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TIPII : un modèle pour penser la performativité de la créativité dans les interactions

Dany BAILLARGEON Département de communications Université de Sherbrooke (Canada) Dany.baillargeon@usherbrooke.ca

Résumé :

L’industrie de la communication marketing a élevé la créativité au rang de culte, qu’elle entretient avec des Discours (avec un grand « D ») sur la créativité : celle des concours, des agences prestigieuses, gourous de la création et autres injonctions institutionnalisées, faisant du « créatif » sa figure de proue. À partir de deux ethnographies d’agence de publicité, nous souhaitons démontrer qu’il n’existe pas une figure du créatif, mais bien des con-figurations, imbrication des différents événements communicationnels, où les employés – sans égard à leur statut, trait, personnalité ou poste – défendent différentes figures de la créativité, impriment une direction à l’agence. Cette vue interactionniste de la créativité, abordée par la thèse de la ventriloquie et plus largement des approches de la communication comme constitutive des organisations (CCO), nous la circonscrivons dans un cadre d’analyse nommé

TIPII107. Mots-clés :

Créativité, performativité, interaction, ventriloquie, modèle TIPII

107 Je tiens à remercier Alexandre Coutant, professeur au Département de communication sociale et publique,

pour les échanges amorcés dans l’introduction du numéro Créativité et organisation: Tensions communicationnelles (Baillargeon & Coutant, 2017), qui ont présidé à cette proposition.

Le terme « créativité » a envahi les organisations. Plus seulement cantonnée aux métiers traditionnels de la création, la créativité domine maintenant discours et préoccupations organisationnelles. L’industrie de la communication n’y échappe pas, particulièrement pour le secteur de la publicité, qui a depuis longtemps fait du culte de la créativité sa raison d’être (Nixon, 2003). Or cette créativité primée et encensée est essentiellement la Créativité avec un grand C (ou les Discours idéologiques sur la créativité (Alvesson, 2004)) : celle de grandes agences aux modèles et leaders inspirants (Lynch & West, 2017), des concours internationaux (Kilgour, et al., 2013), des gurus créatifs possédant des traits de caractère uniques (Mumford, et al., 2002). Ainsi est starifiée la créativité, et la figure du créatif à sa suite, où le talent repose sur un ensemble inégalement réparti d’aptitudes que des individus dotés réuniraient en plus grande quantité (Menger, 2014). Perçus comme les plus aptes à articuler la relation entre économie et culture, affaires et art (McFall, 2004) puisqu’ils possèdent la sensibilité artistique nécessaire pour interpeller les masses (Hackley & Kover, 2007), les créatifs en agence sont présentés comme des omnivores culturels (McFall, 2002), ethos qu’ils entretiennent par une intense rhétorique identitaire (Alvesson, 1994). Ainsi reviennent aux créatifs les salaires les plus élevés (Smith & Yang, 2004) et les postes les plus influents (Till & Baack, 2005).

Or comment se construit cette figure? Dès lors que l’on est aussi créatif que notre dernière création et qu’en soi cette identité n’est jamais stabilisée (Hackley & Kover, 2007) mais constamment réitérée, il devient alors intéressant de prendre en compte une ontologie communicationnelle de la figure de la créativité. Dit autrement, comment peut-on observer la mise en figuration de ce créatif? Et ce qui nous intéresse davantage est l’agentivité de cette figure : comment cette figure agit-elle réellement sur la pratique quotidienne dans les agences de communication marketing? Si tant est que cette figure soit un point de passage de déterminismes, c’est qu’elle doit avoir une incidence sur l’agir social. Comment désindividualiser la perception des déterminants de la créativité sans dépersonnaliser l’existence de talents (Menger, 2009)? Comment concevoir une créativité ordinaire ou « qui peut venir de tout le monde » (Alter, 2010)? Comment rendre compte, empiriquement, de possibles déterminismes psychologiques, tels qu’ils sont activés dans l’activité humaine, voire objectale (Jarzabkowski, et al., 2015)?

