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La mise en œuvre : phase 1 de la politique familiale québécoise de 1987-1996

Chapitre 4- La conciliation travail-famille : un thème intimement lié

4.3 La mise en œuvre : phase 1 de la politique familiale québécoise de 1987-1996

L‟énoncé de 1987 et la gouvernance

La publication du rapport sera suivie, en décembre 1987, de l’adoption, par le Conseil des ministres du gouvernement du Parti libéral du Québec, d’un « Énoncé des orientations et de la dynamique administrative de la politique familiale » (Secrétariat à la politique familiale, décembre 1987). Ce document contribue à mettre en place la structure administrative sur laquelle vont s’appuyer les actions de l’État concernant les familles. Bien que le document reconnaisse « les vœux exprimés par les organismes familiaux (d’établir) des structures administratives permettant de « penser et agir famille » en permanence » (ibidem : 13), l’organisation adoptée par le gouvernement pour la coordination de la politique familiale est plus modeste que celle qui avait été proposée par le Comité de consultation. Les demandes des représentants des familles de participer activement à la définition des orientations de la politique familiale et de veiller à son application se traduisent peu dans la structure adoptée et elles apparaissent diluées dans les orientations adoptées par le gouvernement121.

La responsabilité du développement de la politique familiale est confiée à un-e ministre délégué-e à la Famille, à la santé et aux services sociaux qui sera appuyé-e dans ses fonctions par un Secrétariat à la famille et par un Conseil de la famille122. C’est à ce dernier que le gouvernement confie le rôle d’établir un dialogue permanent et constructif avec les représentants et représentantes des familles. L’État souhaite en effet favoriser l’expression des familles à l’égard du développement de la politique familiale et reconnaît que « la

121 Voir à ce sujet le tableau IX.

participation des familles et de leurs représentants au sein des organismes familiaux est une condition essentielle à la mise en œuvre de la politique familiale » (Secrétariat à la politique familiale, décembre 1987 : 13). L’objectif « d’assurer la concertation gouvernementale, pour faciliter aux différents ministères l’harmonisation requise avec les autres niveaux de gouvernement et milieux responsables du soutien à apporter aux parents et aux autres membres de la famille », une proposition faite par le Comité de consultation, est adopté123. La volonté de l’État de partager la responsabilité du soutien collectif des familles avec tous les intervenants intéressés apparaît assez timide en ce qui a trait à la définition des orientations de la politique. Dans cet énoncé, l’État délimite la relation avec ses collaborateurs par une plus grande écoute et une place dans la mise en œuvre des programmes. La suite de l’historique du développement de la politique familiale va montrer que le partenariat entre l’État et les acteurs de la société civile va se développer dans des formes qui vont dépasser les structures prévues par l’État à cette étape de la mise en œuvre de la politique.

123 Un réseau de « répondants famille » a été mis en place dans les différents ministères à partir de 1989, en

lien avec le premier plan d’action de la politique familiale, afin d’assurer l’orientation horizontale de la politique (Le Bourdais et Marcil-Gratton [avec la collaboration de Bélanger], 1994 : 122).

Tableau IX : Structure administrative de la politique familiale 1986-1987 vs demandes des acteurs

Structure proposée par le Comité de consultation sur la politique familiale

(1986)

Structure adoptée et présentée dans l’énoncé des orientations et de la dynamique administrative de la politique familiale (1987)

Ministre d’État à la politique familiale o Faciliter la concertation des différents

intervenants responsables du soutien collectif aux familles

Ministre délégué à la Famille, à la Santé et aux Services sociaux

o Développement de la politique familiale Secrétariat à la politique familiale

o Rattaché au Conseil exécutif

o Collaborer avec les organismes et groupes qui promeuvent les besoins et intérêts des familles

