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III. Engagement, satisfaction au travail et turnover

3) Le turnover

Le turnover peut être défini comme « une attitude consciente et délibérée de quitter l’organisation, la séparation volontaire et effective d’un individu d’une organisation. Il explique les mouvements d’entrées et de départs des travailleurs d’une structure » (Pennaforte, 2011, p. 48). Le turnover peut être distingué en deux aspects : intra-organisationnel (entrée et sortie de collaborateurs dans une même organisation) ou bien extra-organisationnel (mouvement des membres hors de l’organisation) (Morin & Renaud, 2009). Pour les travailleurs saisonniers, le turnover peut s’observer de deux façons distinctes : durant la saison (période d’essai non concluante, abandon de poste, licenciement, etc.) ou d’une saison à l’autre (non-fidélisation). On peut remarquer qu’il peut être parfois le fait d’un arrangement, plus ou moins tacite, entre employeurs et travailleurs par rapport à la variabilité d’une activité, en l’occurrence touristique (Oliveira da Silva, 2016).

Les conséquences économiques du turnover ont été bien documentées, en particulier dans le secteur de l'hôtellerie (Hinkin & Tracey, 2000), métiers prépondérants dans notre population cible. Une étude aux Etats-Unis évalue à 2500 $ le coût moyen du remplacement d’un salarié et varie entre 500 $ et 5000 $ selon les responsabilités et compétences de l’employé (Wasmuth & Davis, 1983). En effet, le turnover a une incidence sur la qualité du travail des autres employés (Griffeth, Hom, & Gaertner, 2000) avec notamment une certaine désorganisation et une

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augmentation de la charge de travail. En outre, le turnover réduit la performance du salarié et de l’entreprise, car il entraîne une perte de connaissances, de compétences et de capacités précieuses (Shaw, Gupta, & Delery, 2005). Le temps passé par l’entreprise à former les nouveaux arrivants peut également être considéré comme une perte pour l’entreprise. Plus généralement, certaines recherches évoquent les perspectives d’une déprofessionnalisation des métiers de l’hôtellerie et de la restauration comme résultant du turnover via les représentations sociales qui en découlent (Oliveira da Silva, 2016). Au-delà des aspects économiques, le turnover en cours de saison ou bien d’une saison à l’autre est un enjeu concurrentiel important (McCole, 2015).

Différentes recherches se sont penchées sur l’identification des prédicteurs potentiels du turnover (Steel & Lounsbury, 2009). Jusqu'au milieu des années 1970, la plupart des modèles d’explication du turnover proposaient des liens directs avec les attitudes des employés, telles que la satisfaction au travail et le fait de quitter son emploi (Brayfield & Crockett, 1955; Vroom, 1964). Cependant, Locke (1976) en examinant la nature et les conséquences de la satisfaction au travail, a noté que les corrélations entre la satisfaction au travail et le turnover étaient modérées. En outre, les modèles de cette époque étaient dominés par la théorie de la décision administrative, selon laquelle la prise de décision humaine est un processus systématique et ordonné, paradigme dominant de l’époque. On peut signaler que de nombreux modèles ont été influencés ensuite par cette théorie, et le sont encore aujourd’hui (Steel & Lounsbury, 2009).

Par ailleurs, en analysant le turnover et l’absentéisme dans la littérature, Porter & Steers (1973) ont suggéré de mettre davantage l'accent sur la compréhension du processus de décision de changement. Plus précisément, ils ont suggéré que l'impact de la performance au travail pourrait être un médiateur probable de la relation attitude-comportement. Par la suite, Mobley (1977) a proposé un modèle incluant des liens intermédiaires entre la satisfaction et le turnover. Il a mis en évidence plusieurs décisions cognitives prises entre l’insatisfaction professionnelle et la décision de quitter un employeur. Son analyse comprenait des variables telles que l'évaluation de l'utilité attendue de la recherche d’un nouvel emploi et le coût du changement, l’évaluation des alternatives et la comparaison avec l'emploi actuel. Mobley s’appuie fortement sur les traditions conceptuelles dans le domaine de la théorie des attitudes pour mieux comprendre ce processus. Ce modèle peut être considéré comme une application ciblée de la théorie de Fishbein et d'Ajzen sur l'action raisonnée : le comportement des individus dépend de l’intention comportementale qui elle-même dépend de l’attitude envers le comportement et de la norme subjective (Ajzen &

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Fishbein, 1980). Cependant, différentes études menées pour tester le modèle de Mobley ont montré que plusieurs liens n'étaient pas significatifs, avaient des effets faibles ou obtenaient des relations inverses à celles attendues (Hom, Griffeth, & Sellaro, 1984; Miller, Katerberg, & Hulin, 1979). D’autres modèles incluant différentes variables de ce type (Hom, Caranikas-Walker, Prussia, & Griffeth, 1992; Tett & Meyer, 1993) ont déterminé que la meilleure manière d’appréhender le turnover consiste à analyser la relation entre satisfaction professionnelle et turnover. Les recherche récentes s’inspirent de cet apport théorique, si bien que des concepts tels que la satisfaction au travail apparaissent avec une telle régularité dans la théorie du turnover qu’ils sont « pratiquement devenus synonymes du domaine d’étude lui-même » (Steel & Lounsbury, 2009, p. 274).

