II.1.1 Le rôle du lecteur
Le jeune scolarisé développe d’abord son audition par transmission orale. Celle-ci lui
permet de construire du sens. Puis, viennent le déchiffrage des lettres et la lecture du sens. La
lecture n’est pas une activité passive. Le texte attend du lecteur qu’il en construise du sens. Le
lecteur va au-delà de l’intention du texte. Il associe les composantes du texte. Il a la capacité de
créer une pluralité de significations. Le lecteur agit entre le texte et sa lecture. La lecture du
texte produit du sens indépendamment de l’intention de l’auteur du texte. Michel de Certeau
19affirme que :
« Il ne devient texte que dans sa relation à l’extériorité du lecteur, par un jeu
d’implications et de ruses entre deux sortes d’« attentes » combinées : celle qui organise
un espace lisible (une littéralité), et celle qui organise une démarche nécessaire à
l’effectuation de l’œuvre (une lecture). […] L’opération codifiante, articulée sur des
signifiants, fait le sens, qui n’est donc pas défini par un dépôt, par une « intention », ou
par une activité d’auteur ». (Michel de Certeau, 1990, p.247)
Comme le mentionnait Jesús Martín-Barbero, l’autonomie du texte est construite à partir
des rapports socioculturels dans un cadre institutionnel. Le lecteur lit l’information dans un
cadre institué par l’élite. Il lit dans une mise en jeu de ce cadre et de sa liberté d’interprétation.
En fait, le lecteur et le cadre officiel collaborent pour arriver à une interprétation négociée
commune.
Par ailleurs, le rôle du lecteur consiste à actualiser le contenu du texte en faisant preuve
de coopération. Les non-dits du texte invitent le lecteur à l’actualiser. Il le fait grâce à son
encyclopédie et par l’usage d’inférences. Le lecteur est libre de son interprétation à condition
qu’elle soit uniforme. Umberto Eco
20souligne qu’ :
19 De Certeau Michel, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Editions Gallimard, 1990, pp. 239-254.
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« Un texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative, même si en général il désire
être interprété avec une marge suffisante d’univocité ». (Umberto Eco, 1979, 1985,
p.67)
II.1.2 La coopération textuelle
Umberto Eco a réfléchi sur l’interprétation et non sur l’interprétation des sujets
récepteurs. Jésus Martín-Barbero propose de penser la communication à partir de la culture et
non plus en termes de domination. Ces deux auteurs apportent des éléments prouvant l’activité
cognitive du sujet dans sa pratique médiatique. Le premier auteur met l’accent sur « la
mécanique de la coopération textuelle ». C’est l’interaction entre le texte, support d’un message
et premier médiateur, et le sujet interprétatif. Au-delà de l’interprétation vers le haut et vers le
bas, Umberto Eco propose une interprétation « à la surface de l’acte de lecture ». Un texte est
produit de telle façon que sa lecture ne met en exergue que le processus de construction de sa
structure. Cette dernière oriente la lecture. Le second élucide l’impact des autres médiations sur
le peuple. Il « pense la communication à partir de la culture ». « Ce sont la domination, la
production et le travail qui sont des processus de communication ». La médiation est la
résultante du signe, du langage et de la relation au monde.
II.1.3 La mécanique de la coopération textuelle
Umberto éco pose que « le sémème est un texte virtuel et le texte est l'expansion d'un
sémème ». La société mémorise des « scénarios » produits par le sémème central du texte. Ces
« scénarios » amènent les destinataires à une interprétation commune du texte. Les mises en
scène d'un texte sont retenues par la société parce qu'elles apparaissent dans des textes
antérieurs. C'est une information encyclopédique. Umberto Eco propose une explication
sémantique.