Secrétariat à la famille

o Soutien au Ministre pour la coordination du développement horizontal de la politique familiale à l’intérieur du gouvernement Conseil national de la famille

o Mécanisme de concertation permanent entre le gouvernement, les représentants des familles, milieux et institutions intéressés par les familles et la politique familiale

o Détermine les orientations de la politique familiale

o Veille à son application

o Liaison avec la communauté internationale engagée envers les familles

Conseil de la famille

o Mandat d’études et de consultations o Recevoir les suggestions et requêtes de

personnes et de groupes o Fournir des avis au Ministre

Centre de solidarité des familles québécoises o Autonome par rapport au gouvernement o Administré par des représentants des groupes

familiaux

o Actions locales, régionales et nationales pour les familles

o Financement, subvention statutaire par l’État et partenariat avec entreprises ou agents

économiques intéressés à promouvoir des activités pour les familles

La conciliation travail-famille

En ce qui concerne la conciliation travail-famille, le document souligne l’importance de porter une attention particulière aux trois milieux de vie dont dépend le développement individuel et collectif des citoyens, soit la famille, l’école et le milieu de travail124. C’est pourquoi les intervenants du monde économique et ceux du monde du travail sont appelés à partager la responsabilité du soutien collectif aux familles, entre autres, quant à ce qui peut faciliter la conciliation des rôles de parents et de travailleurs/travailleuses. L’aspect de la

conciliation de ces deux rôles ainsi que la question des services de garde comptent parmi les secteurs d’intervention du champ d’application de la politique familiale. Le document stipule également que l’État doit faciliter le partage équitable des tâches parentales.

Bien que les auteurs de cet énoncé affirment la pertinence de l’intervention de l’État auprès des familles en dehors de la préoccupation démographique, la question du soutien à la natalité reste bien présente dans le document :

« La politique familiale a ses finalités propres et, problème de natalité ou pas, nous devons nous donner cette politique. Mais si la famille, l‟exercice des responsabilités parentales et l‟intérêt porté aux enfants sont favorisés et soutenus par la collectivité et l‟État, on est justifié de penser que cela pourra avoir un impact sur la natalité. À ce titre, la politique familiale peut devenir ferment d‟une politique de population, surtout si elle permet de diminuer les contraintes à la prise en charge des enfants que rencontrent les parents (…) »

(Secrétariat à la politique familiale, décembre 1987 : 7).

Budget 1988-1989

Il n’est donc pas étonnant que la mesure vedette du budget de 1988 soit l’instauration d’un système d’allocations à la naissance modulées selon le rang de l’enfant125. Cette disposition, qui s’inscrit en opposition aux recommandations du Comité de consultation et qui soulève la critique de nombreux groupes de femmes (Le Bourdais et Marcil-Gratton [avec la collaboration de Bélanger], 1994), viendra asseoir la visée nataliste de la politique familiale. Au Québec, la question du taux de fécondité suscite des débats importants. Elle est fortement associée à la survivance de la nation et au poids politique de la population québécoise francophone au Québec, au Canada et même en Amérique du Nord. Devant l’importante baisse de natalité observée au cours des années 1980, deux tendances s’opposent quant à la façon d’intervenir. La première qui adopte une approche strictement nataliste propose des mesures visant à favoriser les familles nombreuses par un soutien financier, c’est le cas de la mesure phare du budget 1988-1989. Une seconde approche

125 Le gouvernement offre un « bébé-bonus » de 500$ à la naissance des deux premiers enfants d’une famille,

puis 3000 $ à la naissance du troisième enfant et des suivants. Pour connaître les critiques adressées à cette mesure par les différents acteurs de l’époque, voir C. Le Bourdais et N. Marcil-Gratton [avec la collaboration de D. Bélanger] (1994). « La politique familiale au Québec : « penser et agir famille ». Dans Les politiques gouvernementales face aux familles canadiennes en transition. Ottawa : Institut Vanier de la famille : 123.

soutenue, entre autres, par le CSF, suggère plutôt d’offrir aux parents, et aux mères surtout, le soutien économique et social susceptible de rendre réalisable leur désir d’enfants. Permettre aux parents de concilier de manière harmonieuse emploi et responsabilités familiales constitue pour le CSF une des avenues à privilégier (Bergeron et Jenson, 1999)126. C’est aussi l’avis de la démographe Danielle Gauvreau, selon qui :

« La conjoncture démographique actuelle place peut-être les femmes dans une position avantageuse pour obtenir réponse à leurs revendications en matière de politique familiale. À partir du moment où la fécondité apparaît comme un problème collectif (lié à la survie de la société), les conditions favorables qui devraient l‟entourer vont être posées comme relevant aussi de la responsabilité collective (Gauvreau, 1988, cité dans Dandurand et Kempeeners, 1990 : 93).

