2.3. Cinq Poèmes de Baudelaire
2.4 Trois mélodies sur des poèmes de Paul Verlaine
À la question « Quelle est votre couleur préférée ? », Debussy donna plusieurs réponses différentes. Le vert, cependant, fut plusieurs fois la réponse choisie par le compositeur165. Si le compositeur entretient avec elle un rapport privilégié (il ne l'aurait pas, autrement, mentionnée plusieurs fois), ce rapport n'est cependant pas totalement univoque : la mise en scène de cette couleur à travers les Proses lyriques (dont la couverture de la première édition représente des motifs fl oraux verts )est à cet égard significative.
163 Lettre de Debussy à Chausson du 9 juillet 1893, Correspondance, p. 143-144.
164 Louis LALOY, Debussy, Paris, Les Bibliophiles Fantaisistes, 1909, p. 30.
Dans De grève, la couleur verte est présente par deux fois :
Les vagues, comme de petites folles Jasent, petites filles sortant de l'école
Soie verte irisée. (…)
Les vagues, les petites vagues, ne savent pl us où se mettre Car voici la méchante averse
Froufrous de jupes envolées, Soie verte affolée.
Le vert est l'une des deux couleurs de la soie dans cette mélodie, renvoyant à ce titre à la féminité et la sensualité. Il s'agit en outre de la couleur des yeux de Gaby Dupont, avec qui Debussy avait déjà vécu plusieurs années. Etrangement, dans De fleurs, cette couleur verte est constamment caractérisée négativement, s'alignant par là sur le symbolisme de Maeterlinck et de Wagner/Wesendonck :
Dans l'ennui si désolément vert
ou encore :
Dans le vert de la serre de douleur
L'association entre la couleur verte et l'ennui apparaît déjà chez Wagner, dans le lied Im Treibhaus – le troisième des Wesendonck-Lieder –, qui semble avoir beaucoup marqué Debussy :
Éternellement, ce bruit fou des pétales noirs de l'ennui Tombant goutte à goutte sur ma tête
De fleurs
Stille wird's, ein säuselnd Weben Füllet bang den dunklen Raum: Schwere Tropfen seh ich schweben
An der Blätter grünem Saum.
Que l’on peut traduire ainsi :
Tout se calme, un bruissement anxieux Remplit la pièce sombre : Je vois de lourdes gouttes qui pendent
Au bord vert des feuilles
Dans la serre
Les homophones du vert sont aussi utilisés en tant que symboles : le vert de la serre peut tout aussi bien être le verre de ses parois, ou encore le vers poétique, par rapport auxquels la « prose lyrique166
» de Baudelaire comme celle de Debussy prennent leurs distances. Debussy associe donc tantôt la couleur verte à une sensation de gaieté légère et féminine, tantôt à un sentiment de tristesse.
Le vert n'apparaît pas explicitement dans les textes de Maeterlinck choisis par Chausson, mais se laisse deviner à travers les divers végétaux présents ou suggérés dans les Serres Chaudes :
La foule des brebis grises Brouter le clair de lune
Lassitude
Car la tristesse de ma joie Semble de l'herbe sous la glace
Oraison
Le vert est, comme chez Wagner, associé à la tristesse et à l'ennui : l'infl uence du lied Im Treibhaus est, sous cet aspect présente dans les Serres chaudes comme dans les Proses lyriques.
166 Cf. Charles BAUDELAIRE, « À Arsène Houssaye », premier des Petits Poèmes en prose, op.cit.