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Les travaux de Célestin Freinet, une pédagogie nouvelle et

Chapitre 2 : Quelques théories fondamentales

2.3. Les travaux de Célestin Freinet, une pédagogie nouvelle et

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2.3. Les travaux de Célestin Freinet

Une pédagogie nouvelle et révolutionnaire

C'est avec des moyens modestes que Freinet souhaite fonder une école du peuple. Les méthodes nouvelles d'éducation ont un aspect trop "aristocratique", elles sont réservées à une élite fortunée qui elle seule peut se permettre d'envoyer ses enfants dans ces écoles modernes. Freinet veut innover en cherchant à rendre accessible à chacun la pédagogie moderne. Il va ajuster les enseignements de Ferrière, de Pestalozzi, ou de Decroly, pour les rendre applicables dans les milieux modestes et ruraux. Dans son ouvrage Pour l'école

du peuple, Freinet explique cette volonté de démocratiser l'Ecole Nouvelle, par

la création de techniques éducatives inédites :

"Notre originalité c'est d'avoir créé, expérimenté, diffusé des outils et des

techniques de travail dont la pratique transforme profondément nos classes".

Création et Expérimentation sont les moteurs de cette recherche pédagogique. Freinet n'est pas un théoricien, c'est un homme de terrain, un bâtisseur, qui cherche à fonder quelque chose, quitte à démolir si cela ne le satisfait pas. C'est pour cela qu'il aime parler d'une technique Freinet, et non d'une pédagogie Freinet. Dans le préambule du premier numéro des Brochures

d'éducation nouvelle populaire, il explique par ces termes les principes du

mouvement éducatif développé à partir de la "Technique Freinet" :

« Nous ne sommes pas à proprement parler un pur mouvement d'éducation

nouvelle au sens où on l'entend communément, parce que nous sommes plus préoccupé de bâtir pratiquement que de dresser aristocratiquement des constructions qui peuvent être parfois des modèles, certes, mais qui restent des modèles inaccessibles à la grande masse des éducateurs.»

Mais comment se définit la "Technique Freinet" ? De ses collègues de Suisse, d'Allemagne ou de Belgique, Freinet garde les principes fondamentaux du respect de l'enfance et de la confiance qu'on doit lui accorder.

« C'est l'enfant lui même qui doit s'éduquer, s'élever avec le concours des

adultes. Nous déplaçons l'axe éducatif : le centre de l'école n'est plus le maître, mais l'enfant. Nous n'avons pas à rechercher les commodités du maître, ni ses préférences. La vie de l'enfant, ses besoins, ses possibilités sont à la base de notre méthode d'éducation populaire »

Ces principes sont ceux évoqués dans l'ouvrage de Ferrière, l'Ecole Active, véritable référence pour Freinet. En marge de cela, il met en avant des

95 principes qui lui sont propres, tels l'ouverture nécessaire de l'école sur la vie, l'individualisation de l'enseignement, l'organisation de la classe sous forme de coopérative pour développer la notion de responsabilité chez l'enfant, le tâtonnement expérimental ainsi que ce qu'il appelle "l'éducation du travail". Pour Jean Houssaye, l'école, dans la conception que s'en fait Freinet, "doit

promouvoir et expérimenter une conception nouvelle du travail, élément organique de la vie, argument primordial de l'émancipation des peuples". S’il

existe une conception théorique de la "Technique Freinet", c'est la pédagogie qu'il nomme "du travail". Il est persuadé que "ce n'est pas le jeu qui est naturel

à l'enfant, c'est le travail". Pour cela, l'instituteur doit arriver à organiser au

mieux son travail, et non sa discipline. Un matériel scolaire est cependant nécessaire, ce qui explique que Freinet ait cherché à créer de nouveaux outils pédagogiques. Dans l'Education au travail, il explique que l'enfant doit passer par l'expérience de la vie, et que, grâce à l'école, il doit acquérir ce qu'il appelle le "sens organique" du travail (différent d'un sens intellectuel ou moral). Ce qui définit cette démarche pédagogique, c'est l'aspect inductif de l'apprentissage. Tout passe par la recherche, les essais, la critique positive ou négative de l'expérience. C'est à cela que correspond le concept de "tâtonnement expérimental". Jean Houssaye souligne que ces idées ont des limites, qui font leur particularité :

« On peut difficilement dire que la pédagogie du travail de Freinet soit

une pédagogie de l'usine (comme l'est toute pédagogie socialiste). Il refuse de donner un sens trop primairement ouvriériste... au mot travail».

« Le modèle de travail qu'il défend est un modèle naturel, celui du paysan

et de l'artisan »

Dans son milieu rural, rattacher l'école à la vie, c'est pour Freinet la lier à la terre et à son travail. Pour ces enfants nés à la campagne, grandissant au rythme des travaux des champs, leur seul référentiel reste celui de la terre et Freinet compte bien le respecter. Par cette méthode de travail, Freinet dépasse tous les principes d'acquisition des connaissances par le "par cœur", le "verbiage". L'enfant apprend à raisonner par lui-même, pour mieux se préparer à affronter la vie.

