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2.1 L’équivalence en traductologie

2.1.1 Typologies de l’équivalence en traductologie

Cela dit, bien que les points de vue du courant féministe et du courant postcolonial soient légitimes et importants, il n’en demeure pas moins que pour mener à bien des études

empiriques sur l’équivalence, il est nécessaire de s’appuyer sur une théorie qui fasse consensus au sein de la majorité des chercheurs. Du nombre des auteurs qui se sont penchés sur l’équivalence, on cite volontiers Catford (1965), Jakobson (1959), Koller (1979), Nida (1964) et Vinay et Darbelnet (1958). Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons par ordre chronologique les approches théoriques de chacun des auteurs cités.

Suivant Vinay et Darbelnet (1958), traduire c’est transférer le sens d’une langue source vers une langue cible, tant au niveau du lexique, de l’agencement (morphologie, syntaxe) ou du message (ibid. : 36–45). Leur méthode de traduction, basée sur la stylistique comparée de l’anglais et du français, comporte sept « procédés techniques » (ibid. : 46). Ces procédés se divisent en deux catégories : la traduction directe (littérale) et la traduction oblique. Les procédés directs ont recours à l’emprunt (ex. bulldozer), au calque (ex. guerre froide => cold war) et à la traduction littérale (ex. le livre est sur la table => the book is on the table). Selon Vinay et Darbelnet, ces trois procédés reposent sur les parallélismes (structuraux, métalinguistiques) qui existent entre deux langues. Les procédés obliques, quant à eux, font appel à « des moyens équivalents » qui devront rendre la même impression globale dans les deux messages (ibid. : 46). Ces procédés sont la transposition (ex. expéditeur => from), la modulation (ex. peu profond => shallow), l’équivalence (ex. château de cartes => hollow triumph) et l’adaptation (cyclisme => cricket). Selon les auteurs, l’équivalence, en tant que procédé technique, permet de « rendre compte d’une même situation en mettant en œuvre des moyens stylistiques et structuraux entièrement différents » (ibid. : 52). Par exemple, le proverbe anglais like a bull in a china shop est généralement rendu en français par comme un chien dans un jeu de quilles. On notera au passage que Vinay et Darbelnet entretiennent un flou terminologique par l’emploi du terme équivalence et l’expression moyen équivalent. Ces sept procédés, souvent cités et pris en exemple dans l’enseignement de la traduction, sont cependant fortement critiqués, principalement en raison de l’approche prescriptive adoptée par les auteurs.

Le linguiste, Jakobson (1959) explique dans « On linguistics aspects of translation » :

Equivalence in difference is the cardinal problem of language and the pivotal concern of linguistics. […]. No linguistic specimen may be interpreted by the

science of language without a translation of its signs into other signs of the same system or into signs of another system. Any comparison of two languages implies an examination of their mutual translatability. (ibid. : 114)

D’un point de vue sémiotique, Jakobson distingue trois types de traduction : intralinguistique, interlinguistique et intersémiotique. L’intralinguistique concerne la reformulation de signes linguistiques par d’autres signes linguistiques dans la même langue, par exemple, par des synonymes ou des périphrases. Toutefois, l’auteur précise qu’en règle générale les synonymes ne peuvent être de parfaits équivalents. La traduction interlinguistique fait appel, le plus souvent, à la substitution de messages dans une langue par des messages dans une autre langue. En effet, dans ce type de traduction, on traduit rarement les unités linguistiques séparément. Pour ce type de traduction, comme le souligne l’auteur, l’équivalence est rarement totale. La traduction intersémiotique est l’interprétation de signes linguistiques au moyen de signes non linguistiques. Les exemples de systèmes non linguistiques donnés par Jakobson sont la musique, la danse, le cinéma et la peinture. Ici, il est intéressant de rappeler qu’en langue de spécialité, on a également recours à la traduction intersémiotique par le biais d’illustrations, de graphiques ou de formules mathématiques (Kocourek 1991 : 10–11).

S’inspirant des travaux de Chomsky (1957) et abordant l’équivalence du point de vue de la sociolinguistique, Nida (1964) déclare : « we are not content to look upon a language as some fixed corpus of sentences, but as a dynamic mechanism capable of generating an infinite series of different utterances » (ibid. : 9). Nida propose de distinguer l’équivalence formelle de l’équivalence dynamique. Dans le contexte de l’équivalence formelle, le traducteur s’attache à reproduire autant la forme que le message du texte source, c’est-à-dire respecter au plus près les structures lexicales et grammaticales du texte source. D’après Nida, ce type d’équivalence aboutit à des textes difficiles à lire et à comprendre. Dans le contexte de l’équivalence dynamique, le traducteur s’efforce de susciter sur le récepteur du texte cible le même effet que celui ressenti par le récepteur du texte source. En tant que linguiste et traducteur de la Bible, Nida privilégie l’équivalence dynamique, car : « […] it is inconceivable to a Maya Indian that any place should not have vegetation unless it has been cleared for a maize-field » (Nida 1945 : 197). À titre d’exemple, Nida suggère de traduire desert par endroit abandonné. Avec ce raisonnement,

Nida veut nous faire comprendre que pour jeter des ponts entre deux réalités culturelles très différentes, le traducteur qui privilégie l’équivalence dynamique accorde la primauté à l’esprit du message du texte source au moyen de la paraphrase. De nombreux auteurs, dont Gentzler (1993), critiquent fortement l’usage de l’équivalence dynamique, ils soutiennent, entre autres, que ce type d’équivalence permet au traducteur de manipuler les textes sources, le plaçant de ce fait en position d’omnipotence.

