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Troisième glissement : Méthodes agiles, design thinking, enrôlement des usagers

Informatique et Créativité Compatibilité des incompatibles ?

3. Troisième glissement : Méthodes agiles, design thinking, enrôlement des usagers

Recentrer l’entreprise sur son cœur de métier, externaliser certaines tâches ou fonctions et développer des innovations d’une manière permanente devient, si l’on en croit les discours tenus, une nécessité. Dans ce contexte la flexibilité est une composante majeure du fonctionnement quotidien des organisations productives et nécessite que les systèmes informatiques soient étendus à l’ensemble des sous-traitants. Dans cette société en réseau la productivité et la croissance proviennent de la création de savoir et de la valeur ajoutée. La dynamique de l’innovation joue un rôle majeur et la logique de réseau répond à la complexité croissante des relations et des interactions dans l’économie et la société (Castells, 1998). Dans ce contexte Internet, les intranets, entres autres, vont modifier les méthodes de travail de conception et de développement tout particulièrement dans l’informatique avec la percée et la montée en puissance d’un travail qui se veut coopératif, à distance dans des temporalités différentes. Cela passe aussi par l’établissement de nouvelles formes de liens entre les organisations productives avec les usagers et les consommateurs. Ainsi la créativité est largement sollicitée pour élaborer de nouveaux applicatifs, mais aussi de nouvelles façons de capter l’attention, voire de valoriser l’attention (Citton, 2014). Elle est également la résultante d’interactions et d’échanges soutenus.

L’instauration à partir de la fin des années 1990 d’une production qualifiée de flexible (recentrage sur les compétences centrales, désintégration horizontale, alliances avec les fournisseurs, usages intensif des TNIC, forte flexibilité du travail)148 va fortement y contribuer pour sortir d’un modèle d’organisation jugé trop rigide. Deux orientations majeures sont mobilisées : le recours aux méthodes agiles et design thinking ; la mobilisation et l’enrôlement des usagers.

Méthodes agiles et Design Thinking

Sortir de la logique de planification, de rationalisation, d’optimisation, d’une planification prédéfinie, d’une gestion linéaire aux étapes calibrées dans le cadre d’une temporalité prédéfinie devient le principal leimotiv des décideurs. L’injonction à la référence à la créativité, s’oppose alors aux notions de normativité, de causalité et de reproductibilité. Du coup les méthodes agiles sont de plus en plus poussées pour projeter les informaticiens dans une posture créative. Les méthodes agiles sont diverses (Fernandez, V., Houy, T., Khalil, C., 2013), il n’est pas envisageable dans le format imparti de toutes les aborder, mais l’une est à retenir en particulier, le Design Thinking qui émerge dans les années 1989-90 et s’inscrit dans un mouvement plus ancien de valorisation de la créativité qui nécessiterait un long développement et que l’on peut trouver dans l’ouvrage Psychologie de la créativité de Lubart, T. (2003). Cet auteur indique qu’Alex Osborn, publicitaire de son état cherchant en 1965 à renouveler les pratiques de ses collaborateurs va créer le « brainstorming » et permettre ultérieurement l’éclosion de méthodes créatives dans les organisations productives. C’est dans cette continuité que s’inscrit le Design Thinking développé par Rolf Fate dans les années 1980 à l’Université de Stanford sera popularisée par Tim Brown. Le design Thinking

148 Rajan, Amin. (1998) : Tomorrow’s People, London, Centre for Research in Employment and technology in

repose sur trois éléments Desirability (Human), Viability (Business) et Feasibyliti (Technical). Ainsi les méthodes dites « agiles » intègrent le demandeur (client) en proposant des cycles de développement itératif, incrémental et adaptatif favorisant le développement de synergies créatives pour mettre en œuvre de nouveaux services. Processus itératif très prisé, notamment par les start-up et conçu pour alimenter la créativité des acteurs tout en centrant la conception du projet sur le besoin de l’utilisateur, du client149. Certains chercheurs perçoivent dans cette approche un changement de paradigme (Hatchuel, Le Masson, Reich, Subrahmanian, 2018).

Mobilisation et enrôlement des usagers

L’économie de production de logiciels ou de serviciels mobilise et enrôle de plus en plus les usagers, les consommateurs à titre bénévole. Le cas du navigateur Mozilla Firefox illustre cette nouvelle manière de faire. En rendant public son code source, les usagers, développeurs créatifs et bénévoles ont été en mesure de modifier et d’enrichir le navigateur. L’enrôlement va bien au-delà puisque les internautes sont aussi mobilisés pour détecter les bogues informatiques pendant que d’autres font preuve d’imagination pour maintenir et compléter la documentation technique. Facebook procède de la même manière. Ce Rsn revendiquait déjà en 2010 plus d’un million de développeurs et 550 000 applications actives quant aux contenus diffusés ils sont créés très majoritairement par les internautes150. On retrouve la même approche via le développement de plateformes collaboratives de la part de nombre d’industriels de la téléphonie mobile comme Orange Lab qui encouragent les internautes à tester de futurs services, d’en proposer d’autres et d’anticiper les usages. Tout cela participe à la flexibilisation de la production, de la relation et du lien de subordination. Cela correspond à l’émergence d’une nouvelle figure de l’usager incitant fortement l’internaute à participer, à produire des applicatifs, mais aussi à proposer des contenus en lien avec les données de l’open data par exemple et pas seulement à les consommer (Paquienseguy, 2012, p. 182). Ce qui est privilégié est l’innovation par l’usage de services et de produits. L’objectif pour les industriels étant de de proposer une offre de services anticipée par les usagers en provenance de tout à chacun.

Propos de conclusion

Une première lecture montre :

Tout d’abord que l’injonction-contagion dite créative n’a pas fait irruption par hasard, ces derniers temps, dans le champs de l’informatique, mais qu’elle est la dernière phase (toute provisoire sans doute) d’un processus qui s’inscrit dans une temporalité longue qui s’est structuré peu à peu obligeant la communauté informaticienne à prendre en compte d’autres rationalités : économiques, sociales, organisationnelles, puis créatives et pas seulement technique.

Ensuite la créativité recherchée est collective même si elle fait appel aux individualités. La raison en est qu’elle est enchâssée dans un processus productif qui a vocation à favoriser un management de l’innovation via les échanges et les interactions communicationnelles numériques. Ainsi la créativité est au service de l’innovation. On assiste alors à la créativisation des activités de conception et de développement.

Enfin une question se pose : la rhétorique à la créativité à destination des informaticiens et des usagers-consommateurs n’est-elle pas tout compte fait une nouvelle forme de

149 Se reporter à Gillibert, S., Cassignol, F, Creusy, O. (2016) : Design Branding : (Re) penser les marques par

le Design Tinking, Paris, Dunod.

150 Pour de plus amples informations se reporter à Carré, D. (2012) : « Étudier les usages. Est-ce encore

rationalisation émergente qui s’affirme pour faire face aux renouvellements de produits et de services proposés afin de répondre à une concurrence, le plus souvent mondialisée et exacerbée ?

Bibliographie

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Aesthetic affect on the users’ behaviour as an element of web atmospherics.

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