Comme le montrent tous ces résultats empiriques, alors que de multiples variables cognitives sont pertinentes à l’analyse du turnover, leur pertinence au-delà des intentions est problématique. En effet, les recherches sur le turnover volontaire effectif sont relativement rares comparées à celles menées sur l'intention de quitter son emploi. Comme le souligne Johns (2001), les recherches sur le turnover ont été dominées par des modèles qui soulignent l'importance des aspects attitudinaux. Or, l’examen de la littérature dans ce domaine montre que les intentions comportementales, généralement exprimées comme des intentions de rester ou partir de l’entreprise, sont d'excellents prédicteurs du turnover (Griffeth et al., 2000; Steel & Lounsbury, 2009). Si différents modèles explicatifs du phénomène existent, on peut les regrouper en facteurs individuels et facteurs contextuels (Kopel, 2003; Peterson, 2004), ou bien de la combinaison des deux (Steel & Lounsbury, 2009) :

- Les facteurs personnels ou antécédents incluent généralement la personnalité (Zimmerman, 2008), les intérêts professionnels (Van Iddekinge, Roth, Putka, & Lanivich, 2011), la motivation au travail (Lundberg, Gudmundson, & Andersson, 2009), l'âge (Ng & Feldman, 2009) ou le genre (Cassidy, DeVaro, & Kauhanen, 2016). A contrario, l’âge a un impact très faible sur le turnover. Une méta-analyse basée sur des données récoltées auprès de 42 625 individus de 1959 à 1993 évalue une relation significative mais faible avec un coefficient de -,08. (Healy, Lehman, & Mcdaniel, 1995).

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- Les facteurs contextuels comprennent généralement les facteurs de stress au travail (Mellor, Moore, & Siong, 2015), l’évaluation du « coût » du changement de poste (Kammeyer-Mueller, Wanderg, Glomb, & Ahlburg, 2005), le taux de chômage, la croissance salariale et les promotions (Trevor, Gerhart, & Boudreau, 1997) ou encore le degré d’intégration dans l’entreprise (Crossley, C., Bennet, R. J., Jex, S. M., & Burnfield, J. L., 2007). D’autres travaux montrent que la gestion des compétences (Jarnias, 2003) ainsi que la formation professionnelle peuvent être liées au turnover (Pennaforte, 2011; C. Trevor, 2001). Enfin, des études mettent en relief l’importance de la satisfaction au travail (Nyberg, 2010), l'engagement organisationnel (Kammeyer- Mueller et al., 2005; Tett & Meyer, 2016), la performance au travail (Nyberg, 2010; Zimmerman & Darnold, 2009), l'épuisement professionnel (Wright & Cropanzano, 1998) ou encore les valeurs éthiques de l’entreprise (Liu & Lin, 2016).

Des preuves empiriques substantielles se sont accumulées indiquant que les mécanismes affectifs (attitudes professionnelles, morales), l’intention de quitter l’entreprise / d’y rester et les facteurs de recherche d’emploi sont des éléments fondamentaux. C’est pourquoi les modèles explicatifs de turnover sont systématiquement construits autour des trois mêmes éléments principaux, à savoir les variables attitudinales ou motivationnelles (satisfaction professionnelle, engagement organisationnel), les possibilités de recherche d’emploi (alternatives selon le marché du travail par exemple) et les intentions de turnover. De plus, certains mécanismes secondaires (traits personnels, possibilité de transfert intra-organisationnel) sont récurrents et apparaissent dans les différents modèles avec une fréquence suffisante pour suggérer qu'ils sont des éléments très importants (Steel & Lounsbury, 2009).

Malgré les nombreuses études et modèles concernant le turnover, des recherches sur les causes profondes des décisions de changement sont nécessaires. Bien que des études examinant les raisons pour lesquelles les personnes décident de changer d’entreprise existent (Mattis, 1990; Sicherman, 1996) ce type de travail est surtout remarquable par son absence (Steel & Lounsbury, 2009).

Certains modèles explicatifs du turnover s’appliquent à des individus issus de groupes spécifiques. Par exemple, les modèles proposés par Price et Mueller (1981) et Prestholdt, Lane et

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Mathews (1987) ont été élaborés pour un groupe professionnel d'infirmières. Cependant, ce type d'approche s'est avéré être l'exception plutôt que la règle. Le plus souvent, les cibles de population des modèles de turnover n’ont pas été précisées (Steel & Lounsbury, 2009). On peut tout de même souligner les recherches portant sur les travailleurs temporaires. Alors que les questions liées à la façon de gérer les travailleurs temporaires ont souvent été discutées, peu d’études empiriques ont étudié comment les attitudes des travailleurs temporaires influencent d'autres attitudes liées au travail et leur comportement réel. La plupart des recherches enquêtant sur ces travailleurs ont porté sur la différence de attitudes des employés entre « travailleurs permanents » et « travailleurs occasionnels » au sein d’une organisation (de Gilder, 2003; Thorsteinson, 2003). En outre, les gestionnaires, afin de gérer efficacement les travailleurs temporaires, doivent prendre en considération que ces derniers font face à une situation peu commune : ils travaillent pour deux entreprises, au sein de la structure « cliente » où ils sont affectés et l'agence temporaire qui reste leur employeur. Slattery & Rajan Selvarajan (2005) proposent un modèle qui montre que des variables telles que la rémunération, les avantages, le soutien, la supervision par les agences temporaire, ou encore l'indépendance, la complexité et la quantité de travail influent sur le turnover. Malheureusement, il n’existe pas de modèle spécifique aux travailleurs saisonniers dans la littérature. Nous prendrons donc en compte les éléments les plus pertinents à la lumière des recherches existantes pour élaborer notre propre modèle.

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