Selon Catford (1965), l’équivalence est le problème central de la traduction et la définition de sa nature revêt une importance capitale (ibid. : 21). L’approche de Catford diffère radicalement de celle de Nida, en ce sens que l’auteur examine l’équivalence sous une perspective linguistique. Catford distingue deux types d’équivalence : la correspondance formelle et l’équivalence textuelle. Il y a correspondance formelle lorsqu’une partie du discours (ex. préposition) occupe la même place en langue cible que celle occupée par la même catégorie dans la langue source (ibid. : 27). Il y a équivalence textuelle lorsqu’un texte cible (ou une partie d’un texte cible) est considéré comme l’équivalent d’un texte source (ou une partie d’un texte source) (ibid. : 27). L’équivalence textuelle, quant à elle, constitue un écart (shift) par rapport à la correspondance formelle (ibid. : 73). Il existerait deux grands types d’écarts : les écarts de niveau et les écarts de catégorie. Les écarts de niveaux se produisent, entre autres, lorsque dans le texte cible une expression est exprimée par un élément appartenant à une forme grammaticale, alors que dans le texte source l’équivalent est représenté par une forme lexicale. Ainsi, dans l’expression This text is intended for… peut être rendue par Le présent manuel s’adresse à… L’écart de catégorie se divise en quatre : écart de structure, écart de classe, écart d’unité et écart intra-systémique (ibid. : 76). Les écarts de structure touchent les différences dans l’ordre des mots entre la langue source et la langue cible, par exemple, The man is in the boat donne en gaélique Tha (is) an duine (the man) anns a’ bhata (in the boat). Les écarts de classe concernent les changements de partie du discours des mots lors du passage d’une langue à l’autre, de cette manière l’adjectif dans medical student se traduit par un nom dans étudiant en médecine. Les écarts d’unité concernent les changements de rang, par exemple, dans white house l’adjectif précède le nom et dans maison blanche l’adjectif suit le nom. Dans les cas d’écarts intra-systémiques, les systèmes des deux langues restent les mêmes, mais présentent des différences, par exemple, des mots en langue source peuvent

prendre le pluriel dans la langue cible et vice-versa, ainsi the dishes se rend par la vaisselle. Les travaux de Catford sur l’équivalence sont ceux qui ont été le moins bien reçus par les traductologues qui lui reprochent une conception de l’équivalence ne correspondant pas à la pratique de la traduction (Yoda 2005 : 1009). Enfin, dernier point non négligeable à souligner, Anderman (2007) fait remarquer que les shifts de Catford s’apparentent aux recherches sur les correspondances formelles dans le domaine de la traduction assistée par ordinateur.

De son côté, Koller (1979) dresse une typologie de l’équivalence en cinq catégories : dénotative, connotative, stylistique (normative), pragmatique et esthétique (formelle). Il y a équivalence dénotative lorsque les mots de la langue source et les mots de la langue cible font référence au même objet (concret ou abstrait), par exemple, apple et pomme (fruit du pommier). L’équivalence connotative se réalise lorsque les mots de la langue source et les mots de la langue cible produisent la même valeur communicative sur les récepteurs, par exemple, have kittens et piquer une crise. L’équivalence stylistique (normative) consiste à respecter le genre textuel, par exemple, traduire une recette de cuisine de la langue source comme on la formulerait dans la langue cible. L’équivalence pragmatique (communicative) se produit lorsque les mots de la langue source et les mots de langue cible provoquent le même effet sur les récepteurs, par exemple, no parking et défense de stationner. Enfin, l’équivalence esthétique (formelle) produit sur les récepteurs des deux langues le même effet esthétique, ce type d’équivalence est employé pour traduire des poèmes, des chansons, des bandes dessinées, etc., par exemple :

Épidemais : Oh non, il l’a vendu. Il était meilleur marchand que marin. Ekonomikrisis : No, he sold it. He was a better salesman than sailsman.

(Goscinny et Uderzo : Astérix gladiateur)

La typologie de Koller est toutefois mal reçue par certains : « Koller’s five equivalence types, for example (denotativ, konnotativ, textnormativ, pragmatisch, formal), […], represents little more than a reshuffling of other equivalence types… » (Snell-Hornby 1988 : 20–21).