Dans cette proposition, nous souhaitons démontrer qu’il n’existe pas une figure du créatif, mais bien des con-figurations de la créativité, agencement de figures qui rend possible cette créativité, mais qui n’implique pas seulement le créatif lui-même. Ces con-figurations, animées et entretenues dans les interactions permettent d’étudier la créativité frontalement dans et par la communication, en nous inspirant entre autres des thèses de la ventriloquie (Cooren, 2013) et plus largement des approches de la communication comme constitutive des organisations (Jojczyk, et al., 2016; Putnam & Nicotera, 2009; Schoeneborn, et al., 2014). De plus, comme ces agencements sont constitués autant d’éléments du niveau micro (ex. percepts, affects, passions, traits), meso (ex. règles organisationnelles, procéduriers, valeurs) et macro (idéologies, chartes et discours professionnels), nous arguons que cette proposition d’une con-figuration de la créativité permet d’articuler les niveaux habituellement disjoints. Nous synthétisons ce cadre à travers l’acronyme TIPII pour tensions, identités, performativité, idéologies, institutionnalisation, qui approche la créativité dans ce qu’elle a de dynamique pour mieux saisir son émergence et sa circulation, en plus de l’affranchir de la centralité du créatif-sujet.

Les angles morts des programmes de recherche en créativité

Les programmes de recherche sur la créativité circonscrivent traditionnellement cinq thèmes dominants (Bardin, 2006; Runco & Kim, 2013; Sternberg & Kaufman, 2010):

• Personne : traits cognitif et conatif favorisant la créativité

• Processus : les différentes heuristiques menant à l’émergence de la créativité • Production : comme résultante de cette créativité et soumise au regard des autres; • Milieux et pression : l’environnement et ces incidences sur les processus et les

personnes.

Bien que certaines approches systémiques de la créativité aient proposé d’en conceptualiser les interrelations (Csikszentmihalyi, 1998), ces cinq pôles demeurent empiriquement difficiles à articuler. De fait, les différents niveaux d’émergence de cette articulation, partant du psychisme (personne) de la créativité jusqu’aux contextes meso ou macro (milieux/pressions), appellent des ontologies et des méthodologies diverses. Surtout, et c’est ici notre intérêt, il appert que cette articulation est souvent conçue comme hors des interactions, ou alors, en les tenant pour acquis, comme une toile de fond où opèrent les interactions inhérentes au processus, aux pressions, aux jugements entourant cette créativité. Certes, beaucoup s’est dit sur le management de la créativité, (Davis & Scase, 2000; Gotsi, et

al., 2010; Paris, 2010) entre autres par des activités de communication (Pfeffermann, et al.,

2013). Or cette vision, encore une fois, se limite aux activités télescopées, ce qui ne rend pas justice aux interactions non contrôlées, pourtant essentielles à l’émergence de la créativité (Fairhurst, 2008; Trujillo, 1983). Dès lors que l’on considère la créativité et ses résultantes comme subjectives, donc le fruit d’une construction sociale, rarement cette créativité a été abordée frontalement par la communication.

Ce point aveugle n’est pas étranger au fait que le sujet-créatif constitue la figure centrale de cette créativité, tout empreinte qu’elle est de l'ethos socialement valorisé de l'individu inspiré, talentueux, réflexif, autodéterminé, libre (Negus & Pickering, 2004). Ce créatif est une fonction, qui, par ses attitudes, ses traits, des compétences, rend possible la disruption des conventions, de la destruction créative (Schumpeter, 1942). Ou alors, il devient une construction issue des politiques sociales et économiques de la nouvelle économie créative, valorisant ce même créatif-sujet, qui est traversé d’un faisceau de déterminismes psychologiques, organisationnels, sociaux et institutionnels.

Concevoir la « figure » par la ventriloquie

Comment peut-on observer la mise en figuration de ce créatif? Comment cette figure agit-elle

réellement sur la pratique quotidienne dans les agences de communication marketing? Nous

proposons de conceptualiser la notion de figure à partir de la thèse de la ventriloquie – « […] soit le phénomène par lequel un acteur en fait parler un autre à travers une énonciation ou, plus généralement, un comportement » (Cooren, 2013, p. 13). À l’instar du ventriloque qui parle à travers sa marionnette, la figure108 est un point de passage de plusieurs êtres aux ontologies variables – faits, idées, valeurs, sentiments – qui sont animées dans les interactions et agissent sur le cours des événements. Par exemple, en invoquant la figure de l’originalité, le créatif espère rappeler le poids de ce critère comme argument en faveur d’une idée. Il rappelle par le fait même ce qui l’anime, le précède, le fait agir d’une certaine façon (Cooren, 2010b). Ces figures, en étant réitérées, réaffirmées et mobilisées impriment une façon d’agir et de faire agir dans les collectifs, en rendant reconnaissables les actions qui y sont réalisées.

