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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE STRASBOURG

Dans le document MÈRE PORTEUSE ET DROITS DE L ENFANT (Page 109-114)

17 JUIN 1986 Association

« LES CIGOGNES » Ministre de l’Intérieur

Commissaire de la République du Bas Rhin

Opposition { l’inscription au registre des associations.

Vu, enregistrée au greffe le 24 avril 1985, la requête présentée par l’Association « Les Cigognes », dont le siège social est à Strasbourg, 287, route de Colmar, et représentée par sa Présidente, Mme Patricia L., et en tant que de besoin par Mme L., demeurant…, agissant en qualité de Présidente de l’Association « Les Cigognes » et tendant { l’annulation de la décision du 1er mars 1985 par laquelle le Commissaire de la République du Bas-Rhin a fait opposition, en application des dispositions de l’article 61 du Code civil local, { l’inscription au registre des Associations, des statuts de l’Association « Les Cigognes » à Strasbourg, par les moyens :

 Que l’article 353-1 du Code pénal n’est pas applicable { l’objet poursuivi par l’association, dès lors qu’il vise l’exposition et le délaissement d’enfants, { savoir agissements des œuvres et des personnes privées ayant été amenées à provoquer des abandons d’enfants pour satisfaire ensuite les demandes d’adoption qui leur étaient faites ; que le « prêt d’utérus » se situe hors de ce domaine très précis ;

 Qu’il est inexact d’estimer que l’Association « Les Cigognes » tend à organiser la conclusion de contrats nuls au regard de l’article 1128 du code civil, dans la

58 Toutefois cette dernière notion que certains ont comparée à celle de la participation du volontaire sain en matière d’expérimentation de médicament, n’exige-t-elle pas une vertu curative des techniques de procréation assistée ?

109 mesure où l’indemnisation forfaitaire envisagée pour la mère porteuse n’est pas le prix de l’enfant mais dédommage celle-ci des contraintes qui lui sont imposées ; Vu, enregistrée le 23 aout 1985, les observations présentées par le Ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité Nationale et exposant :

 Que l’opération, que l’association vise { promouvoir, parait devoir être réalisée au moyen d’une convention entre la femme, ou le couple stérile, et la mère porteuse en vertu de laquelle cette dernière s’engage { « abandonner l’enfant { naitre » tandis que la femme ou le couple stérile, s’engage { le recueillir ; que cette activité serait de nature à caractériser le délit ou la complicité du délit prévu { l’article 353-1 du code pénal ;

 Qu’une convention constitutive d’une infraction ne peut être, du point de vue civil, considérée que comme nulle et de nullité absolue ;

 Qu’en vertu de l’article 311-9 du même code dispose qu’il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de convention ; que tel n’est pas le cas d’un enfant ;

 Que la nature et les justifications des sommes versées à la mère porteuse sont inopérantes au regard de la nullité absolue de la convention, contraire à la loi civile et à la loi pénale

 Que la loi sur l’adoption ne peut justifier, par analogie, de telles pratiques qui auraient au contraire pour conséquence de tourner cette législation, dans la mesure où elle a pour but de faire adopter des enfants déjà nés et dépourvus de parents, mais non de favoriser la conception d’enfants dans le seul but de les faire adopter ensuite

 Que l’alinéa 2 de l’article 61 du code civil local permet { l’autorité administrative de s’opposer { l’inscription lorsque l’association, d’après les règles du droit public sur le droit d’association, est illicite ou peut être interdite, ou lorsqu’elle fournit un but politique, social-politique ou religieux ; or le caractère illicite de l’Association « Les Cigognes » est démontré ;

Vu, enregistré le 10 septembre 1985, le mémoire en défense présenté par le ministre de l’Intérieur et le da Décentralisation et tendant au rejet de la requête, par les moyens :

 Que l’article 61 du code civil local confère { l’autorité administrative un pouvoir d’appréciation qui se définit généralement par rapport { la notion d’ordre public ;

 Que, contrairement { ce que soutient l’association requérante, les poursuites correctionnelles prévues { l’article 353-1 du code pénal ne sont nullement subordonnées { l’infraction d’exposition ou de délaissement d’enfants, ni limitées aux seules personnes ayant été amenées à provoquer des abandons d’enfants pour ensuite satisfaire les demandes d’adoption qui leurs étaient faites ; que l’activité de l’association est proscrite par les dispositions de l’article 353-1, 2 de ce code ;

