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Un décrochement entre l’Ibérie et l’Europe au Mésozoïque

Chapitre I: L’héritage structural pre rift

C. Un décrochement entre l’Ibérie et l’Europe au Mésozoïque

C.1. Mise en évidence d’un décrochement entre l’Ibérie et l’Europe

Une reconstruction cinématique est une représentation de la position relative des plaques les unes par rapport aux autres à une époque donnée. Une plaque est choisie fixe et les autres subissent les mouvements qui les amènent de leur position actuelle à celle qu’elles occupaient à l’époque considérée, par rapport à la plaque fixe. Dans la projection cartographique, la plaque fixe est représentée dans sa position actuelle, les plaques mobiles avec leurs coordonnées modifiées par les rotations correspondantes (Fidalgo-gonzalez, 2001).

La plaque Ibérique est une plaque secondaire fossile dont les mouvements ont été étroitement associés par le passé aux plaques Afrique et Eurasie. Elle a été désolidarisée à la fois de l’Afrique du Nord et de l’Europe, de sorte qu’elle a pu épouser le mouvement, tantôt de l’une, tantôt de l’autre avant d’être comprimée entre elles. On peut donc la considérer comme un élément rigide appartenant à la zone frontière entre l’Afrique et l’Eurasie qui, elles-mêmes, évoluent par rapport à une autre plaque majeure, l’Amérique du Nord.

Une plaque satellite est associée à la plaque Ibérique, le bloc Corso-Sarde dont la position par rapport à l’Europe, à l’Ibérie et au bassin Liguro-Piémontais doit également être prise en considération.

Le mouvement de la plaque Ibérique et du bloc Corso-Sarde a donc une importance capitale dans la compréhension de l’héritage structural des différents événements qui ont conduit à la configuration actuelle du golfe du Lion. Le mouvement de ces plaques étant intimement lié aux mouvements des plaques Afrique et Europe, il est nécessaire d’étudier l’ouverture de l’océan Atlantique pour en déduire comment se sont comportées l’Ibérie et le bloc Corso-Sarde pendant le Mésozoïque.

Deux modèles cinématiques s’opposent (Figure I-7) pour le mouvement de la plaque Ibérie par rapport à l’Europe. La divergence qui les oppose est généralement illustrée à partir de leur reconstruction cinématique respective à l’anomalie M0 (118Ma).

Figure I-7: Reconstructions de l'Atlantique Nord à l'anomalie M0 d'après Srivastava et al. (2000) et d’après Olivet (1996). Figure tirée de Sibuet et al. (2004b).

La première reconstitution (Olivet, 1996) propose un grand mouvement de décrochement sénestre entre l’Ibérie et l’Europe alors que la seconde reconstruction (Srivastava et al., 2000) propose une ouverture du Golfe de Gascogne selon un mode en ciseaux contemporaine d’une convergence dans le domaine pyrénéen. La seconde nie l’existence d’un décrochement.

Ces deux modèles sont en fait le résultat de deux méthodes de travail différentes :

Olivet (1996) prend en considération (en plus des données magnétiques de l’anomalie M0 et géophysiques) les données de terrain dans les Pyrénées qui témoignent d’un jeu essentiellement décrochant et distensif jusqu’à la fin du Cénomanien vers 90 Ma (Choukroune and Mattauer, 1978; Debroas, 1990; Garcia-Mondéjar, 1989; Le Pichon et al., 1971a; Le Pichon et al., 1970; Le Pichon and Sibuet, 1971; Paquet and Mansy, 1992).

Srivastava et al. (2000) s’appuient d’avantage sur le « fit » des anomalies magnétiques M0 de par et d’autre de l’Atlantique (Srivastava et al., 1990) tout en contraignant la direction du mouvement de la plaque Ibérique en suivant la zone de fracture Açores-Gibraltar. Cette interprétation rejoint d’autres études basées sur une interprétation des traces laissées par le point triple des Açores séparant les plaques Amérique du Nord-Ibérie-Europe (Sibuet et al., 2004a; Sibuet and Collette, 1991). Sibuet et al. (2004b) proposent par la suite l’existence d’un bassin arrière arc entre l’Ibérie et l’Europe associé à une subduction de la plaque Ibérie sous la plaque Europe entre 118 et 100Ma. Ceci dans le but de résoudre le problème posé par les études de terrain (présence de bassins albiens en cisaillement intracontinental en Aquitaine

Pour discuter de l’existence d’un décrochement entre l’Ibérie et l’Europe, il est important de prendre en considération la reconstruction de l’Atlantique Nord juste après l’Hercynien. La Figure I-8 reprèsente cette reconstruction avant l’ouverture de l’Atlantique et donc avant le mouvement de la plaque Ibérique et du bloc Corso Sarde. Cette reconstruction est contrainte par l’homologie des pentes continentales et la géologie de l’Arctique. Sa précision est suffisante pour remarquer un fait important : dans cette configuration (et en comparaison avec sa position actuelle), l’Ibérie est décalée par rapport à l’Europe. Elle va ensuite se comporter comme une plaque indépendante pour se positionner comme actuellement par rapport à l’Europe. Pour atteindre cette position, un décrochement senestre parallèle au domaine Pyrénéen avant sa compression à la fin du Crétacé (Choukroune and Mattauer, 1978; Debroas, 1990; Le Pichon et al., 1971a; Mattauer, 1968; Mattauer, 1985) est nécessaire.