108 « […] le mot “figure” est le terme que les ventriloques anglo-saxons utilisent pour parler du mannequin

Cette figure de l’originalité mise en scène dans un réseau d’épisodes communicationnels (Blaschke, et al., 2012) où elle s’incarne dans les conversations, les textes organisationnels et les productions artistiques elles-mêmes. Suivant (Cooren, 2010a), nous nommerons con- figurations cette agrégation de figures rendant possible le phénomène de la créativité.

Ethnographie de la créativité : les cas de deux agences de publicité au Québec

Pour illustrer notre propos, nous prenons appui sur une ethnographie organisationnelle menée dans deux agences de publicité au Québec, alimentée par 46 h d’observations non participantes, que nous avons complétées par 51 entrevues semi-dirigées auprès de 31 employés.

Les figures de la créativité

Tout d’abord, au sein des deux agences, il n’existe pas une seule définition de la créativité, mais des définitions, comme autant de figures. Ce sont de fait plus que de simples définitions : elles sont mobilisées dans les conversations, les textes, les pratiques au sein de l’agence et reviennent réaffirmer chaque fois ce qui compte pour cette dernière.

Sommairement, ces figures de la créativité sont :

- la créativité-audace : la créativité vue comme une façon de briser les conventions, qui admet son lot de risque;

- la créativité-solution : que la créativité sert à répondre aux besoins, attentes, objectifs de l’annonceur;

- la créativité « beaucoup avec peu » : particulièrement saillante pour les deux petites agences en région, la créativité permet de faire des miracles avec peu de moyens, de temps, de ressources;

- la créativité esthétique : une créativité qui est perceptible dans le produit fini;

- la créativité-vision : une créativité qui permet au client de se projeter dans une stratégie qui n’est pas encore définie ou construite;

- la créativité 360 : une créativité qui se déploie non seulement dans la production de publicités, mais également dans tous les besoins du client;

- la créativité-signature : une créativité qui serait l’apanage de l’agence, sa griffe reconnaissable.

Ces figures de la créativité sont mobilisées dans les conversations, les textes, les pratiques au sein de l’agence et reviennent réaffirmer chaque fois de quelle façon cette créativité importe, mais également pour orienter le cours des événements. Par exemple, lors d’une réunion réunissant les deux directrices artistiques (Katherine et Suzie), le responsable de compte (Éric) et la gestion de projet et conceptrice-rédactrice (Marie-Chantal) pour recevoir les instructions entourant un nouveau client qui veut qu’on lui conçoive une campagne sur des panneaux réclames rapidement. La présentation du mandat s’est rapidement transformée en séance de brainstorm. Vers la fin de la rencontre, faute d’avoir une idée qui fasse consensus, les esprits s’échauffent. Marie-Chantal, rappelle qu’il faut d’abord répondre au besoin du client, avant de considérer les propositions plus farfelues : « C'est ben beau faire une campagne billboard, mais si on ne répond pas au besoin du client, parce qu'on a voulu juste drôle, pis l'fun, pis beau… on n'a pas réussi notre job. »

Ainsi, elle oppose la figure de la créativité solution à celles souvent utilisées par les deux directrices artistiques, la créativité esthétique et la créativité audace. En mobilisant cette figure, Marie-Chantal réaffirme ce qui compte pour elle – répondre aux attentes du client – alors que les DA, elles, rappellent leur ethos et ce qui les animent en mobilisant les figures de

la créativité esthétique et de la créativité audace. Plus tard dans le processus, Marie-Chantal revient en force auprès des deux DA, avec un cahier de charge (Figure 1), des notes, des idées (Figure 2), qu’elles présentent aux deux directrices artistiques.

Figure 1. Discussion entre les deux directrices artistiques et la gestionnaire de projet

Figure 2. Cahier de notes de Marie-Chantal

La rencontre se termine avec cet échange (notre emphase) :

Marie-Chantal : Parce que lui il veut des résultats à court terme. Fait que, il veut que les gens appellent. Puis à date les gens appellent pour des services qu’il ne pensait pas. Éventuellement on aura peut-être avoir la chance de faire

quelque chose de plus…

Véronique : Différent.

