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Troisième niveau: la mobilisation des ressources, réseaux et

Chapitre 1. La problématique théorique: le concept de «carrière

2. Première partie: fondements théoriques

2.3. L’analyse multi-niveaux

2.3.3. Troisième niveau: la mobilisation des ressources, réseaux et

Pour comprendre le processus de la carrière, il ne suffit pas de connaî- tre les caractéristiques individuelles d’une personne ou la structure des opportunités et des contraintes, mais il faut inévitablement penser ces deux niveaux d’analyse ensemble, en tenant compte de leur interaction. Rosenfeld (1992) propose de penser cette interaction à travers la maniè- re dont l’acteur utilise ses ressources. Elle s’appuie sur Sorensen (1979) et affirme que les individus entrent dans un système d’opportunité avec une série de ressources. Or la manière dont ils les mobilisent est importante dans le processus de carrière. Le fait d’avoir recours à un réseau de personnes amène l’acteur à avoir plus de chances de remplir ses objectifs.

Becker (1985) évoque également ce niveau lorsqu’il décrit le système de coterie, forme de solidarité relativement instituée, mis en place par les musiciens de jazz afin de se soutenir mutuellement dans la recherche d’emploi. Rosenfeld (1992: 39) va encore plus loin lorsqu’elle affirme que «les ressources, contraintes, et les contacts d’un individu interagis- sent avec les caractéristiques structurelles pour créer les carrières». Elder et Caspi (1990) considèrent que les vies en relation avec les autres viennent jouer le rôle de médiateur et de filtre avec les changements sociaux, et permettent de traiter les individus non pas comme des enti- tés isolées mais comme étant enchâssées au sein de la matrice sociale de leurs relations (Drobnic et Blossfeld, 2004: 141). Ainsi, «pour compren- dre complètement les processus de la carrière, il nous faut considérer les facteurs suivants: la structure d’opportunité, les ressources et les caractéristiques de l’individu» (Rosenfeld, 1992: 41). Il existe donc, entre les niveaux structurel et individuel, un niveau intermédiaire, celui

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de la mobilisation des ressources, à travers lequel l’individu tente d’exploiter au mieux les opportunités de la structure.

Les ressources «n’existent que relationnellement, dans un contexte concret d’interdépendance, (...) et sont un potentiel qu’il importe de mobiliser dans une visée d’action stratégique» (Neveu, 2005: 56). Si elles sont relationnelles, les ressources et leur mobilisation constituent bien un niveau intermédiaire puisque les «relations entre amis, parents et voisins constituent des structures intermédiaires (...) entre l’individu et les institutions» (Hily et al., 2004: 6). Le troisième niveau intermédiai- re peut donc être appréhendé à travers le réseau relationnel que l’acteur peut mobiliser afin d’optimiser les ressources qu’il a à sa disposition. Cette approche permet de combler le vide théorique entre micro et macrosociologie (Emirbayer et Goodwin, 1994).

Que faut-il entendre par «réseau»? Ce concept a émergé en sociologie sous l’influence de l’interactionnisme symbolique et de la théorie des systèmes. Selon Hollingsworth et Boyer (1997: 8), le réseau représente les formes de coordination de l’action dans lesquelles «les acteurs ne sont pas intégrés dans des organisations formelles, mais n’agissent pas pour autant de façon autonome sur un marché». Dans les réseaux, les acteurs sont liés «de façon souple aux autres dans des relations de moyen/long terme qui favorisent leurs capacités à collaborer et coopé- rer, au travers d’échanges répétés avec d’autres acteurs» (Maroy et Dupriez, 2000: 78).

D’après Lemieux (1999), le réseau est un système d’acteurs sociaux en perpétuel changement mis en oeuvre dans un environnement donné. Le réseau se différencie également des autres systèmes par la manière dont il met les ressources en jeu: au lieu de leur mise en ordre, le réseau est un système d’acteurs qui a pour fin la mise en commun des ressour- ces. Chez Lin, les ressources sont utilisées par l’intermédiaire de leur insertion dans des réseaux sociaux afin de réaliser des objectifs de sur- vie ou de préservation de leurs acquis (Lin, 1995). En effet, le réseau se définit comme une forme de sociabilité qui se développe en marge ou au sein des institutions, activant des moyens humains (capital relation- nel ou social), faisant circuler des ressources, pouvant éventuellement exercer des contraintes sur ses membres, et possédant un degré varia- ble d’ouverture et de rapport avec l’extérieur (Portes, 1998).

