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Du traumatisme au traumatisme extrême : problématiques psychanalytiques

2. TRAUMATISME DES CAMPS DE CONCENTRATION : TRAUMATISME EXTREME, REPRESENTABILITE ET FIGURABILITE

2.2. Du traumatisme au traumatisme extrême : problématiques psychanalytiques

Premièrement, le poids de la réalité et l’importance de la décrire finement, et, j’ajouterai, de l’inscrire, la saisir historiquement, la contextualiser dans la mesure où, justement, elle nous échappe plus que jamais.

Deuxièmement, dans la mesure où j’aborde ici quelque chose de l’ordre de l’indicible, de l’irreprésentable, il me paraît plus que jamais important de bien définir les termes avec lesquels je me propose de mener cette recherche.

Enfin, et cette observation donnera l’occasion d’introduire la partie qui va suivre, il est intéressant de noter que l’emploi du mot « extrême » chez les quelques auteurs que j’ai cités est usité tantôt pour décrire plutôt le contexte extrême (« les situations extrêmes ») tantôt, le vécu psychologique (« souffrance extrême » chez Freud par exemple, cf. supra) et/ou ses conséquences dans un « traumatisme extrême ». Cet oscillement sémantique me semble mettre en relief combien la problématique, très classique en psychanalyse, de dire si c’est l’évènement (ici la situation en tant qu’elle dure dans le temps) qui est à lui seul traumatique454 et/ou si il (ou elle) entre en résonance avec la trame psychique du sujet, et ne devient traumatique après-coup est… extrême… dans ce cas455.

2.2. Du traumatisme au traumatisme extrême : problématiques

Sa théorie est d’abord économique : quantité d’excitation externe, et quantité d’excitation interne, pulsionnelle. Les excitations pulsionnelles sont suscitées par les excitations externes458, et désorganisent l’appareil psychique. De 1892 à 1897, le traumatisme concerne un événement qui affecte, désorganise459 le sujet de façon plus ou moins importante et durable. Les effets pathogènes du traumatisme sont dus au débordement économique au sein de l’appareil psychique qui est incapable de lier les excitations. L’événement qui affecte le sujet est réel, datable, mais le patient ne se souvient pas de l’événement (c’est aussi le début de la théorie du refoulement). Pour Freud, le traumatisme a une nature sexuelle, et implique deux temps : une séduction sexuelle réelle, précoce (attouchements des organes génitaux) et un second évènement qui va réactiver, au moment de la maturité sexuelle, le premier évènement, refoulé, qui va agir comme un « corps étranger » c’est la théorie de l’après-coup.

Le traumatisme est source et explique la névrose qui peut être curable en associant les représentations afférentes qu’on tente de retrouver avec les affects : c’est la méthode cathartique.

Cette théorie de la séduction réelle, « la neurotica », Freud va l’abandonner à partir de 1897 au profit d’une séduction, fantasmée cette fois-ci460, et ainsi opérer un changement épistémologique majeur. Dans cette nouvelle conception, ces évènements, auparavant considérés comme réels, s’avèrent être en réalité des évènements fantasmatiques. Si cette modification paradigmatique va lui légitimer la force des fantasmes inconscients et la prise en compte d’une relation psychique entre ces fantasmes, il ne s’agit par pour Freud de substituer systématiquement le fantasme à la réalité ; jusqu’à la fin de sa vie, il cherchera à trouver un matériel clinique qui confirme la réalité de la séduction. Aussi, ultérieurement, Freud ne se prononcera plus sur la réalité ou le fantasme de la scène.

La première guerre mondiale fournira à Freud l’occasion de se pencher sur les névroses traumatiques, qu’il différencie des autres névroses de transfert, comme étant des « névroses actuelles », ou névroses narcissiques461, le sexuel et la perte y sont traumatiques.

En 1920, Freud va repenser la névrose traumatique. Dans la situation traumatogène, le parexcitant, c'est-à-dire l’enveloppe protectrice des excitations externes sous laquelle se trouve la couche réceptrice perception – conscience462, est « effracté ». Il ne peut plus alors assurer sa fonction régulatrice. Le sujet est submergé, débordé suite à l’effet d’une excitation

458 On peut, dans ce chemin de pensée, se demander ce qu’il en est de ces excitations externes dans un environnement extrême ? Quelle est leur nature et quelles excitations internes vont-elles rencontrer ?