« Normalement, les propriétés du sémème restent virtuelles, c’est-à-dire qu’elles restent
enregistrées par l’encyclopédie du lecteur qui tout simplement se dispose à les actualiser
quand le cours textuel le lui demandera. Le lecteur n’explicite de ce qui reste
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sémantiquement inclus ou implicite, que ce dont il a besoin. En agissant ainsi, il aimante
ou privilégie certaines propriétés tandis qu’il garde les autres sous narcose». (Umberto
Eco, 1979, 1985, p.112)
Il existe une attitude de surface, c’est le réel, l’explicite et une attitude profonde,
l’imaginaire, le virtuel qui surgit selon le besoin. Le sujet a recours à une encyclopédie, « des
significations archétypales et les modes d’inscription dans le quotidien ». L’encyclopédie
auquel a recours le sujet est illimité. Le topic qu’expose Umberto Eco limite le recours à
l’encyclopédie. Le topic apporte un cadrage dans la construction du sens. Le cadrage du topic
nécessite une activité cognitive du sujet dans sa pratique médiatique. Le topic éclaire le sujet
sur la mise en scène. L’isotopie est la finalité sémantique de l’histoire. La construction du sens
implique par le sujet la prise en compte de cet élément pragmatique qu’est le topic. Ce dernier
oriente la compréhension du sujet sur le déroulement de la mise en scène. Le sujet peut s’aider
également de l’isotopie pour parvenir à la compréhension. L’isotopie est le fil conducteur qui
permet de suivre le déroulement de l’histoire. C’est l’aboutissement au sens à la suite d’une
interprétation rendue possible grâce au topic. Ce dernier permet une sélection contextuelle
conduisant à l’interprétation adéquate.
L’industrie culturelle choisit minutieusement le topic et l’isotopie, la syntaxe et le
vocabulaire. Cette démarche permet au sujet de se retrouver dans le registre courant utilisé et
de déclencher l’élaboration de la construction du sens. Le topic, l’isotopie, la syntaxe et le
vocabulaire conduisent à la construction du sens.
Le Sujet Modèle doit faire surgir au grand jour les éléments contenus dans le discours.
Seule la connotation de ces éléments amènera à une interprétation : « textuellement la
connotation est activée » précise Umberto Eco. La mécanique de la coopération textuelle
repose sur deux stratégies discursives : celle de l’Auteur et celle du Lecteur Modèle. L’une et
l’autre stratégie seront en adéquation si « les encyclopédies respectives des deux intéressés
correspondent ». Umberto Eco spécifie qu’ :
« Il est clair qu’interpréter le texte signifie en ce sens reconnaître une encyclopédie
d’émission plus restreinte et générique que l’encyclopédie de destination. » (Umberto
Eco, 1979, 1985, p.82)
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L’encyclopédie d’émission et de destination doivent être aussi riche l’une que l’autre
afin que l’interprétation soit optimum. Il existe une autre forme d’interprétation selon Umberto
Eco :
« Il est clair que l’on en arrive à des structures sémantiques profondes qu’un texte
n’étale pas en surface, mais qui sont envisagés par le lecteur comme clé pour
l’actualisation complète du texte : les structures actancielles (questions sur le “sujet”
effectif du texte, au-delà de l’histoire individuelle du personnage Tel ou Untel qui y est
apparemment racontée) et les structures idéologiques». (Umberto Eco, 1979, 1985,
p.83)
Les structures actancielles et les structures idéologiques amènent à une interprétation à partir
des « circonstances d’énonciation ». Umberto Eco conclut que :
« Toute la vie quotidienne se présente comme un réseau textuel où les motivations et les
actions, les expressions émises à des fins ouvertement communicatives, ainsi que les
actions qu’elles provoquent, deviennent des éléments du tissu sémiosique où n’importe
quelle chose interprète n’importe quelle autre chose. En second lieu, il n’existe pas de
terme qui, étant inchoativement une proposition ou un argument, signifie les textes
possibles où il pourra (ou pourrait) être placé ». (Umberto Eco, 1979,1985, p.27)
Et pourtant, face à cette richesse d’implications, de promesses inférentielles, de
présuppositions décalées, le travail d’interprétation impose le choix de limites, de directions
interprétatives et d’univers de discours. La pluralité componentielle de la « vie quotidienne » et
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Dans le document
La construction du sens chez des jeunes de cultures diverses lors de la réception de messages médiatiques
(Page 41-45)