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2 Un déclin des institutions de socialisation ?

Dans le document Sociologie de l'éducation (Page 72-76)

Le sociologue François Dubet (2002, Le déclin de l’institution, Paris, Editions du Seuil, L’Epreuve des faits) pose l’hypothèse suivante : les institutions de socialisation sont au- jourd’hui en déclin. Leur programme éducatif des institutions de socialisation n’a plus au- jourd’hui la même force de persuasion.

Précisons quelque peu la notion de « programme institutionnel ». Pour Dubet (op.cit. : 24), « il existe un programme institutionnel quand des valeurs ou des principes orientent direc- tement une activité professionnelle de socialisation conçue comme une vocation et quand cette activité professionnelle a pour but de produire un individu socialisé et un sujet auto- nome ». C’est dire qu’il faut ici s’interroger sur « le processus social qui transforme des va- leurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d’un travail professionnel spéci- fique et organisé » (ibid.).

François Dubet montre que le modèle scolaire français est touché par l’affaiblissement de « la vocation de l’école républicaine dont on sait qu’elle avait pour objectif de construire un type de légitimité politique, un type de citoyenneté, un type d’identité nationale ». Au- jourd’hui, tous les enfants n’acceptent plus de se soumettre à la discipline forte, et parfois violente, qui régnait jadis à l’école.

Pourquoi ? Envisageons à présent plusieurs éléments de réponse.

Premièrement, en raison de la modification du public scolaire. Il n’y a plus cette connivence qui existait « entre les maîtres et leur public, car les instituteurs étaient les fils du peuple qui enseignaient au peuple, et les professeurs – au collège et au lycée – les fils de la bourgeoisie qui enseignaient à la bourgeoisie » (Ruano-Borbalan,J.C., 2001, « Des sociétés sans autori- té ? », Sciences humaines, n°117, « Autorité : de la hiérarchie à la négociation », p.26). Les clivages sociaux des sociétés industrielles, séparant travailleurs manuels et travailleurs intel- lectuels, ont perdu de leur pertinence. Les frontières sont moins nettes entre ces deux groupes sociaux : le travail manuel en usine a cédé la place à des activités automatisées, ro- botisées. De nouveaux clivages sont apparus, sur base notamment de l’origine ethnique et/ou culturelle. De nouvelles catégories ont émergé dans le discours politique : c’est le cas, par exemple, des élèves ou des jeunes « d’origine étrangère ». L’intégration culturelle, la gestion de la diversité ethnique sont autant de défis sensibles contre lesquels l’école pu- blique vient bien souvent buter.

Deuxièmement, en raison de l’émergence d’une société de l’information et de la connais- sance. Dans cette société de l’information, l’Ecole contrôle de moins en moins le processus de production des connaissances et elle n’a plus le monopole des contenus auxquels on peut croire. La parole du maître prend les allures d’un monologue peu convaincant dans un monde où « tout se discute », ou plus précisément, où tout est relatif puisque « ça » se dis- cute. Les jeunes sont-ils par ailleurs dépourvus de connaissances ? Il serait présomptueux de l’affirmer quand un simple « click » ouvre le regard sur l’étendue, la diversité et la relativité des connaissances humaines.

Troisièmement, en raison de l’affaiblissement de la place et du rôle de l’école publique dans le processus de formation et d’acquisition des compétences : elle n’est plus à présent l’acteur essentiel mais un acteur parmi d’autres. Les politiques de formation préconisées par l’Union Européenne (déclaration stratégique de Lisbonne, 2000) sont empreintes de la réfé- rence au « long life learning » : plus que d’enseignement, il est question de formation tout au long de la vie. La constitution d’un espace européen de l’enseignement supérieur (pro- cessus de Bologne), la définition de profils de qualification professionnelle communs dans les différents pays membres (processus de Bruges-Copenhague), l’importance croissante de la formation en entreprise,… sont autant d’indices de l’ouverture d’un vaste marché de la for- mation.

Quatrièmement, le mode d’organisation du travail requiert de nouvelles compétences, fort éloignées de la référence bureaucratique. « Le temps des notes de service détaillées et obli- gatoires, le temps des agents s’abritant derrière un règlement qui prévoit tout est, selon Jean De Munck (2000, « Les métamorphoses de l’autorité », Autrement, n°198, 21-42), en passe de finir. L’autonomie, la discussion et la démocratisation sont aujourd’hui encadrées de manière plus informelle. Le contrôle naguère visible et scrupuleusement codifié se fait distant, il peut même sembler s’effacer » (Ruano-Borbalan J.C., 2001, op.cit., p.27).

