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4. Vers un cadre macroéconomique soutenable

4.3 Un altermondialisme durable : tentative de conception

La mondialisation est une conséquence du progrès technologique acquis à travers les révolutions industrielles, qui ont transformé les moyens de communication, de production d’énergie et de transport, pour permettre d’accélérer et faciliter les interactions économiques entre les différents acteurs autour du globe (Rifkin, 2018). L’arrivée de l’internet a d’ailleurs été un catalyseur pour l’avènement d’une troisième révolution industrielle qui amène la connexion instantanée entre les réseaux, l’intelligence artificielle et le Big Data avec « l’internet des objets » (ibid.). Cette révolution indique donc que le monde s’ouvre de plus en plus au lieu que les différentes nations se replient sur elles-mêmes. Bien que la mondialisation et le libre- échange aient été la cause de grands dérapages sur les axes social et environnemental, est-ce qu’une autre voie de la mondialisation serait possible, où le cadre macroéconomique doit entièrement se focaliser sur la décentralisation vers le local? En outre, est-il possible d’avoir une approche pragmatique à l’alter- mondialisme sans tomber dans un paradoxe que nous offrent des néologismes comme le « glocalisme »? La

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prochaine section tente de démystifier certains postulats entourant le libre-échange et la conception d’un altermondialisme durable.

Les postulats initiaux supportant les bienfaits du libre-échange émis par Smith (1776) et Ricardo (1817) ont été formulés dans l’optique que la richesse provient de l’augmentation de la production. Ainsi, la facilité à produire certains biens qu’a un quelconque pays va faire en sorte, via les échanges et la spécialisation, que tous les pays sortent gagnants. Cependant, le libre-échange, comme il se dessine aujourd’hui, fonctionne sous une dynamique différente. On échoue premièrement à prendre en compte les coûts de la pollution liés au transport des marchandises dans le calcul des gains tirés des échanges internationaux. Deuxièmement, le postulat sur lequel repose la théorie des avantages comparatifs comme quoi chaque pays a une quantité fixe de capital et de travail est désuet. Puis, les avantages de production sont beaucoup plus liés au coût de la main-d’œuvre plutôt qu’à la productivité de celle-ci. Les relocalisations de production vers les pays en développement sont donc basées sur des avantages relatifs liés au salaire et au taux de change, et non à des avantages absolus en termes de productivité comme le postulat le suppose. Avec les flux de capitaux mobiles qui permettent à l’oligarchie corporatiste de conserver ses richesses et ainsi d’exploiter les pays sous- développés, il est très difficile de penser que la mondialisation, telle qu’elle est, fait en sorte que l’ensemble de la population mondiale en sort gagnante. (Victor, 2008)

De ce fait, il est impératif de refuser les traités de libre-échange tels qu’ils sont et d’arrêter de viser un surplus dans la balance commerciale (i. e. plus d’exportations que d’importations) pour se sortir de la nécessité de croître (Victor, 2008). L’altermondialisme doit se focaliser sur l’arrêt des politiques gouvernementales qui visent les exportations à tout prix (ibid.). L’inverse serait de favoriser la territorialisation des activités économiques où, contrairement à la globalisation, le commerce local serait priorisé (ibid.). La création de richesse nationale se crée ainsi au sein même du territoire, et non en essayant de retirer le meilleur des échanges avec de tierces parties à l’international. Dans une perspective environnementale, la production locale et la gouvernance économique décentralisée diminuent la nécessité de s’approvisionner ailleurs, donc moins de transport de marchandises, plus de circuits courts et, finalement, moins d’émissions de GES (Schepper-Valiquette, 2014). Les nouveaux modèles territoriaux cherchent la valeur ajoutée que nous offre le commerce local, contrairement au paradigme que les humains sont des « bêtes de consommation » qui cherchent toujours les produits les moins chers. La décroissance, selon Latouche, est d’aller à l’encontre de la mondialisation en priorisant le local, qui remet donc en perspective la surconsommation, tout en autonomisant les régions (ibid.). Des penseurs comme Bookchin vont plus loin en proposant une autogouvernance des municipalités pour que celles-ci se sortent de l’emprise du modèle capitaliste et s’appuient sur les principes de l’écologie sociale (ibid.).

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Néanmoins, comment concrètement arrimer les opportunités de découplage possibles grâce à la révolution numérique et à la décentralisation de la création de valeur économique? Partant de la conception de l’économie écologique, une nouvelle approche au commerce globalisé pourrait être développée de façon à étudier globalement les échanges de flux de matières et d’énergies (Rezai et Stagl, 2016). Ainsi, l’alter- mondialisme pourrait être reconfigurée de manière à relocaliser les productions de biens vers les endroits où l’empreinte écologique serait la moindre. De concert, la théorie des avantages comparatifs, reconceptualisée dans un esprit écologique, consisterait à spécialiser les pays dans la production de biens où ces derniers produisent la moins grande empreinte écologique. Évidemment, suivant cette logique, il reste que la plupart des biens de consommation devront être produits localement pour produire la moins grande empreinte écologique possible. Cependant, avec le progrès technologique axé sur l’internet des objets et la connectivité des réseaux axée sur le partage des savoirs, plusieurs activités économiques tendent vers le coût marginal et l’empreinte écologique nuls (Rifkin, 2018). Or, ces réseaux globalisés, misant sur le partage de savoir et de données au coût marginal nul, permettent des échanges économiques internationaux qui peuvent avoir comme constant objectif de réduire l’empreinte écologique des flux de matières de façon globale (ibid.).

La transition vers une économie plus écologique restera une utopie tant et aussi longtemps qu’elle sera aux antipodes du paradigme dominant. C’est pourquoi des mesures transitionnelles doivent être instaurées pour affranchir la société du système capitaliste, puis par la suite entrevoir les différentes possibilités (Latouche, 2010; Schepper-Valiquette, 2014). Ce chapitre prouve la nécessité d’un nouveau cadre macroéconomique pour manœuvrer sans la croissance, mais que ce dernier manque encore à l’appel, malgré l’identification de plusieurs fragments qui pourraient le composer. La transformation de l’économie vers des paradigmes alternatifs nécessitent dans un premier temps des mesures pour construire ce cadre. Le gouvernement, de « despote bienveillant » selon la définition de Richard Musgrave, est un bon outil pour réunir les conditions dans lesquelles les individus vont évoluer pour tranquillement implanter une nouvelle culture (Jackson, 2017). Sans toutefois être trop autoritaire, le planificateur peut guider les changements de paradigme à travers des politiques incitatives plutôt que coercitives, pour s’assurer que la transition se fasse par elle- même au lieu d’être assignée de force à la population (ibid.).

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5. TRANSFORMER LA GRANDE ACCÉLÉRATION EN UNE NOUVELLE RÉVOLUTION :