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Giora Hon a proposé un examen critique de la question de la classification des erreurs ex- périmentales15, dans un article divisé en deux parties. La première est une critique de la façon

dont philosophes et scientifiques envisagent la question de l’erreur expérimentale, et conclut sur un plaidoyer envers une classification de l’erreur expérimentale qui s’appuie sur des cri- tères épistémologiques et non mathématiques. Dans la seconde partie, Hon propose sa propre classification des erreurs. Selon Hon, la classification que les philosophes et les scientifiques proposent usuellement ne s’attache pas à la source des erreurs. Au contraire, en appliquant un critère purement mathématique, elle fait de l’analyse d’erreur une routine qui, de ce fait,

13. Colclough(1987), pp.171-172 (nous soulignons).

14. L’importance accordée aux erreurs dites « statistiques » dans les manuels peut mener à l’illusion selon la- quelle le traitement de ces erreurs constitue l’essentiel du travail d’analyse d’incertitude. Hon formule une critique dans ce sens : « La plupart des auteurs dans ce domaine se satisfont de quelques remarques concernant l’origine et le traitement des erreurs systématiques. Ayant brièvement examiné les erreurs systématiques, ces auteurs pro- cèdent à une analyse détaillée de la théorie des erreurs qui fournit l’outil mathématique pour traiter les erreurs aléatoires »,Hon(1989b), pp.477–478. Il n’est pas surprenant que le traitement des erreurs aléatoires, auquel cor- respond une méthode systématique, soit plus détaillé que celui des erreurs systématiques, qui se traitent au cas par cas. Cependant, il n’est pas pour autant justifié de réduire l’analyse d’erreur à l’analyse des erreurs aléatoires.

2.3 Typologie des erreurs et analyse d’erreur 61 n’apporte rien à la question épistémologique du « problème de l’erreur » en science16. Hon

propose en retour une classification de l’erreur fondée sur des critères épistémologiques, et structurée autour d’un découpage d’une expérimentation en quatre étapes, auxquelles corres- pondent quatre origines générales de l’erreur expérimentale17.

La critique que Hon formule dans la première partie de son article présente l’intérêt de rappeler que la question de l’erreur expérimentale n’est pas, en reprenant la citation qu’il tire de Mellor, « une excroissance fastidieuse, mais triviale, de la pure structure déductive de la science »18. Cependant, nous pouvons à notre tour nuancer cette critique. En effet, Hon laisse entendre que la dichotomie entre erreurs aléatoires et systématiques serait considérée comme le point de départ de tout travail d’analyse d’erreur et, ce faisant, se substituerait à tout travail préalable d’identification des sources d’erreurs, qu’elle rendrait inutile. Or, l’analyse des sources d’erreur de mesure et le traitement de ces erreurs sont deux étapes bien différentes de l’analyse d’erreur, qui ne font pas appel aux mêmes connaissances ni aux mêmes méthodes. Hon note à raison que la classification en erreurs aléatoires et systématiques est celle que l’on retrouve le plus couramment chez les philosophes et les scientifiques19. Effectivement, dans nombre

de présentations classiques de manuels ou de documents techniques, la dichotomie entre er- reurs aléatoires et systématiques est souvent déployée dès les premiers chapitres, et joue un rôle central. Mais cela est dû au fait que la majeure partie de ces textes ont pour objet même l’étape de quantification de l’incertitude, et non l’étape d’identification des sources d’incerti- tude, car, comme nous l’avons expliqué à la section précédente, c’est la première qui s’appuie sur des méthodes transversales, communes aux différentes disciplines, alors que l’étape précé- dente d’identification des sources d’incertitude fait partie intégrante d’un travail de spécialiste. La dichotomie elle-même a pour but de guider le traitement statistique des erreurs de mesure, et non pas leur identification préalable. Il nous semble ainsi que la critique de Hon ne tient pas compte du fait que les scientifiques considèrent bel et bien comme une partie essentielle de leur travail que de raisonner sur les sources possibles d’erreur de mesure, leurs causes et les phéno- mènes qui sont à leur origine, avant même d’entrer dans le questionnement d’ordre statistique qui, lui, s’appuie effectivement sur une classification mathématique des erreurs de mesure. Les scientifiques ont d’ailleurs eux-mêmes proposé des classifications qui s’apparentent, avec des

16. « Deux objections étroitement liées peuvent être soulevées contre cette classification en erreurs systéma- tiques et aléatoires. Premièrement, comme les protagonistes de cette classification sont intéressés dans l’erreur ré- sultante et non pas tant dans sa source, ils sont voués à classer ensemble des phénomènes qui peuvent en effet agir comme s’ils étaient du même type d’erreur, par exemple l’erreur aléatoire, mais qui se distinguent pourtant quant à leurs causes. [...] Pour le dire autrement, la dichotomie entre erreurs systématiques et aléatoires ne se concentre pas sur la source de l’erreur ; plutôt, elle examine la nature de l’erreur en appliquant un critère mathématique. [...] Le fait que le critère qui sous-tend cette dichotomie est mathématique constitue la seconde objection »Hon(1989b), p.477.

17. Les quatre origines en question sont (1) la théorie d’arrière-plan, (2) les hypothèses concernant le protocole expérimental utilisé et son fonctionnement, (3) les rapports d’observation et (4) les conclusions théoriques. Voir en particulier le tableau synthétique,Hon(1989b), p.480.

18. Hon(1989b), p.472, tirée deMellor(1967), p.6.

19. « La classification la plus courante des erreurs expérimentales est la classification qui distingue entre deux ca- tégories de l’erreur : erreurs systématiques et aléatoires »,Hon(1989b), p.474. Hon indique ensuite : « De nombreux textes et manuels sur la conception des expériences et le traitement des données peuvent attester de l’acceptation générale de cette classification qui est même parfois considérée comme exhaustive », p.475.

62 Chapitre 2 :Fondements généraux de l’analyse d’incertitude Matières Matériel

Méthodes Milieu Main d’œuvre

Effet

Figure 2.2 – Exemple de diagramme dit d’Ishikawa (conçu à par- tir d’un modèle tiré de wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/ Diagramme_de_causes_et_effets). Ce diagramme a pour but de recenser par

catégories un ensemble de causes amenant à un effet donné. Il offre donc en particulier une structure pour rechercher des causes d’erreur dans un processus de mesure. Il est utilisé en particulier dans la gestion de la qualité dans l’industrie, en ingénierie, ou dans l’entreprise.

vertus différentes, à celle que propose Hon dans la seconde moitié de son article. Parmi les plus populaires, on compte celle qu’a proposé à la fin des années 1960 l’ingénieur et chimiste japo- nais Kaoru Ishikawa, dans son travail sur la gestion de la qualité, et que l’on peut représenter par un diagramme dit « d’Ishikawa », ou « diagramme de causes et effets »20(voir figure2.2). Ces diagrammes sont effectivement utilisés, dans des milieux plutôt liés à l’ingénierie, afin de remonter aux racines des erreurs expérimentales21. La critique de Hon est donc valable avant

tout si elle est tournée vers l’état des travaux de philosophie des sciences à l’époque de sa publication, ou aux présentations parfois trop simplistes que l’on retrouve dans les manuels scientifiques ; appliquée aux pratiques des scientifiques, elle ne fonctionne que partiellement. La dichotomie entre erreurs aléatoires et systématiques n’a pas pour but d’expliquer comment les scientifiques doivent chercher à identifier les sources d’erreur et les sources d’incertitude, mais permet de structurer le traitement quantitatif des erreurs de l’incertitude une fois ces sources identifiées.