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Chapitre 1- Transformations sociales et adaptations de l’État-providence

1.4 Transformations de l’État-providence

1.4.3 Typologies des États-providence

La typologie la plus connue et la plus utilisée des États-providence est sans contredit celle qui a été développée par Esping-Andersen21. Dans Les trois mondes de l‟État-providence, l’auteur présente, dans la tradition wébérienne, des types idéaux d’État-providence, qu’il élabore à partir de trois indicateurs : le degré de dé-marchandisation, les formes de stratifications sociales et les relations entre l’État, le marché et la famille. En combinant ces trois facteurs, Esping-Andersen distingue trois régimes d’État-providence dont les caractéristiques sont présentées sommairement dans le tableau suivant :

Tableau III : Typologie des États-providence

Libéral

États-Unis, Canada, Australie

Corporatiste-conservateur

Autriche, France, Allemagne Suède, Norvège, Danemark Social-démocrate  Assistance fondée sur le

contrôle des besoins et des ressources;  Transferts universels modestes ou couverture d’assurance minimale;  Cible : personne.  Assurance-sociale;

 Droits reliés à la classe et au statut;

 Redistribution faible;  Services familiaux et

garderies sous-développés.

 Indemnités et services élevés;  Droits liés à la citoyenneté;  Indépendance au sein de la

famille;

 Droits sociaux accordés aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes sans ressources;  Droit à l’emploi.

Source : F. X. Merrien, R. Parchet et A. Kernen (2005). L‟État social. Une perspective internationale. Paris : Armand Colin.

1.4.3.1 Critique féministe de la typologie d’Esping-Andersen

Les travaux d’Esping-Andersen ont été suivis de recherches soulevant les problèmes de classification des États-providence. Le principal intéressé indique toutefois que l’objectif de sa démarche n’était pas de développer une typologie mais plutôt de comprendre pourquoi les États-providence ont évolué de manières différentes et d’analyser les effets de ces variations. L’auteur souligne la pertinence de la critique féministe notamment en ce qui concerne le fait que la famille ne soit pas suffisamment considérée dans son analyse des

21 La typologie d’Esping-Andersen a été critiquée, entre autres, par l’analyse féministe qui souligne le fait

qu’elle ne permet pas de rendre compte des effets des régimes sur les rapports de genre. Des recherches récentes ont critiqué les regroupements opérés alors que d’autres ont travaillé à l’élaboration d’une nouvelle typologie, mais la typologie de Esping-Andersen demeure une référence. Voir F.-X. Merrien, R. Parchet et A. Kernen (2005). L‟État social. Une perspective internationale. Paris : Armand Colin.

États-providence. En ce sens, il reconnaît la contribution de Orloff (1993) qui propose le concept de défamilialisation pour désigner un « engagement à collectiviser le poids et les responsabilités de la charge familiale pour les femmes qui cherchent à harmoniser travail et maternité » (Esping-Andersen, 1999 : 278). Cette auteure, de même que O’Connor (1993), souligne aussi que le concept de démarchandisation22 ne s’applique pas à la situation des femmes qui depuis plusieurs décennies luttent plutôt pour intégrer le marché du travail. O’Connor (1993) propose de remplacer ce concept par celui « d’autonomie personnelle » afin de désigner une indépendance économique interpersonnelle (la famille) et par rapport à l’État. Ceci est rendu possible par la défamilialisation évoquée précédemment et par le fait que les services et le soutien de l’État soient accordés comme un droit du citoyen plutôt qu’en tenant compte de la participation au marché du travail, au statut familial ou sous conditions de ressources.