La Figure I-9 montre l’évolution de l’océan Atlantique et les positions déduites des blocs Ibérique et Corso-Sarde (Olivet, 1996). Deux points principaux de l’histoire mésozoïque ressortent de ces reconstructions:

La présence d’un grand décrochement senestre entre la plaque ibérique et l’Europe au Mésozoïque est mise en évidence. Nous allons discuter de sa position et de sa période de fonctionnement.

La compression pyrénéenne et son influence au niveau des Pyrénées d’une part, et au niveau du golfe du Lion (Languedoc-Provence) d’autre part est mise en évidence (nous discuterons de cet événement dans le paragraphe D).

C.2. La position du décrochement à l’Est des Pyrénées

La chaîne pyrénéenne présente, sur pratiquement toute sa longueur, une zone étroite et allongée caractérisée par des pointements de roches ultramafiques et de granulites, par une activité magmatique et par du métamorphisme. Cette zone étroite, avec son activité tectonique bien circonscrite dans le temps (Montigny et al., 1986; Montigny et al., 1992) et l’important rejet du Moho situé à son aplomb (Daignères et al., 1982) sont les données de terrain fondamentales en faveur d’un système décrochant parallèle au domaine pyrénéen avant sa compression à la fin du Crétacé (Choukroune and Mattauer, 1978; Debroas, 1990; Le Pichon et al., 1971a; Mattauer, 1968; Mattauer, 1985).

A la fin de l’Oligocène (après le rifting), le bloc Corso-Sarde se trouvait à peu près parallèle au golfe du Lion, la Sardaigne du Nord (Nura) étant alors située face à la Provence (les reconstructions cinématiques relatives à l’ouverture du bassin Provençal seront détaillées dans le Chapitre II). Avant la phase compressive pyrénéenne, le bloc Corso-Sarde devait donc se situer un peu plus au sud qu’à l’Oligocène. C’est ce que représente la Figure I-9D.

L’absence de manifestations tectoniques compressives d’âge Crétacé entre la Sardaigne et la plaque Ibérique indique que l’Ibérie et le bloc Corso-Sarde étaient solidaires, ils se sont donc déplacés le long de ce décrochement. Comme l’Ibérie et le bloc Corso-Sarde étaient solidaires, la zone transformante liée au déplacement de l’Ibérie par rapport à l’Europe n’a pu passer qu’entre le bloc Corso-Sarde et le Sud de la Provence (Arthaud and Matte, 1977).

La Figure I-10 montre la position du décrochement et du bassin du Sud-Est au Crétacé moyen (il s’agit d’un zoom de la Figure I-9C). Il est limité au nord-ouest par le haut fond occitan et au sud par le haut fond provençal. L’isthme durancien divise le bassin du Sud-Est en deux parties, le sous bassin vocontien et le sous bassin Provençal. Dans cette configuration, il est possible d’imaginer que le sous bassin vocontien ai été en communication avec l’océan Liguro-Piémontais plus au sud. Cette configuration est assez proche du bassin de Porcupine situé au large de l’Irlande.

Figure I-10 : Schéma représentant la position du décrochement Ibérie-Europe au Crétacé Moyen. (Olivet, communication personnelle). Le bassin du Sud-Est, par rapport à l’océan Liguro-Piémontais, était dans une position équivalente de l’actuel bassin de Porcupine par rapport à l’océan Atlantique.

C.3. L’âge du décrochement

Nous avons montré, à partir des reconstructions de la période suivant l’orogenèse hercynienne, qu’un décrochement entre l’Ibérie et Europe était inévitable (paragraphe C.1). En privilégiant l’hypothèse du décrochement, les reconstructions cinématiques évoquées précédemment impliquent un fonctionnement du décrochement à différentes périodes.

La reconstruction proposée par Srivastava et al. (Srivastava et al., 2000) implique une ouverture du Golfe de Gascogne contemporaine d’une convergence dans le domaine pyrénéen dès 118 Ma. Si le décrochement entre l’Ibérie et l’Europe est admis, il serait donc antérieur à 118Ma.

La mise en évidence (et l’éventuelle influence) dans le golfe du Lion de ce décrochement a été discutée (Arthaud et al., 1980/1981; Arthaud and Séguret, 1981) mais n’a jamais été clairement établie dans la littérature. Néanmoins, en plus de l’argumentation cinématique (Olivet, 1996), soulignons l’existence d’un métamorphisme d’âge Albien documenté à la base du forage GLP2 (Gorini, 1993) situé dans le prolongement de l’actuelle faille Nord-Pyrénéenne dans le golfe du Lion. C’est un argument important en faveur du fonctionnement du décrochement autour de 90-110 Ma et le prolongement de celui-ci dans le golfe du Lion.

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