• Aucun résultat trouvé

Les fraudes liées aux « ballottini »

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 145-148)

Les fraudes et la lutte antifraude sous le prisme de la législation

Chapitre 2 : les manipulations techniques du processus électoral

3. Les fraudes pendant le vote

3.4. Les fraudes liées aux « ballottini »

Si les patriciens ne bourraient pas les urnes, ils pouvaient corrompre ou menacer les

« ballottini » afin que ceux-ci manipulent les urnes à leur place en faveur de tel ou tel candidat604. La sanction des transgresseurs était laissée à l’appréciation des censeurs605. À défaut de ne pouvoir directement intervenir sur de tels échanges ou accords, la République tenta régulièrement de mieux sélectionner les jeunes garçons dont la tâche déterminait directement l’issue du scrutin. Adolescents ou jeunes adultes, ils surent tirer des gains financiers de leur travail et se révélèrent des collaborateurs efficaces pour les patriciens notamment en tenant à jour les « brogetti », sortes de petits carnets où les résultats électoraux, les noms des candidats et de leurs « pieggi » étaient inscrits606.

L’enjeu d’une stricte régulation de l’activité de ces jeunes hommes était de s’assurer qu’ils n’avaient aucun intérêt à s’immiscer outre mesure dans le processus électoral afin de garantir à la fois le bon déroulement des opérations électorales et leur sincérité. Les porteurs d’urnes ne furent pas toujours de jeunes garçons. Jusqu’à 1434, elles étaient portées par des magistrats607. Puis, ils furent remplacés par de jeunes nobles de moins de 25 ans qui n’avaient pas encore atteint l’âge requis pour voter. Mais leur implication dans plusieurs fraudes et désordres fut la cause de leur remplacement par de jeunes orphelins des hôpitaux de la ville en 1443608. Au XVIe siècle, on leur préféra des enfants issus des familles des « cittadini » de Venise, mais le gouvernement revint sur sa décision en 1595 à cause de leur mauvais comportement. Les jeunes citoyens vénitiens furent remplacés par les orphelins des hôpitaux publics qui ne devaient pas subvenir aux besoins financiers de leur hôpital609. La République espérait ainsi que, n’étant pas dans l’obligation de s’enrichir par nécessité familiale, ils se comportent de manière exemplaire et impartiale. Or, la réalité fut bien différente. À l’instar des jeunes citoyens vénitiens, les orphelins tentaient également de retirer quelque profit de leur activité610. D’après les censeurs, ils faisaient la course dans les escaliers, couraient dans les couloirs du palais, entre les portes des salles électorales et celles du Grand Conseil, et voulaient connaître les noms des candidats et des élus pour rapporter la nouvelle aux domiciles des patriciens et obtenir un pourboire. Ces nouvelles étaient parfois fausses et leur comportement insolent si bien qu’ils furent menacés de galère, de peine de la corde,

604 Loi du 31 mai 1643. A.S.V., Maggior Consiglio, Deliberazioni, registre 39, marcus, fol. 91(109).

605 31 mai 1643. A.S.V., Maggior Consiglio, Deliberazioni, registre 39, marcus, 47 1640, fol. 91(109).

606 D. Raines, « Office seeking », art. cit. n. 28.

607 Décret du 6 février 1435. Indice e repertorio generale (...) parte prima, op. cit., fol. 145.

608 G. Maranini, La costituzione di Venezia dopo la serrata del Maggior Consiglio, Florence, 1931, p. 117‑118.

609 D. Raines, « Office seeking », art. cit. n. 28, p. 148.

610 loi du 20 avril 1621. A.S.V., Censori, busta 1, op. cit., fol. 72.

d’exclusion ou même de prison avec une récompense pour les délateurs de 25 ducats611. Le problème du comportement des « ballotini » ne fut pas réellement réglé puisqu’encore en 1762 le Conseil des Dix rapporta l’implication de deux d’entre eux lors des élections du doge et d’un nouveau procurateur de Saint-Marc612. Les « ballottini » Vico et Scanselini auraient distribué de l’argent à plus de 200 nobles, mais le nom du commanditaire n’est pas indiqué613. 3.5. La publication des votes