Dans le budget 1988-1989, le ministre des Finances annonce également la création de 60 000 nouvelles places en garderies, soit le double de la capacité en vigueur à cette date, dans les sept années à venir, car :

« Toute politique familiale articulée doit s‟appuyer sur une politique de services

de garde adéquate (…). L‟accès à un service de garde de qualité et la prise en compte de l‟État d‟une partie des frais qu‟il implique conditionnent bien souvent la décision d‟intégrer le marché du travail, comme celle d‟avoir un premier, un deuxième ou un troisième enfant » (Ministère des Finances, 1988 : 14).

Afin d’atteindre cet objectif et de poursuivre ses efforts visant à alléger la charge financière liée à la garde d’enfants, le Ministre évoque la nécessaire concertation des divers paliers de gouvernement et des nombreux partenaires de la communauté. En outre, il dit ne pas négliger l’apport nécessaire du secteur privé. Une priorité sera accordée à la mise en place de mesures visant à inciter les entreprises à implanter des garderies en milieux de travail (Ministère des Finances, 1988)127.

126 Pour la position du Conseil du statut de la femme, voir F. Lepage (1991). « Concilier travail et maternité :

les pistes à éviter et les objectifs à poursuivre ». Dans Conseil du statut de la femme. Femmes et questions démographiques. Actes du colloque tenu en mai 1990 à l’Université Laval. Québec : Gouvernement du Québec : 54-67.

Mouvement des femmes et syndical : de concilier maternité et travail à articuler responsabilités personnelles, familiales sociales et professionnelles

Le contexte de la préoccupation importante au sujet de la démographie et la priorité accordée par le mouvement des femmes à l’objectif de l’autonomie économique par la participation au marché de l’emploi amènent les chercheures féministes à s’interroger au sujet des liens entre la maternité et le travail. Au Québec, entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990 ces femmes se réunissent à trois reprises dans le cadre de colloques pour échanger leurs réflexions à ce sujet.128 Le thème de la conciliation fait aussi l’objet de recherches par le Secrétariat à la condition féminine qui privilégie cette avenue pour pallier l’absence de données québécoises sur la question. Le Fonds pour la formation des chercheurs et l’aide à la recherche (FCAR) s’intéresse aussi à la conciliation en lançant en 1992 un programme d’action concertée qui financera trois projets de recherche129. Cette période est marquée par l’adoption de la politique québécoise en matière de condition féminine : Un avenir à partager.

L’examen des actes des colloques organisés par des chercheures féministes de cette époque démontre une évolution dans la manière d’aborder la problématique de la conciliation travail-famille. Les travaux menés par ces chercheures au début des années 1990 traitent de la santé physique et mentale des mères en emploi et de leur qualité de vie au travail, de leur trajectoire de carrière et de leur expérience de la conciliation (Descarries et Corbeil, 1995).

Au colloque de 1991, l’intérêt est porté sur l’expérience de la mère au travail. C’est de l’articulation travail-maternité dont il est question. D’ailleurs, c’est à cette époque, en 1990,

128 Colloque Femmes et développement de l’Institut canadien de recherche sur les femmes (ICREF) sous le

thème La maternité et le maternage : un défi pour les féministes (novembre 1988); Colloque Maternité et travail : une articulation complexe organisé dans le cadre de l’ACFAS (mai 1991). Les Actes du colloque sont publiés dans R. B. Dandurand et F. Descarries (1992). Mères et travailleuses. De l‟exception à la règle. Actes du Colloque Maternité et travail, tenu à Sherbrooke le 21 mai 1991 dans le cadre du 59e Congrès de l’ACFAS. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture et dans F. Descarries et C. Corbeil (sous la dir.) (1995). Ré/conciliation famille-travail : les enjeux de la recherche. Actes du colloque Section Études féministes de l’ACFAS de 1994.