D’autres auteures féministes, répertoriées par Merrien, Parchet et Kernen (2005), insistent sur la nécessité de bonifier la typologie de base en analysant la manière dont les arrangements institutionnels des pays encouragent l’emploi des femmes ou les incitent plutôt à rester à la maison. Elles suggèrent également de raffiner l’exploration de l’impact des types d’États-providence, en considérant comment ceux-ci encouragent la ségrégation professionnelle sur la base du genre ou encore le travail à temps partiel des femmes. Lewis (1992 dans Merrien et al., 2005) a ainsi construit une typologie qui consiste à placer les pays sur un continuum allant du « modèle de l’homme gagne-pain » au « modèle à deux revenus ». Méda et Périvier (2007) ont procédé à ce type d’analyse pour les pays du nord de l’Europe et pour les États-Unis mettant en lumière certains aspects moins connus du fameux modèle nordique, notamment en ce qui concerne la vie professionnelle des femmes. « Ainsi la segmentation entre les sexes reste un trait marquant du modèle nordique » (Méda et Périvier, 2007 : 60).

22 Le concept de démarchandisation « fait référence au degré auquel les individus, ou les familles, peuvent

maintenir un niveau de vie socialement acceptable en dehors d’une participation au marché » (Esping- Andersen, 1999 : 54).

1.4.3.2 Typologie des politiques familiales

Ces critiques ont amené des chercheurs à développer des typologies qui prennent davantage en considération l’intervention de l’État dans la sphère familiale en mettant en lumière, par la même occasion, le type de famille qui est privilégié par cette intervention. La typologie développée par Gauthier (1998) en est un exemple.

Tableau IV : Typologie des politiques familiales

Modèle Britannique États-Unis, Australie, Grande-Bretagne, Modèle Allemand Allemagne Suisse Autriche Modèle Suédois Pays nordiques Modèle Français France, Luxembourg, Québec (1989-1997)  Aide minimale de l’État à

la famille;

 L’intervention de l’État perçue comme pouvant diminuer l’autonomie des familles et comme charge financière pour les employeurs Ŕ réduit la capacité concurrentielle sur le marché

international.

 Aide limitée aux familles;  Favorise division traditionnelle du travail;  À l’opposé du modèle suédois.

 Aide généreuse pour les parents au travail;  Objectif explicite

d’égalité entre les sexes.

 Aide financière et support important pour les mères au travail;

 Orientation pro- nataliste.

Source : A.-H. Gauthier (1998). « Trois, quatre ou cinq modèles de politiques familiales au sein des pays européens et néo-européens? ». Dans R. B. Dandurand, P. Lefebvre et J.-P. Lamoureux (dir.). Quelle politique familiale à l‟aube de l‟an 2000? Montréal : L’Harmattan : 299-323.

Plus récemment, Hantrais (2004) a analysé l’intervention des États dans la sphère familiale dans plusieurs pays de l’Union européenne. Bien qu’il soit possible de penser que les politiques familiales d’Europe, confrontées aux « nouveaux risques sociaux » postindustriels, aient pu évoluer vers un modèle commun sous l’influence des forces de régulations supranationales, l’examen approfondi des dynamiques nationales démontre que le rythme de développement, et même l’orientation des politiques familiales, diffèrent selon les pays comme en témoignent d’ailleurs les tableaux présentés plus haut (Hantrais, 2004). Les analyses de Hantrais permettent de regrouper les pays dans des ensembles à partir de grands indicateurs23 mais la prise en compte plus détaillée du développement des dynamiques dans les différents pays à l’intérieur des regroupements amène à dresser un

23

Par exemple, la mesure dans laquelle la politique familiale est explicite, construite et mise en œuvre selon une approche intégrée (la France et les pays nordiques par exemple) ou le degré de légitimité accordé à l’État pour intervenir dans la sphère privée (élevée en France et dans les pays nordiques, mitigée en Allemagne et au Royaume-Uni et contestée dans les pays de l’Europe du Sud).

tableau complexe, nuancé et en évolution des politiques familiales. Les résultats présentés par cette auteure appuient la pertinence des études de cas afin de mieux comprendre les dynamiques de développement de la politique familiale dans les contextes nationaux précis. En effet, l’intérêt d’une approche par construction d’idéal-types est de permettre « en simplifiant le tableau réel, de mettre en évidence des modèles ou des régimes d’État- Providence et donc de mener une réflexion approfondie sur les similitudes et les divergences entre pays avant de procéder à une recherche des causes des ressemblances et des divergences » (Merrien, Parchet et Kernen, 2005 : 170) par l’analyse de cas individuels.