Pour Jean de Munck (2001, in Ruano-Borbalan, J.C., op.cit.), il est donc vain de continuer à penser l’autorité en termes uniquement institutionnels. Depuis les années soixante, et plus tard, avec l’écroulement du mur de Berlin, l’autorité institutionnelle a été fortement ébran- lée : avec le mur, les derniers états totalitaires disparaissaient d’Europe. C’était la fin d’un modèle paternaliste d’exercice du pouvoir. Ce fut aussi le début d’une crise des modèles fondés sur les grandes références morales : il n’est plus possible, comme l’imaginait le socio-

logue français Emile Durkheim (fin du 19e siècle – début du 20e siècle) de fonder l’autorité

sur le conformisme moral, sur l’adhésion à un même univers de valeurs : pour Durkheim, il s’agissait d’une morale laïque et républicaine. Les figures du père de famille, du professeur,

L’Ecole est, comme d’autres institutions, traversée par des évolutions marquant la fin d’un modèle d’organisation sociale propre aux sociétés industrielles, et l’affirmation d’un nou- veau modèle : celui des sociétés post-modernes ou post-industrielles.

Cinquièmement, l’inflexion et la formalisation des missions éducatives dévolues à l’école. Le législateur de la Communauté française de Belgique a ainsi adopté, en 1997, un décret défi- nissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secon- daire et organisant les structures propres à les atteindre. A côté d’une nouvelle orientation pédagogique, articulée autour de la notion de « compétence », émergent trois autres mis- sions : le développement de la personne de chacun des élèves ; l’éducation citoyenne ; l’émancipation sociale. Le temps de la transmission de savoirs paraît non seulement révolu mais également trop restrictif : il faut à présent concevoir, gérer et évaluer des situations d’apprentissage contribuant ou visant à développer l’exercice de ces compétences, à pro- mouvoir la confiance en soi, à contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures, et à assurer à tous les élèves les mêmes chances d’émancipation.

Article 6. - La Communauté française, pour l’enseignement qu’elle organise, et tout

pouvoir organisateur, pour l’enseignement subventionné, poursuivent simultanément et sans hiérarchie les objectifs suivants :

1°) promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves ;

2°) amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ;

3°) préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ;

4°) assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

Le législateur, en Belgique et en Communauté française, a suivi ici les obligations qui décou- lent de son engagement à l’égard de l’importante Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989. Précisons qu’au sens de cette Convention, « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix- huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est appli- cable » (article premier). Dès lors qu’un gouvernement souscrit à une convention internatio- nale, celle-ci va influer et primer sur les législations nationales. On peut ainsi considérer

qu’une partie importante du Décret Missions est inspirée par l’affirmation et la reconnais- sance des droits propres à tout enfant.

L’article 29 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant précise les objec- tifs de l’éducation à laquelle chacun a droit :

a) Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;

b) Inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamen- tales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;

c) Inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ;

d) Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ;

e) Inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel.

Dans la ligne tracée par le Décret Missions de 1997, le législateur a revu le cadre légal de la formation initiale des enseignants : les instituteurs et régents en 2000 ; les agrégés de l’enseignement secondaire supérieur en 2001. Le législateur a notamment fixé les compé- tences attendues de leur part :

1. Mobiliser des connaissances en sciences humaines pour une juste interprétation des situations vécues en classe et autour de la classe et pour une meilleure adap- tation aux publics scolaires.

2. Entretenir avec l’institution, les collègues et les parents d’élèves des relations de partenariat efficaces.

3. Etre informé sur son rôle au sein de l’institution scolaire et exercer la profession telle qu’elle est définie par les textes légaux de référence.

4. Maîtriser les savoirs disciplinaires et interdisciplinaires qui justifient l’action pé- dagogique.

5. Maîtriser la didactique disciplinaire qui guide l’action pédagogique.

6. Faire preuve d’une culture générale importante afin d’éveiller l’intérêt des élèves au monde culturel.

7. Développer les compétences relationnelles liées aux exigences de la profession. 8. Mesurer les enjeux éthiques liés à sa pratique quotidienne.

11. Entretenir un rapport critique et autonome avec le savoir scientifique passé et à venir.

12. Planifier, gérer et évaluer des situations d’apprentissage.

13. Porter un regard réflexif sur sa pratique et organiser sa formation continuée.

En outre, à l’issue de leur formation, les futurs enseignants sont amenés à prester un ser- ment, le serment de Socrate :

« Je m’engage à mettre toutes mes forces et toute ma compétence au service de

l’éducation de chacun des élèves qui me sera confié »3

3.- Le changement de paradigme éducatif : conséquence ou corollaire de nou-

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