Marie-Chantal : Différent, mais là, il n’est pas connu. Ce qu’il veut, c’est avoir du

monde, il veut vivre. Fait que, fait que t’sais– C’est pas– Il y a moyen de

faire de quoi de beau, d’intéressant. C’est pas le, le concept publicitaire

du siècle, mais c’est ça qui est ça.

De nouveau, Marie-Chantal réaffirme les figures qui comptent pour elle, mobilisant entre autres des objets – cahiers de note, cahier de charges – pour lui donner du poids, montrer que comme elle, cette figure est présente et importe dans d’autres événements communicationnels.

L’agentivité des figures de la créativité : les clients qualifiables

Ces figures de la créativité ne sont pas des phénomènes rhétoriques isolés : elles sont mobilisées dans l’établissement des clients « qualifiables », c'est-à-dire répondant aux exigences de l’agence ou pouvant être reçus dans le portfolio. Différentes figures du client sont alors mises en scène : les clients orientés (qui savent ce qu’ils veulent), les clients informés (qui détiennent des connaissances ou une expérience en marketing), les clients inspirants (qui suscitent des idées, des avenues différentes), les dynamiques (qui s’impliquent dans le processus de création), les clients carte blanche (qui font confiance à l’expertise créative de l’agence), les clients appareillés (qui ont la même sensibilité créative que l’agence).

Chacune de ces figures du client devient aussi un canevas menant vers l’action. Elle s’imbrique effectivement (Taylor, 2001) dans le prolongement des figures de la créativité. Par exemple, le « client orienté », celui qui sait ce qu’il veut, permet à la créativité-vision et à la créativité-audace de prendre corps (s’incarner); le client inspirant permet à l’agence d’incarner la figure de la créativité-produit ou à tout le moins, la figure du « beaucoup avec peu ». Or c’est parce que l’agence qualifie ses clients en réponse aux différentes figures de la créativité qu’elle rend possible l’expression du créatif.

Lors d’une discussion, Daniel, directeur du service-conseil et actionnaire de l’Agence L, nous explique ainsi ce principe du client qualifiable, où il anime la figure de la créativité- esthétique qu’il associe à ces clients qui ont une énergie similaire à la leur, souhaitent briser les conventions, être innovants et créatifs :

[…] il y a toujours des nouveaux clients, des nouveaux entrepreneurs qui partent des projets… qui veulent euh- de la communication marketing, et qui, eux, ont leur propre culture. Souvent, ces start-up-là sont plus allumées, son plus à l’affût… du professionnalisme, pis du… de quoi d’esthétique. Donc avec le temps oui, on le sent, pis les jeunes entreprises sont plus à l’affût de ça versus les [une entreprise industrielle de la région].

Les figurations institutionnelles et idéologiques

Certes ces figures émergent des interactions à l’intérieur de l’agence, mais on voit bien qu'elles reproduisent un Discours, avec un grand D, de la créativité. De fait, la légitimation de la créativité est au cœur des dynamiques organisationnelles, elles-mêmes traversées par des structures de légitimation institutionnelle (prix, concours, presse professionnelle, discours associatif, promotions, etc.). La créativité qui se « pratique » au niveau individuel ou organisationnel s’observe alors comme des reproductions de pratiques institutionnalisées (Lawrence, et al., 2011), telles qu’elles sont véhiculées, par exemple, par les écoles de gestion (Whittington, et al., 2003), les manifestes (Soar, 2002) et les injonctions associatives (Baillargeon, et al., 2013).

Par exemple, sur le mur de l’Agence K on retrouve une affichette sur laquelle on peut lire « C’est qui ça, Cossette? » (Figure 3). Produite dans le cadre d’une autopromotion de l’agence, cette affichette narquoise est un pied de nez à l’une des plus importantes agences au Québec, Cossette, qui non seulement remporte année après année plusieurs prix, mais rafle également les clients les plus prestigieux. En s’opposant à la figure de cette agence, ventriloquant ce qui est considéré comme de la Créativité – pour mieux asseoir sa propre créativité – l’Agence K souhaite ainsi se démarquer, se distinguer ou alors se montrer indifférente à la doxa créative préemptée par les grandes agences métropolitaines.

