II.2 La dialectique texte/lecteur
Umberto Eco, Daniel Dayan, Jesús Martín-Barbero expliquent la manière dont le texte
appelle le lecteur et celle dont le lecteur répond au texte. Nous pouvons nous demander en quoi
cette dialectique texte/lecteur précise la compréhension du public face aux médias.
Umberto Eco indique que le texte fait appel aux codes du destinataire lesquels sont
différents des codes de l’émetteur. Le public comprend un message médiatique en sollicitant
ses compétences et capacités comme le dit Umberto Eco :
« Donc, pour comprendre un message verbal il faut, outre la compétence linguistique,
une compétence diversement circonstancielle, une capacité d’envisager des
présuppositions, de réprimer des idiosyncrasies et ainsi de suite ». (Umberto Eco,
1979, 1985, p.68)
L’auteur prévoit un « Lecteur Modèle » doté des compétences référents. Ainsi, il choisit
la langue, l’encyclopédie, le lexique, le style et le genre. L’auteur produit le texte et provoque
la compétence référent du lecteur. Umberto Eco définit la notion d’interprétation comme « une
dialectique entre la stratégie de l’auteur et la réponse du Lecteur Modèle ».
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L’interprétation ne doit pas être le fruit de l’imagination. Elle relève de l’action du
Lecteur aux attentes de l’auteur. L’utilisation d’un texte est soit imaginative, soit interprétative.
L’interprétation est normative. Elle est commune à la société. « L’Auteur et le Lecteur Modèle
sont deux stratégies textuelles », avance Umberto éco.
Le « Lecteur modèle » reste plus concret que l’Auteur. Il peut former sa compréhension
en la déduisant d’un élément réel, le texte. L’Auteur formule un texte en imaginant son type de
lecteur. L’Auteur émet une hypothèse interprétative. Dans ce cadre notre sujet ressemble au «
Lecteur modèle » d’Umberto Eco. Il construit du sens à partir du discours.
Jesús Martín-Barbero parle de cette rencontre entre le texte et le lecteur en relatant un
autre élément que les compétences linguistiques. Il propose une dialectique texte/lecteur dans
le cadre de la réception du lecteur. Comme nous l’avons mentionné ci-dessous, la vie
quotidienne, le vécu du lecteur constituent ce cadre de réception. Le lecteur s’incorpore au
texte ; il le reçoit dans une assimilation à sa vie quotidienne. Le lecteur se reflète dans le texte
et le pénètre. Jesús Martín-Barbero affirme que :
« Les gens du peuple ont le sentiment d’être en train de lire le récit de leur propre vie».
(Jesús Martín-Barbero, 2002, p.135)
Cette assertion de Jesús Martín-Barbero s’oppose à celle de Michel de Certeau. Pour ce
dernier, le lecteur parvenait à s’extérioriser du texte. Il gagnait ainsi son autonomie au texte.
Daniel Dayan rejette également l’idée que le lecteur déduit du sens du texte. Il préfère mettre
en avant l’idée d’une production de sens par le lecteur. Le sens n’est pas incorporé dans le texte.
Le lecteur « active » un texte. L’interprétation d’un texte n’est pas prévisible. Daniel Dayan
rejette également la correspondance entre les codes de production et ceux de réception.
Le codage et le décodage d’un message est diffèrent en raison de la diversité des contextes et
des codes. Daniel Dayan reconnaît la possibilité d’une dominance du codage sur l’encodage à
l’instar de Stuart Hall. Le spectateur reste actif. Il garde sa liberté face aux attentes du
producteur ; il garde sa résistance face à l’idéologie du texte comme l’a mentionné David
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Morley. Le lecteur ou spectateur adopte une lecture négociée du texte. Il bénéficie de cette
compétence interprétative du fait de la polysémie des textes. Le récepteur n’est plus passif ou
muet. Il est actif et social. Les communautés d’interprétation comme l’a suggéré Brigitte Le
Grignou
21se chargent de la réception des messages. Ces communautés d’interprétation se
divisent en deux catégories : les « communautés culturelles » et les « communautés
socioculturelles et socioprofessionnelles ». La diversité des interprétations s’exprime dans la
diversité de ces communautés qui utilisent des codes et des « schémas narratifs » différents.
Brigitte Le Grignou formule cela ainsi :
« C’est d’abord la pluralité et la diversité des lectures possibles d’une même série, en
lien avec les communautés culturelles, qui est manifeste. […] On voit alors que les
différents groupes ont recours à des schémas narratifs, à des codes d’interprétation qui
leur sont spécifiques ». (Brigitte Le Grignou, 2003, p.90)
La culture, comme système sémiotique, est un code de lecture et d’interprétation
favorisant l’appropriation des faits sociaux. La médiation culturelle est un code qui permet la
reconnaissance, la lecture et l’interprétation. À ce titre, elle se place dans une logique de
représentation.
La sémiotique permet d’interpréter les pratiques sociales. Ainsi, elles répondent aux
logiques culturelles qui leur donnent du sens. La présence des pratiques sociales dans les
logiques culturelles les positionne dans des processus symboliques qui dépendent de
l’interprétation et de la lecture du sujet. L’existence des pratiques sociales dans les logiques
culturelles montre une signification et une esthétique.
L’interprétation du lecteur doit tenir compte de la portée littéraire et sociale du texte.
L’intentionnalité du texte littéraire surgit au contact du vécu du lecteur. Seule la portée sociale
de l’œuvre intéresse l’esthétique de la réception. Or, la culture de masse ne peut se plier à cet
intérêt unique. Brigitte Le Grignou réfléchit sur la portée de l’effet social :
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« Il s’agit de prendre au sérieux l’idée selon laquelle un texte littéraire ne peut agir que
lorsqu’il est lu (ou lorsque du texte s’y rapportant, le “paratexte”, est lu) et donc
reformuler la question de l’effet, en abandonnant la seule signification pour analyser le
processus de la lecture ». (Brigitte Le Grignou, 2003, p.26)
Le texte littéraire ne produit une action que lorsqu’il est lu. Il n’est pas seulement porteur
de sens. Il est également porteur d’un effet. On peut supposer que la compréhension du lecteur
n’est pas seule en jeu. Le texte a une portée littéraire et une portée sociale. La portée littéraire
du texte peut être indépendante de la manière dont l’auteur l’a écrit (sa structure, son genre). La
portée sociale du texte tente de répondre aux attentes du lecteur. Ces deux portées sont
cependant oubliées au profit de l’esthétisme.
L’impact social de l’œuvre sur le lecteur est totalement tenu à l’écart. L’effet prend sens
au contact de l’esthétique de l’expérience du lecteur en tant que récepteur. L’esthétique de la
réception renvoie à une incertitude qui permet au lecteur de participer à l’intention du texte.
Seule l’œuvre littéraire permet ce travail de construction du sens sans qu’il y ait une
quelconque incidence. L’esthétique de la réception ne concerne que les textes littéraires. Le
texte informationnel ne s’y prête pas. Il apporte une information concrète. En outre, la réception
esthétique n’intéresse pas les médias de masse. L’esthétique de la réception souhaite considérer
l’aspect social de l’œuvre. Or, ce souhait est le mur qui le sépare de la culture de masse. Brigitte
Le Grignou précise que :
« Faute d’une « communication » entre les consommateurs des médias de masse, il
apparaît, note-t-elle, « quelque peu vain de vouloir observer comment les gens
“reçoivent” la télévision par exemple ». (Brigitte Le Grignou, 2003, p.27)
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Dans le document
La construction du sens chez des jeunes de cultures diverses lors de la réception de messages médiatiques
(Page 50-54)