La publication des votes était strictement régulée à Venise qui tentait de préserver une image d’unité et d’harmonie parmi son patriciat. L’unanimité étant utopique dans un électorat composé de plusieurs centaines de membres, les résultats électoraux, qui trahissaient un certain désaccord au sein du patriciat, ne pouvaient sortir du palais des doges. Le 18 août 1501614, le Conseil des Dix se plaignit que les résultats électoraux étaient publiés dans toute la ville et même en dehors et qu’ils étaient parfois faussés, véhiculant ainsi une impression de discorde ou de désaccord au sein du patriciat. Pour remédier à ce problème, les conseillers décrétèrent que deux des plus âgés d’entre eux devaient s'installer sur le côté droit615 du Grand Conseil et, près d'eux, les chefs de la Quarantie devaient s'asseoir. Sur le côté gauche devaient prendre place les conseillers en charge du décompte des balles de par leur âge. Si l'un d'eux était absent, un des conseillers du côté droit devait le remplacer afin qu'il y ait toujours quelqu'un debout du côté gauche lors du décompte des balles. Aucun autre secrétaire ou notaire, à l’exception des deux secrétaires chargés de prendre en note les résultats électoraux, ne pouvait rester auprès des conseillers ou s’approcher tant que durait le décompte des balles. Cette interdiction était également valable pour toute personne n’appartenant pas à la chancellerie ducale au risque d’être chassé par le secrétaire aux Voix. Leur tâche était jugée particulièrement sensible par le gouvernement vénitien et pour cette raison, les conseillers ou les autres personnes chargées de compter les balles ne pouvaient pas participer aux votes des lois et des charges616. Seuls ces conseillers et les deux secrétaires pouvaient voir et connaître

611 20 avril 1621. A.S.V., Censori, busta 1, fol. 72.

612 Accompagnant une copie de la loi du 26 avril 1763. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, filze 1111.

613 A.S.V., Inquisitori di Stato, busta 537, annotazioni 1759-1763, fol. 152.

614 A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, miste, registre 28, fol. 186v(229v).

615 La droite et la gauche du Conseil était très probablement relative à l’emplacement de la tribune du doge. En effet, celle-ci pouvait être installée alternativement dans la largeur ouest ou est de la salle.

616 «Oltra di questo essendo benissimo noto a cadauno di quanta importantia sia il carico che hanno li consiglieri del contar le ballote del Mazor Conseio et come facilmente si po fallire [les conseillers n’ont pas le droit de vote sauf lorsqu’il faut voter l’ouverture des portes du Grand Conseil]». Loi du 20 mai 1520. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registro 25 deda, 1503-1521, fol. 167v168(181v182).

le nombre de balles. Les autres secrétaires et notaires devaient rester auprès des autres conseillers et chefs ou bien sur le banc qui se trouvait du côté droit617.

La République prenait très au sérieux la publication des résultats électoraux (voir l’annexe 21). Au XVIe siècle, les patriciens qui transgressaient cette interdiction risquaient l’inéligibilité et l’exclusion des conseils pour quatre ans tandis que les « cittadini » se voyaient exclus à perpétuité de la chancellerie et mis en prison pendant six mois. Mais ces peines furent considérablement adoucies en 1532. Les transgresseurs risquaient seulement de perdre leur office toute catégorie sociale confondue et devaient payer une amende de cinq ducats. Puis au XVIIe siècle, les peines furent mises à la libre appréciation des censeurs qui pouvaient prononcer des peines de galère, de prison ou de bannissement, aux nobles comme aux autres Vénitiens.

***

En parallèle aux tentatives d’influence des votes, la République s’attaqua aux multiples fraudes intervenant pendant les élections pour en altérer la procédure. En se concentrant sur ces seuls détails, Venise se contenta de sophistiquer à l’infini sa procédure sans la remettre en question.

617 Loi du 30 août 1566. A.S.V., Capi Consiglio di Dieci, notatori, busta n.21, 1566-1569, fol. 31v32.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 145-148)