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4. Vers un cadre macroéconomique soutenable

4.1.2 Jackson et la macroéconomie « post-croissance »

L’économiste Peter Victor (2008) démontre une approche macroéconomique pragmatique qui prouve qu’une croissance lente et verte peut permettre de réduire l’empreinte carbone de l’économie. Ainsi, une croissance verte de 1% à 2% annuellement pourrait s’avérer soutenable (Booth, 2004). Cependant, est-il possible de concevoir un cadre macroéconomique qui sort de l’impératif de croissance, tout en permettant à tous de travailler et de soutenir les infrastructures publiques? Jackson (2017) est d’avis que le fait de cesser de raisonner de façon marginale et d’établir de réelles limites conscrivant les activités économiques est la voie à prendre pour se sortir de l’impératif de croissance. En effet, la vision marginaliste de l’économie consiste à toujours prévoir l’impact d’une politique sur la prochaine unité économique produite, donc il devient très difficile de se défaire d’une croissance économique quand chaque outil est analysé en fonction de l’ajout constant d’unités économiques (Jackson, 2017; Morgan, 2017).

Jackson (2017) s’est attardé à définir les différentes composantes fondamentales de l’économie classique dans une optique d’une « macroéconomie post-croissance ». Deux composantes sur lesquelles reposent la croissance sont ainsi intéressantes à analyser : l’investissement et le crédit. Comment reconfigurer ces deux éléments pour faire évoluer une économie au sein des conditions écologiques, tout en permettant le développement humain?

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L’investissement joue deux rôles au sein du modèle classique; accroître la productivité de la main-d’œuvre et stimuler les innovations. Ainsi, dans un contexte post-croissance, les besoins d’investissements visent moins les gains de productivité de la main-d’œuvre, mais ciblent plutôt les innovations technologiques et sociales qui permettent de donner de meilleurs services avec le moins d’énergie possible. Par exemple, les énergies vertes commencent à avoir un meilleur EROI (i. e. ratio d’énergie produite sur l’énergie investie) que les énergies fossiles et cela entre dans la perspective de diminuer au maximum le flux de matières et d’énergies à travers le circuit économique. Ainsi, des investissements dans l’amélioration du EROI des énergies vertes et dans l’efficacité énergétique des différents procédés industriels sont compatibles avec une économie qui vise à réduire la consommation de ressources. Ces investissements engagent ainsi à produire plus avec moins de ressources, donc ceux-ci contribuent à l’offre agrégée. Cependant, il est impératif de ne pas tomber dans les effets rebonds développés par Jevons (1865) (voir figure 1.1) et les destructions créatrices (Schumpeter, 1942), soit des dynamiques qui font en sorte de toujours faire augmenter l’offre de biens. Cela met ensuite la pression sur la stimulation de la demande pour que ces biens soient consommés. Il est donc important d’introduire des mesures pour temporiser l’appât du gain qui découle des innovations permettant l’utilisation efficiente des ressources. (Jackson, 2017)

D’un autre côté, Jackson croît qu’un portefeuille d’investissements pourrait encadrer « l’économie des services » en ciblant le maintien des actifs et des nécessités qui ont une répercussion directe sur les services essentiels à l’émancipation humaine comme la nutrition, le logement, l’éducation, la santé, les services écosystémiques, etc. Les investissements dans le capital naturel pour améliorer les conditions écologiques contribuent à la demande agrégée, mais ne contribuent pas à l’offre puisqu’ils ne permettent pas d’augmenter la production de biens selon le paradigme classique. Cependant, ils permettent de renforcer l’offre agrégée si on raisonne en termes de services, qui incluent les services écosystémiques. Le rendement financier sur l’investissement initial est ainsi différent que dans le cadre conventionnel. Un portefeuille d’investissements qui cible les services, les infrastructures qui maintiennent le tissu social ainsi que le capital naturel amène des rendements à plus long terme. Jackson utilise le terme « slow capital » pour désigner ce nouvel objectif d’investissements, où la recherche de rendements à court terme et la spéculation sont reléguées aux oubliettes. (Jackson, 2017)

Le crédit et le service de la dette sont les moteurs du système financier et, en l’absence de croissance, ce dernier s’effondrera en rendant le système bancaire désuet. C’est pourquoi il faut démanteler le système financier actuel pour se défaire de la croissance économique. Un état stationnaire de l’économie est ainsi possible même avec un service de la dette selon une modélisation de Jackson et Victor (2015), mais des réformes sont absolument nécessaires afin de redresser le système financier pour qu’il soit compatible avec une macroéconomie post-croissance. Jackson propose un changement de paradigme en considérant la

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monnaie comme un bien social. L’auteur croit que de remettre le pouvoir de créer la monnaie, à travers la charge des taux d’intérêts sur la dette, aux intérêts privés, soit les banques, dérègle le système financier en amenant l’impératif de croissance et en le fragilisant face à des crises potentielles. Une macroéconomie post-croissance où la charge de l’intérêt reste possible reposerait donc sur la repossession du pouvoir de création de la monnaie par l’intérêt collectif. Ainsi, la nationalisation du système monétaire et bancaire permettrait au gouvernement d’avoir une plus grande marge de manœuvre quand viendrait le temps de financer ses dépenses publiques, où le pouvoir de créer de la monnaie substituerait le besoin en émissions de bons du trésor. La macroéconomie de Jackson donne aussi un rôle prépondérant à l’État dans la stabilisation des structures sociales à travers la transition vers un état post-croissance, entre autres par les programmes de dépenses publiques. (Jackson, 2017)

Cependant, même avec les écrits de Jackson et Victor, la littérature n’est toujours pas arrivée à formuler un cadre macroéconomique complet pour le passage vers l’État stationnaire et un stade post-croissance. Leurs écrits nous fournissent pourtant des pistes de solution assez intéressantes. À celles-ci s’ajoutent les fondations de l’économie écologique formulées par Heman Daly.