Figure 3. Affichette autopromotionnelle de l'Agence K

Conclusion : Le « créatif » comme con-figuration autour de la créativité

Nous le voyons, la figure du créatif est plutôt actualisée par des con-figurations, des agencements de différentes figures de la créativité mises en scène (performées) par les employés des agences et qui orientent l’action collective (Cooren, 2010a). De fait, être créatif, c’est d’abord performer, c'est-à-dire, mener à terme ou donner vie (Trujillo, 1983), à travers les interactions, à une conception de la créativité. Cette performance n’est pas définitivement prédéterminée par le poste, le rôle, l’individu. Ce sont les con-figurations autour de la créativité qui « rendent présente » la figure du créatif, l’autorisent dans différents épisodes de communication interreliés (Kuhn, 2008; Robichaud et al., 2004; Taylor et al., 1996). Dès lors, la figure du créatif apparaît parce qu’elle : met en scène (performe) les figures de la créativité pour les faire agir dans le flot des interactions, cette performance pouvant appeler des textes ou des objets en renfort, eux-mêmes porteurs de figures de la créativité. Ces dynamiques de légitimation impliquent plusieurs modes d’interactions qui ne peuvent se réduire au seul langage humain. De fait, dès lors que sont mobilisés des textes, mais également des objets pour concevoir, échanger, convaincre, modifier, nous pouvons considérer l’agentivité des objets dans les processus d’interaction inhérente à la créativité (Gaertner, 2010; Michaud, 2011). Lorsque Marie-Chantal évoque la figure de la créativité solution pour circonscrire le travail des DA, elle incarne cette figure dans ses propres idées, notées dans un cahier, mais également dans un cahier de charge qui rappelle le besoin du client. En s’appuyant sur ces notes, elle fait vivre (performe) la figure du client, attachée à la figure de la créativité-solution de façon à faire fléchir ses collègues dans sa direction. Autour d’elle, plusieurs figures l’autorisent donc à rappeler ce qui importe pour l’agence K.

Ces performances, nous l’avons vu, appellent leur lot de tensions, puisque les figures appelées en renfort, du fait qu’elles « constituent ce que nous sommes et qui nous sommes, ce que nous voulons ou ce que nous devons faire, ce que nous croyons ou attendons, etc. » (Cooren, et al., 2013), peuvent entrer en contradiction avec ce qui compte pour d’autres. Qui est et ce qui est créatif est en partie relié à des enjeux d’identité. De fait, comme le rappelle Alvesson (1994), en mobilisant le vocabulaire et la rhétorique d’une communauté de parole, les créatifs protègent un « environnement symbolique » en empêchant les « inaptes à la création » à entrer dans la danse. Cette communauté de parole est entretenue à l’intérieur de l’agence, tout en se nourrissant des Discours institutionnalisés par la presse professionnelle, la formation reçue, les prix, etc. L’affichette ironique déclassant l’agence Cossette – reconnue

institutionnellement comme porteuse de l’ethos créatif de l’industrie – légitimise une autre créativité, celle propre de l’Agence K. En s’adossant à cette créativité légitimée, l’Agence K tente de se distinguer d’une créativité qu’elle ne veut (ou peut) pas performer.

TIPII : Un modèle pour penser la créativité dynamiquement

Nous avons amorcé ailleurs (Baillargeon & Coutant, 2017) une proposition pour cerner cette créativité dans ce qu’elle a de dynamique, autour de l’acronyme TIPII pour tensions,

identités, performativité, idéologies, institutionnalisation. Cette modélisation nous permet de

désindividualiser la perception des déterminants – traits de personnalité, climat organisationnel, freins et facilitateurs –, à la créativité sans nier l’existence de talents (Menger, 2009). En prenant en compte la façon dont les tensions mettent en scène des figures en contradiction se résolvant ou non sur ce qui compte pour les employés de l’agence, ces figures soutiennent par le fait même le travail identitaire des travailleurs créatifs. L’exemple des tensions entre la figure de la créativité esthétique des DA de l’Agence K qui se heurte à la figure de la créativité solution de Marie-Chantal illustre bien que chaque communauté de parole tente de légitimer sa position en rappelant ce qui compte pour elle.

Puis, donner vie à cette créativité – la performer par des pratiques, des conversations, des

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