lire dans les brèves biographies de Saint-Loup données dans certains des romans :

« Toute son œuvre est dominée par la nostalgie du surhomme. (…) Et, cependant, cet impossible surhomme est remis inlassablement en chantier après chaque échec. (…) Saint- Loup traduit le mouvement même de la vie. Et c’est pour cela, sans doute, que de tous les écrivains contemporains c’est lui qui possède le plus grand crédit auprès des jeunes générations avides de rudes batailles et de sommets difficiles ; des générations auxquelles les autres maîtres à penser de l’heure ne proposent absolument rien. »485.

b. La voix du gourou.

C’est que Saint-Loup joua un rôle de gourou pour les jeunes militants des années 1960 à 1980. Et on trouve la trace de ce magistère au sein de ses romans, car ceux-ci sont profondément habités par leur auteur. En effet on peut le reconnaître derrière certain de ses personnages. Nous prendrons deux exemples : ceux de Gévaudan et de Janus. Le personnage de Gévaudan intervient dès les premières pages du roman Les Nostalgiques et semble servir de masque à Marc Augier. On croit le reconnaître derrière son rôle de superviseur « de toute la presse militaire de la collaboration franco-allemande »486 et ses pérégrinations en Italie et en Argentine. Ainsi, « l’ancien officier politique de la Division SS Charlemagne [Gévaudan] entra au service du gouvernement Peron, en qualité de « conseiller technique » à « Trabajo y prevision ». »487. Le parcours du personnage rappelle donc étonnamment l’itinéraire de Marc Augier. Et puis le nom même de « Gévaudan » évoque la bête du même endroit, un loup. On pourrait y voir une allusion à son nom de plume « Saint-Loup »… Or ce personnage de Gévaudan est justement un initié au secret du graal SS qu’il essaie de retrouver.

De même façon, dans le roman Une Moto pour Barbara, Saint-Loup semble s’exprimer à travers le personnage de l’oncle Janus, qui est lui aussi un personnage initié et initiateur, en l’occurrence de Barbara. En effet celui-ci encourage la jeune fille à effectuer un voyage initiatique vers le Nord : « j’ai pensé que tu devrais réaliser, seule bien entendu, le plus grand raid de toute l’histoire de la moto. (…) Tu devrais tenter la traversée de la Sibérie, non pas d’ouest en est comme Robert Sexé, mais selon un axe nord-sud, bien plus difficile et redoutable. Ce que mon ami Sexé ne pouvait réaliser en 1926 avec les machines primitives de

485 Il s’agit d’un extrait de la biographie contenue dans le roman Nouveaux Cathares pour Montségur, op. cit.. 486 Les Nostalgiques, op. cit., p. 13.

487

l’époque, t’est ouvert avec un « tout terrain » moderne. »488. Or dans les années 1930 Robert Sexé était journaliste au Cri des auberges et un sportif passionné de moto qui laissa une grande impression au jeune Marc Augier. Et il semble que cette amitié, fondamentale dans la formation du jeune Augier se soit poursuivie au-delà de l’expérience ajiste, de La Gerbe au

Combattant Européen et perdura même après la guerre et l’exil. Dans ce passage du roman,

Saint-Loup confond donc son propre personnage avec l’oncle de Barbara, et de fait se place dans la posture du maître spirituel, de l’éveilleur.

En effet, les romans témoignent d’une ambition certaine de pédagogie. Saint-Loup cherche à transmettre un idéal. Et en dernier ressort son œuvre peut être associée à une entreprise de propagande. En effet, Saint-Loup veut faire passer ses idées chez ses lecteurs par le truchement de l’affect, d’où le choix du genre romanesque, avec notamment ce que celui-ci offre de liberté par rapport à la vérité historique. En effet l’œuvre littéraire de Marc Augier entretient un rapport ambigu avec le genre historique, auquel ses romans prétendent souvent. Effectivement, c’est ainsi que ses romans sont fréquemment présentés, les quatrièmes de couverture donnant aux romans des aspects de véritables livres d’histoire489. Ce qui n’est manifestement pas le cas, Saint-Loup privilégiant des récits romancés. Ce qui fit écrire à Jean Mabire : « il voyait les choses en romancier et non en historien (…). J’évitais soigneusement de parler avec lui de la période historique sur laquelle je travaillais : il n’aurait rien pu m’apporter de précis, ayant déjà – et avec quelle maîtrise – suggéré dans ses livres le plus important, c'est-à-dire l’atmosphère. »490.