 Que l’article 6 du code civil dispose qu’ »on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » ; que, pour l’application de l’article 1128 du code civil, il convient de définir la chose hors

110 du commerce juridique comme celle dont le transfert des droits est interdit par l’ordre public, la morale ou les motifs particuliers ; qu’il, est constant que les droits de la personne humaine sont hors du commerce ; qu’en l’état actuel du droit civil français, seule la femme qui engendre, en l’occurrence la mère porteuse, détient les droits de la mère légitime sur l’enfant né ou { naitre ;

Vu, enregistré le 21 octobre 1985, le mémoire en réponse présenté pour l’Association « Les Cigognes » et tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et par les motifs :

 Que la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, selon laquelle, à l’exception des mesures susceptibles d’être prises { l’égard de catégories particulières d’associations, la constitution d’une association, alors même qu’elle paraitrait entachée de nullité ou aurait un objet illicite, ne peut être soumise par sa validité { l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire, s’impose en l’espèce ; que le préfet ne peut faire usage des pouvoirs que lui confère l’article 61 du code civil pour des motifs étrangers aux nécessités de l’ordre public

 Que l’Association Nationale de l’Insémination Artificielle par Substitution n’a fait l’objet d’aucune interdiction de la part des pouvoirs publics ; qu’il apparait opportun de déclarer la décision présentement attaquée entachée d’une erreur de droit ;

 Qu’{ titre subsidiaire, l’article 353-1 du code pénal peut être invoqué { l’encontre d’une association qui poursuit un but non lucratif ; qu’il n’y a pas de contrat au sens civiliste du terme ; que l’indemnisation forfaitaire de la mère de substitution est justifiée, soustrait l’opération aux lois du marché et la place hors du commerce ; qu’aucun texte n’interdit actuellement le prêt d’utérus ;

Vu, enregistrées le 21 octobre 1985, les observations du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui déclare s’associer au mémoire déposé par le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation ;

Vu, enregistré le 20 janvier 1986, le mémoire en réplique présenté par le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation e confirmant ses conclusions tendant au rejet de la requête, par les mêmes moyens et par les mêmes motifs :

 Que l’appréciation portée par l’autorité judiciaire, notamment sur le respect par l’association des lois pénales, de l’ordre public et des bonnes mœurs, ne lie pas l’autorité administrative ;

 Que l’article 61 du code civil vise également le cas où l’association, quel que soit son but, est illicite d’après les règles du droit public sur le droit d’association ou peut être interdite ; que tel est bien le cas en l’occurrence ;

 Que la condition de l’esprit de lucre ait motivé les actions réprimées n’est pas exigée dans le cas visé { l’article 353-1, 2 du code pénal ;

111

 Qu’il existe bien en l’espèce, et l’association le reconnait, un accord passé, tacite ou moral ; que ceci suffit { l’existence d’un véritable contrat ; que la possibilité d’une éventuelle résiliation par la mère porteuse ne peut conduire { nier l’existence de l’accord consensuel d’origine ;

 Que les activités en cause ne sauraient relever de l’hypothèse d’amitié dans lesquelles les règles de droit ne pourraient être appliquées ;

 Que l’ordre public et la morale interdisent le transfert de droits sur la personne humaine ;

VU la décision attaquée ;

VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu les notes du greffe constatant la communication aux parties des requêtes, mémoires et pièces susvisés ;

Vu les pièces et notes du greffe constatant que les parties ont été convoquées { l’audience ; Vu la loi du 28 pluviôse an VII, article 4 ;

VU le code des tribunaux administratifs ; VU le code général des impôts ;

VU le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 ; VU le code civil ;

VU le code pénal ;

VU la loi du 1er juin 1924 ; VU le code civil local ;

VU la loi locale du 19 avril 1908 sur les associations ; Après avoir entendu { l’audience sue les associations :

- Mlle Heers, conseiller, en son rapport ;

- M. Kintz, Commissaire du Gouvernement, en ses conclusions ; Après avoir délibéré conformément à la loi :

 Considérant que, par la requête susvisée, l’Association « Les Cigognes » demande l’annulation de la décision en date du 1er mars 1985 par laquelle le Commissaire de la République du Bas-Rhin a fait opposition à son inscription au registre des associations ;