129 Recherche sur les perceptions des mères en emploi en partenariat avec une institution financière, recherche

sur les pratiques d‟aide à la gestion de l‟équilibre travail-famille en collaboration avec une organisation patronale et une recherche portant sur les municipalités en concertation avec une grande municipalité. Voir H. Massé (1995). « La conciliation famille-travail : lorsque les organisations s’en mêlent ou s’emmêlent ». Dans F. Descarries et C. Corbeil (sous la dir.). Ré/conciliation famille-travail : les enjeux de la recherche. Actes du colloque Section Études féministes de l’ACFAS de 1994 : 109-113.

à l’initiative de la CSN, qu’est créée une coalition pour l’instauration d’un régime universel de congé de maternité et de congés parentaux payés. C’est cette coalition, formée de groupes en provenance du mouvement des femmes, du mouvement syndical et de divers groupes familiaux, qui formera le Regroupement pour un régime québécois d’assurance parentale (Benoît, octobre 2005).

Le colloque de 1994 aborde la problématique de manière plus large. Dans sa communication, Hélène Massé du Secrétariat à la condition féminine affirme d’ailleurs « qu’un des défis majeurs de l’analyse de la conciliation travail-famille est d’arriver à concevoir le problème dans toute sa globalité et dans toute sa complexité » (Massé, 1995 : 113). En ouverture du colloque, Descarries et Corbeil demandent comment penser l’expérience des femmes en emploi afin de considérer les difficultés et ambivalences ressenties par les mères au travail sans nier les nombreux avantages qu’elles retirent de leurs activités rémunérées. Elles soulignent le consensus qui se dégage des communications présentées dans le cadre du colloque, à l’effet de prendre en compte les dimensions collectives de l’articulation travail-famille et affirment l’importance de multiplier les espaces de débats en incluant les partenaires sociaux que sont l’État, les syndicats et les entreprises dans la recherche de solutions. Vandelac et al. (1995) remettent, quant à elles, en cause les termes du débat en procédant à un travail épistémologique qui permet de prendre position face à la manière de nommer les enjeux. Pour elles, il ne faut plus parler de concilier travail et maternité, ni même de concilier maternité-travail ou maternité- emploi, ni encore maternité-emploi ou famille- emploi. Il faut plutôt parler, « même si la formule est longuette et manque d’élégance », de conciliation des responsabilités personnelles, familiales, sociales et professionnelles.

Le thème de la conciliation est présent dans la politique en matière de condition féminine

Un avenir à partager adoptée en 1993 (Secrétariat à la condition féminine, 1993). Sous la

première orientation « autonomie économique des femmes », la conciliation des responsabilités familiales et professionnelles apparaît comme un des trois objectifs visés afin de permettre la pleine participation des femmes au marché du travail130. Pour le

Secrétariat à la condition féminine, la conciliation répond à un besoin des parents, représente une nécessité pour les organisations et demande une adaptation de la part de la société. Les actions préconisées sont de quatre ordres : promouvoir auprès de la population l’importance d’implanter des mesures favorisant la conciliation; stimuler la recherche et promouvoir la mise en place de solutions novatrices au sein des organisations; supporter les parents par l’adoption de mesures et de services et favoriser une meilleure répartition des conséquences et des coûts liés à la maternité, aux soins aux enfants et aux proches (Secrétariat à la condition féminine, 1993).

Concrètement toutefois, les actions du gouvernement se résument pour la conciliation des responsabilités familiales et professionnelles, à trois engagements sur les cent-trente-cinq présentées dans le document Un avenir à partager. Les engagements gouvernementaux

1993-1996 (ibidem). Le gouvernement s’engage donc à poursuivre la collaboration avec le

Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche (FCAR) en ce qui a trait à la conciliation, à promouvoir l’implication d’organisations qui ont développé des approches et des actions novatrices en matière de conciliation et à maintenir et développer, dans toutes les régions du Québec, des services de garde diversifiés et de qualité131. Dans les faits, et comme il en sera question dans les prochaines pages, la question de la conciliation travail- famille va se développer davantage à travers la politique familiale.

4.4 Les années 1990 : affirmation de l’approche partenariale en matière de politique