Le capital social est un concept qui permet de mieux comprendre le fonc- tionnement des réseaux sociaux puisque, selon lui, le réseau est une des

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formes prises par le capital social (Portes, 1998). Selon Lin, le capital social est constitué des «ressources auxquelles on a accès dans un réseau [par lesquelles] les acteurs peuvent atteindre des buts instru- mentaux ou expressifs» (Lin, 1995: 685). C’est Durkheim qui développa ce concept à travers l’idée de «vie sociale», considérée comme un stock de forme non économique ou monétaire. Bourdieu (1980: 2-3), qui fut le premier à l’utiliser de façon systématique, le définit comme «la somme totale des ressources actuelles ou potentielles qui sont reliées à la pos- session d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnali- sées de connaissance ou de reconnaissance mutuelle».

L’approche de type capital social rencontre des aspects important du processus de construction de la carrière, à savoir la mobilité sociale et les processus d’acquisition de statut (Lin, 1995: 693). L’idée est ici que le capital social augmente les chances d’acquérir de meilleurs statuts, et ce, quels que soient les sociétés, les niveaux d’industrialisation et de développement, les secteurs économiques et les statuts concernés (Lin, 1999). Mais, à l’instar du niveau structurel, le réseau ne doit pas être uniquement considéré comme habilitant (Emirbayer et Goodwin, 1994). Lazega et Lebeaux (1995) ont par exemple démontré que le capi- tal social peut se convertir en contrainte lorsque les acteurs utilisent leurs relations pour exercer des pressions les uns sur les autres. Le capi- tal social est fonction de «la capacité des agents de transformer des rela- tions contingentes en relations utiles ou potentiellement utiles» (Léves- que et White, 1999: 27).

Il s’agit maintenant de définir précisément les ressources dont la recher- che propose d’étudier la mobilisation. Outre le capital social, Bourdieu (1986) identifie d’autres formes de capital utilisé par les acteurs sociaux. Il s’agit notamment du capital économique et du capital culturel2. Le capital économique est le capital financier qui donne l’opportunité aux individus d’acheter des biens et d’autres ressources pour élaborer leur vie. Le capital culturel peut se manifester sous trois formes: (1) une dis- position à, par exemple, amasser l’information et à l’apprentissage, (2) des biens culturels (livres, peintures), (3) des diplômes et la valeur qui leur est accordée. Cette première typologie rencontre celle établie par Lemieux constituée des ressources normatives (valeurs ou règles), des

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Il y a aussi le capital symbolique dont il ne sera pas tenu compte en tant que tel dans cette problématique.

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ressources matérielles, des ressources statutaires, des ressources humai- nes et des ressources informationnelles (Lemieux, 1999). Sans se confondre, ces typologies se recoupent et s’enrichissent mutuellement. Sur base de cet enrichissement, cette recherche propose la typologie suivante:

le capital économique, selon la dimension financière définie par

Bourdieu:

les ressources matérielles, qui se distinguent du capital économique

et peuvent prendre, par exemple la forme de services (dons de nourriture, hébergement gratuit, etc.);

le capital culturel, qui correspond à la troisième forme du capital

culturel définie par Bourdieu relative à l’éducation (diplômes, for- mation, etc.);

les ressources informationnelles, qui correspond à la première forme

prise, selon Bourdieu, par le capital culturel;

les ressources statutaires, qui renvoient à des ressources formelles

nécessaires dans le processus d’acquisition des statuts (témoigna- ges, prise en charge, etc.);

les ressources humaines, qu’il faut entendre ici en tant que soutien moral et psychologique.

Suite au bref parcours de la littérature effectué dans la Première partie, la question est maintenant de savoir qu’en retenir afin de reconstruire un concept de carrière utile à l’analyse des nouvelles migrations en Belgi- que, et ce en considérant que «l’immigration est (...) dotée d’une logi- que propre, qu’elle a ses tenants et ses aboutissants propres, ainsi que ses conditions quasi autonomes de fonctionnement et de perpétuations» (Sayad, 1991: 111).

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