En effet, les romans de Saint-Loup se rapprochent davantage du genre romanesque que du livre d’histoire, et se confondent même souvent avec une narration proche du témoignage, où l’auteur met régulièrement en avant sa propre expérience. Saint-Loup paraît persuadé de faire œuvre d’historien parce que sa parole est fondée sur une expérience incontestablement plus proche des faits narrés que ne peut l’être celle de l’historien de formation, qui peine à s’extirper de l’univers livresque des bibliothèques, privilégiant l’approche intellectuelle à

488

Une Moto pour Barbara, op. cit., p. 205.

489 Il suffit pour s’en rendre compte d’étudier quelques quatrièmes de couverture. Ainsi le commentaire

accompagnant le roman La division Azul s’achève avec la revendication de l’apport du livre à « l’historique de la guerre civile de l’Europe. ». Mais c’est aussi le cas pour Les SS de la Toison d’Or, où il est précisé que l’auteur « fait œuvre de véritable historien ». De même la description du roman Le Boer attaque !... affirme : « Ce livre d’histoire, strictement documenté, est aussi un roman par le dessein des héros qui l’animent (…). Son auteur est avant tout un témoin de notre temps de violence. Saint-Loup était en Russie pour écrire « les Volontaires », « les Hérétiques », « les SS de la Toison d’or », « la Division Azul ». Il était au Transvaal, témoin de l’épopée des premiers cavaliers du monde qui ont inscrit sur cette terre une geste infiniment supérieure à celle des pionniers américains engagés contre les Indiens dans l’épopée du Far West. Il a écrit là un livre de combat pour rendre à l’Europe sa bonne conscience. ».

490 Courrier daté du 26 janvier 1998 adressé à Ludovic Morel, présent dans les annexes du mémoire de ce

celle d’un terrain qu’il ne pourra de toute façon pas connaître. Et quand bien même, la gageure de l’historien n’est pas de témoigner mais d’analyser les faits passés selon une méthode rationnelle.

On affirmera donc que le discours saint-lupéen prend pied à la fois dans l’histoire et dans des mythes politiques. A la fois dans une histoire vécue, ressentie de manière charnelle, celle de la Seconde Guerre mondiale, et des mythes politiques puissants qui viennent colorer le récit et le faire basculer dans le domaine de l’imaginaire. Et c’est cette ambivalence qui donne à l’œuvre de Saint-Loup son aspect singulier, son caractère attachant et qui explique son succès.

Le discours Saint-Loup est donc un discours de type mythologique, qui se fonde sur une sensibilité et un imaginaire. Ainsi dans les années 1960, période d’abattement pour l’extrême droite, il propose un imaginaire qui puisse à la fois faire s’exprimer certains des principes fondateurs de l’extrémisme de droite (grille de lecture ethniciste du monde, refus de la modernité, plaidoyer pour l’enracinement…) et en dilater l’horizon à une nouvelle échelle, celle du continent européen. C’est donc la nature même de ces récits qui explique leur succès auprès de la jeunesse militante de la droite radicale.

Ainsi, témoignant de son rôle de maître à penser, c’est avec ces mots que Jean Mabire a pu décrire Saint-Loup : « J’étais trop jeune pour avoir été un de ses camarades. Mais aussi trop vieux pour devenir un de ces disciples qui buvaient ses paroles et lui ont fait, sans s’en rendre compte, jouer un rôle de « gourou » pour lequel il avait des dons certains. (…) il a eu le mérite d’accréditer ce qui n’était sans doute que le fruit de son imagination et surtout d’éveiller de très nombreux jeunes à cette idée d’Europe. C’est là un apport capital, dont on peut mesurer chaque jour l’importance. »491.

491

Conclusion.