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Les économies alternatives : un nouveau véhicule pour sortir des sentiers battus

4. Vers un cadre macroéconomique soutenable

4.2 Les économies alternatives : un nouveau véhicule pour sortir des sentiers battus

Chaque économie alternative a été décortiquée au chapitre 3 en fonction de leurs ruptures paradigmatiques respectives qui permettaient de casser la propension à surconsommer les ressources. Cette section vise à analyser comment ces changements de mentalité à petite échelle peuvent avoir un impact significatif à

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grande échelle. Pour faire suite à la section précédente, il est ici démontré comment ces nouveaux paradigmes implantés via les modèles alternatifs s’arriment avec les pistes de solution d’un cadre macroéconomique soutenable. En d’autres mots, quels sont les leviers que les différentes économies alternatives amènent respectivement pour renforcer le nouveau cadre?

Le capitalisme naturel est le seul modèle qui propose une force institutionnelle régulatrice qui peut exercer un certain pouvoir coercitif sur les décisions des acteurs économiques au sein des marchés. Les principes de limitation du flux énergétique à travers les interactions économiques consistent en l’une des différentes pistes énumérées pour institutionnaliser les limites planétaires (Daly, 1990). Les instruments qui découlent du capitalisme naturel comme les taxes, les subventions, les marchés et autres moyens législatifs sont ainsi très pragmatiques pour imposer des limites quantitatives sur l’impact environnemental que peuvent avoir les activités économiques. Valoriser le capital naturel, en attachant un prix autre que la juste valeur marchande à l’extraction des ressources naturelles, soit les coûts sociaux et environnementaux, ouvre un chemin vers les pratiques plus durables de l’économie circulaire et de fonctionnalité en les rendant économiquement viables (Cheikh Lahlou et al., 2017). Ainsi, le capitalisme naturel, même en étant le modèle qui propose le moins de ruptures paradigmatiques avec le modèle classique, est essentiel pour mettre en place le cadre dans lequel l’économie pourra manœuvrer. Dans cette optique, ce modèle ne fait pas seulement corriger les marchés; il institutionnalise les limites planétaires à travers différentes politiques et instruments (Victor, 2008). Par exemple, une taxe carbone peut être modulable selon la concentration de carbone dans l’atmosphère. Donc, plus la concentration est élevée et plus la limite planétaire est dépassée, plus la taxe serait élevée pour dissuader les différents acteurs à en émettre plus. Une telle taxe devient en plus une source de revenu pour l’État afin que ce dernier puisse mettre en œuvre ses politiques de redistribution et de dépenses publiques sans nécessairement emprunter et s’endetter. Ces politiques publiques servent d’éléments stabilisateurs dans la transition vers la perte de croissance. (Jackson, 2017) L’économie du partage et vernaculaire offre de concert un paradigme complètement différent du capitalisme naturel, mais ces derniers peuvent s’agencer pour former la nouvelle « boîte » dans laquelle la nouvelle économie évoluera. En effet, même si la dynamique inhérente capitaliste qui entraîne des dérapages est bien ancrée dans l’économie de marché actuelle, l’objectif n’est pas de rejeter complètement la logique de marché. L’idée ici est plus de restreindre la place de l’économie de marché sur la scène économique globale en faisant grandir la place de l’économie du partage et vernaculaire, tout en encadrant les marchés de façon très minutieuse par les multiples instruments valorisant le capital naturel et social (Pineault, 2018). Augmenter la sphère vernaculaire au sein de la vie des gens les engage à s’émanciper autrement que par la consommation et l’accumulation de biens (Jackson, 2017). L’émancipation ne se vectorise plus via l’affiliation à des marques et des produits, mais via le rapport à la communauté, où il y a plus de loisirs et

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moins de consommation (ibid.). Dans son optique de transition, l’économiste français Serge Latouche entrevoie la synthèse de « comportements vertueux » qui rendent possible cette transition, où la représentation visuelle se trouve à la figure 4.2. Ainsi, les étapes en amont du processus de transition, principalement celles de reconceptualisation et de restructuration, s’arriment avec le paradigme de l’économie du partage et vernaculaire, où un détachement face au modèle capitaliste est prisé via des changements de valeurs et la mutualisation des biens (Latouche 2010; Schepper-Valiquette, 2014).

Figure 4.2 Activer la transition via les différents « comportements vertueux » (inspiré de : Latouche, 2010; Schepper-Valiquette, 2014, p. 75)

En conceptualisant le tout selon la pensée de Latouche (2010), les pratiques reliées au capitalisme naturel et à l’économie du partage et vernaculaire doivent être introduites en amont du processus de transition écologique. Ces deux modèles servent à implanter un nouveau cadre, une nouvelle mentalité, qui nous permettent de diriger les décisions économiques pour mener à la réduction de la consommation de ressources. À travers ce cadre, l’économie circulaire et l’économie des services et de fonctionnalité servent donc à manœuvrer et à opérationnaliser cette transition.

En effet, les quatre dernières étapes selon Latouche (2010) sont en fait liées aux pratiques de l’économie circulaire, en faisant référence à la typologie des 3RV et à la recherche des circuits courts. L’économie circulaire promeut ainsi plusieurs pratiques qui deviennent compatibles avec un nouveau cadre qui suit les lois de la thermodynamique en minimisant le flux de matières et d’énergie (Victor, 2008). L’instauration de microsystèmes d’économie circulaire au sein des communautés entraîne la création de noyaux d’innovations

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technologiques, dans un premier temps, pour optimiser les circuits énergétiques afin d’en arriver à un coût marginal nul. Dans un deuxième temps, cela stimule les innovations sociales, à travers le savoir transmis via l’éducation des acteurs économiques pour animer les changements de paradigmes autour de la valeur et de la productivité (ibid.).

De concert, une économie basée sur les services et la fonctionnalité amène une reconfiguration de la valeur et des investissements, tout en encourageant la réutilisation, la réduction et la relocalisation (Maillefert et Robert, 2017). En effet, contrairement au modèle classique, l’économie des services ne vise pas l’augmentation de la productivité de la main-d’œuvre à travers les services, mais recherche d’autres objectifs (Jackson, 2017). L’économie des services s’inscrit ainsi dans la recherche de la nécessité du « slow capital », où les investissements dans les services visent l’amélioration de la qualité et de la performance du service (ibid.). Ainsi, cela irait jusqu’à l’inclusion des services écosystémiques, ce qui justifierait un cadre qui encourage les investissements dans le capital naturel, qui est le mieux placé pour renforcer les conditions écologiques qui pérennisent ces services.

Ainsi, ces économies alternatives représentent, avec leurs ruptures paradigmatiques, des moyens pertinents pour transformer les interactions économiques à l’échelle territoriale de sorte à avoir un impact significatif à l’échelle macroéconomique. Les actions que proposent ces différents modèles s’arriment en plus avec les pistes de solution pour redéfinir un cadre macroéconomique soutenable. Maintenant, la reconception visant la décentralisation économique vers des modèles territoriaux marque-t-il la fin de la mondialisation économique? Il est donc nécessaire de déterminer si un cadre macroéconomique soutenable peut évoluer harmonieusement avec l’ouverture sur le monde.