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La troisième étape : le vote dans le Grand Conseil

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 64-67)

Les procédures électorales des institutions politiques

1.4. La troisième étape : le vote dans le Grand Conseil

Une fois les membres du « scrutinio » retournés dans le Grand Conseil, le grand chancelier annonçait le nom des candidats et rappelait l’obligation de se prononcer en faveur du meilleur et du plus capable. La « ballotazione », ou vote, pouvait alors commencer. Chaque charge était traitée l'une après l'autre, dans l’ordre de la liste utilisée par les commissions électorales.

Le grand chancelier lisait à voix haute le nom des candidats proposés par les quatre commissions électorales et par le « scrutinio » en précisant leur titre, le nom du père et éventuellement du grand-père. Le nom du « pieggio » était également proclamé. S’il s’était nommé lui-même, on annonçait alors qu’il s’était « tiré par lui-même » (« tolto per li medesimo »)224. Les parents des candidats et tous ceux qui portaient le même nom de famille devaient quitter le Conseil dont les portes étaient ensuite fermées225. Puis, le grand chancelier tirait au sort l’ordre de mise aux voix des candidats à la première charge. Ensuite, les

« ballotini » parcouraient la salle du Grand Conseil munis des « bossoli » dans lesquels les patriciens votaient sur les candidats l’un après l’autre. S’ils avaient été sollicités par un candidat, ils étaient obligés de voter contre celui-ci ou bien d’insérer leur ballotte dans le compartiment du « bossolo » réservé aux recommandations (si cette urne était utilisée).

221 Ibid., fol. 13v.

222 L. Moulin, « Les origines religieuses des techniques électorales et délibératives modernes », dans Politix, 11, no 43, 1998, p. 136‑137.

223 « Se occorre far scrutinio di qualche magistrato, il che si fa quando non si vuol cometter la elettione del tutto nella sorte (come si è detto sopra) questo si fa mentre le elettioni stano serrate nelle sue camere: il scrutinio non è altro, che nominar uno per il senato ». A. Milledonne, dialoghi, op. cit. n. 132, fol. 11.

224 Ibid., fol. 14.

225 Voir la note de bas de page n° 11.

Après avoir recueilli les ballottes en circulant entre les bancs, les « ballottini » retournaient à la tribune avec les urnes remplies. À droite de celle-ci était disposé un « capello » blanc, à gauche un « capello » vert, et au milieu une urne rouge découverte. Les « ballotini » vidaient leurs « bossoli » blancs dans l’urne blanche, les verts dans la verte et les rouges dans la rouge, qui correspondait aux « preghiere », ou recommandations. Près de chaque urne se trouvaient trois jeunes de la chancellerie ducale : ils étaient chargés de vérifier que les « ballottini » ne mélangeaient pas les « bossoli » entre eux lorsqu’ils les vidaient dans les « capelli »226. Les « ballotini » apportaient ensuite les urnes aux conseillers chargés de compter les balles, situés sur les deux côtés de la tribune. À droite, deux d’entre eux comptaient les votes positifs dans une boîte blanche, et à gauche deux autres procédaient à la même opération des ballottes négatives dans une boîte verte. Il est probable que les conseillers chargés des balles négatives comptaient également les ballottes des « preghiere », puisque celles-ci étaient ajoutées à celles négatives lorsqu’elles n’atteignaient pas le cinquième du nombre d’électeurs. Pour assurer l’impartialité de ces magistrats lors d’une opération si délicate, il leur était interdit de voter227. Un ingénieux système de boîtes permettait de procéder rapidement au décompte des ballottes dont, avec près d’un millier de votants, le nombre était très élevé. Le secrétaire du Conseil des Dix, Antonio Milledonne, est un des rares à donner une description de ces boîtes. Sur chacune se trouvait une caisse dont la partie supérieure était constituée d’une planche percée de vingt rangées de dix trous ne pouvant chacun laisser passer qu’une seule balle228. Au Sénat, le même type de caisse était utilisé, mais avec un nombre limité à cent trous.

Sous les trous, une planche retenait les ballottes de manière à ce qu’elles ne puissent tomber que sous l’action d’une manivelle en fer située devant la caisse. La planche était ensuite remontée à l’aide d’une ficelle de façon à obstruer les trous et à permettre de les remplir à nouveau (annexe 5).