 Considérant que l’article 7 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle a maintenu en application dans ces départements les dispositions du droit local relatives aux associations ; qu’en vertu desdites dispositions, les associations acquièrent la capacité juridique définie par ces dispositions par leur inscription à un registre tenu par le Tribunal d’Instance ;

 Considérant qu’aux termes des dispositions du deuxième alinéa de l’article 61 du code civil local, lesquelles sont toujours en vigueur : « l’autorité administrative peut élever opposition contre l’inscription lorsque l’association, d’après les règles du droit public sur le droit d’association, est illicite ou peut être interdite ou lorsqu’elle poursuit un but politique, social-politique ou religieux » ; qu’aux termes de la loi local du 19 avril 1908 sur les associations : « tous les nationaux ont le droit de

112 former des associations et de se réunir pourvu que leur but ne soit pas contraire aux lois pénales. Ce droit n’est soumis { aucune autre restriction de police que celles qui sont contenues dans la présente loi et dans d’autres lois… » ; Qu’en vertu de ces textes, la liberté d’association est subordonnée notamment au respect des lois pénales ;

 Considérant que, pour faire opposition, en application des dispositions sus rappelées du code civil local maintenues en vigueur par la loi susvisée du 1er juin 1924, relatives { l’inscription au registre des associations { Strasbourg des statuts de l’association dite « Les Cigognes », le Commissaire de la République du département du Bas-Rhin s’est fondé sur les dispositions de l’article 353-1 du code pénal réprimant l’incitation { l’abandon d’enfant et également sur celles de l’article 1128 du code civil relatives aux choses qui peuvent faire l’objet de conventions, ainsi que sur celles de la législation sur l’adoption dont le but est de faire adopter des enfants déjà nés et dépourvus de parents ;

 Considérant qu’aux termes de l’article 353-1 du code pénal : « sera puni… :

1) quiconque aura, dans un esprit de lucre, provoqué les parents ou l’un d’eux { abandonner leur enfant né ou à naitre ;

2) toute personne qui aura fait souscrire ou tenté de faire souscrire, par les futurs parents ou l’un d’eux, un acte aux termes duquel ils s’engagent { abandonner l’enfant { naitre, qui aura détenu un tel acte, en aura fait usage ou tenté d’en faire usage ;

3) quiconque aura, dans un esprit de lucre, apporté ou tenté d’apporter son entremise pour faire recueillir ou adopter un enfant » ;

 Considérant qu’aux termes de ses statuts, l’association dite « Les Cigognes » a pour objet :

1) la défense des intérêts moraux et matériels des femmes qui se proposent d’aider une femme stérile en portant pour elle sa grossesse,

2) la promotion et la valorisation morale de cette démarche, 3) la recherche et la diffusion d’informations dans ce domaine

4) la mise en œuvre de tous moyens susceptibles de concourir directement ou indirectement aux objets définis ci-dessus, ainsi qu’{ ceux qui pourraient apparaitre similaires ou connexes, appropriés aux objets définis ci-dessus ;

QU’AINSI, PAR SON OBJET, L’ASSOCIATION, NECESSAIREMENT, SE CONSTITUE EN INTERMEDIAIRE ENTRE LA FEMME STERILE ET LA MERE DE SUBSTITUTION QUI S’ENGAGE A ABANDONNER L’ENFANT QU’ELLE PORTE, DES SA NAISSANCE, EN FAVEUR DE LA FEMME STERILE ; QUE CETTE ACTIVITE D’INTERMEDIAIRE COMPORTE NECESSAIREMENT L’EXISTENCE D’UN ACTE D’ENGAGEMENT, MEME S’IL EST SEULEMENT VERBAL OU MORAL. ; Que, dès lors, l’association dite « Les Cigognes » n’est pas fondée à soutenir que le Commissaire de la République du Bas-Rhin, en invoquant les dispositions de l’article 353-1, 2 du code pénal pour s’opposer { l’inscription au registre

113 des associations de l’association dite « Les Cigognes » a excédé les pouvoirs qui sont les siens ; que, par suite, sa requête doit être rejetée.

DECIDE

ARTICLE 1er : la requête de l’Association « les Cigognes » est rejetée.

ARTICLE 2 : le présent jugement sera notifié { l’Association dite « Les Cigognes », représentée par Madame L.,

Au ministre de l’Intérieur,

Au Garde de Sceaux, ministre de la Justice, Au ministre des Affaires Sociales et

Au Commissaire de la République du Bas-Rhin

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