Le devenir des enfants est primordial pour Freinet. Plus qu'un instituteur, un enseignant, il veut d'abord être un éducateur. Influencé par la Révolution russe, il souhaite combler le fossé qui sépare l'enseignement moderne que certains parents aisés peuvent offrir à leurs enfants, et l'enseignement qui est

96 dispensé aux enfants de parents plus modestes. Les enfants du peuple sont, à ses yeux, trop souvent les victimes de l'exploitation capitaliste. Une telle pensée est bien le reflet d'une idéologie marxiste, se développant dans les années 20. La portée sociale de ses réalisations fait que, chez Freinet, "projets pédagogiques" et "projets politiques" vont être liés. Elise Freinet, dans

Naissance d'une pédagogie populaire, confirme l'aspect politique que son mari

donne à l'éducation :

« Chômage, taudis, sous-alimentation, nervosité, tuberculose, déficience,

anormalité, sont les fruits de notre régime d'exploitation et ne disparaîtront qu'avec l'établissement de la société socialiste.»

D'ailleurs Freinet ne se définit-il pas comme étant un "éducateur prolétarien" ? Pour arriver à cette société nouvelle, à l'école du prolétariat, il faut que la révolution éclate. La révolution est au cœur de sa pensée pédagogique :

« La décadence et la mort de l'école sont le résultat formidable du

développement du capitalisme... Devant cette faillite, on comprend enfin le danger d'une instruction qui va à l'encontre du progrès humain ; on voit qu'il ne suffit plus de développer, d'améliorer, de réformer l'enseignement, il faut le... révolutionner.»

Pour reprendre Voltaire, on peut dire que Freinet, par son rôle d'éducateur, souhaite chez l'enfant "semer un grain qui pourra un jour produire une

moisson". C'est en inculquant à l'enfant les principes fondateurs de la

Révolution, qu'il pourra dans l'avenir mener à bien la libération des peuples. Pour notre pédagogue, c'est un idéal, c'est un événement novateur, fondateur mais surtout majeur pour sa pensée. L'éducateur révolutionnaire doit former non plus des enfants, mais de futurs citoyens, à l'esprit critique, capable de lutter contre toute forme d'asservissement, et aptes à assumer des fonctions syndicales, voire politiques. Il souhaite avant tout responsabiliser ses élèves, pour qu'ils prennent conscience de leur rôle à jouer dans la société future. L'école devient le laboratoire, pas seulement d'expérience pédagogique, mais aussi politique. La révolution pédagogique et sociale s'y prépare lentement. On peut parler de "laboratoire", car Freinet cherche tous les moyens possibles pour adapter sa pédagogie à la Révolution sociale. Il ne peut l'imposer par "décrets", le passé lui sert d'exemple pour faire évoluer ses théories afin qu'elles deviennent applicables.

97 Freinet devient populaire dans le milieu de l'enseignement. Il parvient même à rattraper le retard français en matière de pédagogie. Le grand quotidien national, Le Temps, lui rend même hommage à travers un article intitulé :"L'école de Gutenberg". De grands noms de la pédagogie, comme Ferrière ou Wallon, saluent son action. Il est intégré au sein d'importants groupes d'intellectuels. Henri Barbusse, au lendemain de la guerre, lui propose d'écrire dans ses deux journaux : Clarté et Monde. Pour lui, Freinet écrit près d'une dizaine d'articles, avant de prêter sa plume pour l'Ecole émancipée, puis pour Notre Arme. Les congrès sur l'imprimerie deviennent annuels. Entre sa classe, ses revues, sa participation au syndicat de l'enseignement, ses déplacements dans toute la France pour promouvoir sa technique... notre instituteur doit faire face à un emploi du temps très chargé, mais sa réputation ne cesse de grandir, en France et à l'étranger. L'imprimerie et toute la technique pédagogique qu'il développe lui amènent la reconnaissance de ses collègues. En une dizaine d'années, époque de son transfert de l'école du Bar à celle de Saint-Paul, Freinet devient un pédagogue de référence, dont la notoriété est établie.

Freinet est mort en 1966. Le mouvement, national et international, qu'il a lancé ne l'est pas, ce qui est en soi exceptionnel et mérite donc réflexion. Mais ses apports, même intégrés en partie dans les textes officiels de la pédagogie française, restent encore contestés. Pour mieux juger de l'héritage, il convient, je pense, de considérer, d'une part les retombées possibles de ses techniques dans les apprentissages, d'autre part la philosophie sous-jacente qui présida à la création de ceux-ci.

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