La caisse supérieure n’avait pas de fond et la caisse inférieure pas de plafond, de sorte que les ballottes tombaient directement dans la caisse inférieure. De là, le jeune secrétaire de la

226 Ibid., fol. 15v ; dans une loi du 26 janvier 1516, il est précisé que deux notaires de la chancellerie surveillaient les «ballottini» versant les balles dans les urnes. Maggior Consiglio, Libro d’oro 10, 1503-1522, op. cit., fol.

121‑122.

227 Malgré l’invention de la machine à compter les ballottes qui facilita leur travail, le Grand Conseil ne leur accorda pas le droit de vote. Voir la proposition de loi du 20 mai 1520 qui ne fut pas acceptée. Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 26, diana, 1522-1536, op. cit., fol. 29v.

228 A. Milledonne, dialoghi, op. cit. n. 132, fol. 15v‑16v. La description qui suit des caisses de comptage des balles provient du dialogue d’Antonio Milledonne.

chancellerie chargé du comptage des ballottes les faisait passer dans une auge à l’aide d’une planche adaptée à la largeur de la caisse. On comptait donc les ballottes par groupe de deux cents, puis de dix en dix, et ainsi on parvenait à connaître rapidement le nombre de ballottes favorables et défavorables à chaque candidat.

Si le nombre de ballottes de l’urne rouge des « preghiere » n’atteignait pas le cinquième du nombre total d’électeurs, on les ajoutait à celles de l’urne verte. Si, au contraire, il dépassait ce seuil, le candidat était en infraction avec les lois contre les « preghiere » : il ne pouvait être élu ni à la charge soumise au vote, ni à tout autre office.

Était élu le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de votes favorables, à condition qu’il ait recueilli la majorité des voix. Si aucun candidat n’obtenait la majorité absolue, ils étaient de nouveau mis aux voix. Les opérations électorales terminées, un secrétaire proclamait les noms des élus (« li rimasti »229). Avant cette annonce, chacun était invité à rester à sa place, de manière à ce que l’on puisse procéder à un nouveau vote en cas d’erreur dans le décompte des ballottes, un dysfonctionnement assez fréquent selon Milledonne230. L’élu n’était pas désigné par le terme d’ « eletto », mais par celui de « provato » (approuvé) ou de « rimasto » (resté). Dans le cas contraire, le candidat était « caduto » (tombé).

Les résultats étaient notés, candidat par candidat, par deux jeunes de la chancellerie, qui étaient chargés respectivement des votes positifs et des votes négatifs et comparaient les valeurs obtenues, afin de découvrir d’éventuelles erreurs. Les résultats étaient également recopiés par nombre des personnes présentes dans le Grand Conseil, car, selon Milledonne, ils suscitaient un grand intérêt231. De fait, ils permettaient de savoir combien d’électeurs s’étaient montrés favorables à tel ou tel noble232. En revanche, Venise interdisait la publication des résultats électoraux en dehors du cercle patricien afin de ne laisser transparaître, autant que possible, aucun soupçon de dissension au sein de sa classe dirigeante.

229 A. Milledonne, dialoghi, op. cit. n. 132, fol. 14.

230 «come occorre molte volte» Ibid. ; loi du 11 août 1507 qui interdit aux patriciens de bouger: A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, misto, registre 31, fol. 55.

231 « Sono notate queste balle anco da molti altri, per cio che la nobiltà, et altre persone hanno piacere di veder in scrittura tale ballottatione. » Ibid., fol. 16v.

232 D. Raines, « Office seeking, Broglio, and the pocket political guidebooks in cinquecento and seicento Venice », art. cit. n. 28.

Quelquefois, les élections étaient interrompues à cause de l’heure tardive et de l’obscurité afin d’éviter les erreurs de calcul233. Les charges qui restaient à élire, étaient alors renvoyées à la prochaine séance du Grand Conseil, sans qu’il y ait besoin de nommer de nouveaux candidats.

En revanche, dans le cas des procurateurs de Saint Marc et de la « Zonta » du Conseil des Dix, il fallait recommencer toute la procédure selon les indications fournies par Milledonne234.

La procédure qui vient d’être présentée concerne la majorité des charges ordinaires. D’autres dignités étaient également distribuées par des élections dans le Grand Conseil mais en suivant une procédure différente. Cela concerne en particulier les procurateurs de Saint-Marc, les sénateurs et bien sûr le doge.

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