459 La valeur pathogène du traumatisme peut d’ailleurs sans doute se mesurer à l’intensité de la désorganisation psychique qu’il provoque.

460 Freud, S. (1897b). Lettre à Fliess n°69 du 21.9.1897. In La naissance de la psychanalyse. Paris, France : P.U.F., 1973.

461 Freud (1919a).

462 Structure qu’il comparera au bloc-note magique dans Freud (1925).

violente, interne et/ou externe survenant dans une situation telle que le psychisme du sujet n’est pas en mesure d’abaisser la tension provoquée, soit par une action, ou une réaction émotionnelle immédiate, soit par une élaboration mentale suffisante. L’affect alors évoqué est

« l’effroi ». Ce dernier renvoie à l’expérience de détresse originaire, la première séparation d’avec la mère. Le nourrisson est submergé par les excitations internes face à une situation dans laquelle il est totalement impuissant.

Cette dernière expérience sera reprise par lui en mettant au premier plan la question de la perte et de la séparation en 1926. En désaccord avec Abraham et Férenczi, il va introduire deux types d’angoisse : l’angoisse-signal et l’angoisse-automatique. La première indique, prévient dans un mouvement prévisionnel, le sujet que quelque chose va se passer. Le moi se mobilise et ainsi tente de se protéger de l’angoisse-automatique qui est, quant à elle, réactivée par un certain type de traumatisme. Elle renvoie le sujet à l’état de détresse traumatique du nouveau-né, dont l’immaturité biologique et psychique ne permet pas de faire face aux tensions en provenance des énormes quantités d’excitation pulsionnelle qu’il ne peut décharger et donc satisfaire. L’expérience de cessation de l’état de détresse se fait progressivement grâce à l’intervention de l’objet maternel. La perte de ce dernier va être vécue comme le danger qui constitue l’angoisse-signal.

En 1939, Freud propose une notion nouvelle du traumatisme. Tous les traumatismes se situent dans la première enfance jusqu’à la 5ème année. Il s’agit d’impressions d’ordre sexuel ou agressif, et certainement de blessures précoces faites au moi (blessures narcissiques).

Ajoutons que d’aussi jeunes enfants ne sont pas encore capables comme ils le seront plus tard de distinguer les actes sexuels des actes purement agressifs. Les traumatismes ont deux sortes d’effets. Des effets positifs qui sont « des efforts pour remettre en œuvre le traumatisme »463 c'est-à-dire pour ranimer le souvenir de l’incident oublié ou plus exactement pour le rendre réel, le faire revivre. Des effets négatifs qui « tendent au but opposé : à ce qu’aucun des éléments des traumatismes oubliés ne puisse être remémoré ni répété. »464 s’exprimant alors sous forme d’évitements pouvant s’aggravant jusqu’à devenir des inhibitions ou des phobies.

Ma clinique va m’amener à m’orienter (sans pour autant nier la pertinence des autres modèles de traumatisme), dans la perspective freudienne, vers le traumatisme tel qu’il le conçoit après 1920. La confrontation du sujet avec sa propre mort, combien de fois rapportée

463 Freud (1939, p. 163).

464 Id.

dans de nombreux témoignages, est toutefois, première nuance, quasi-permanente465 au camp466, ce qui introduit une observation de toute première importance : une spécificité de la temporalité467 du traumatisme des camps468. Comme on l’a vu dans la partie descriptive précédente, la vie (ou plutôt la survie) dans un camp de concentration s’inscrit le plus souvent sur une longue période, des mois, voire des années, de même que les persécutions... Autre élément intéressant, la question de la contrainte de répétition : Freud la conçoit comme un moyen pour relancer l’activité psychique sidérée, et donc les capacités de liaison et de représentation. Dans cette optique, il est intéressant de rechercher, chez mes sujets, si cette dimension de répétition est présente, dans les dessins et/ou dans leurs témoignages, et/ou recherchée, remplit-elle sa fonction ? Comment elle se déploie, quels sont ses effets etc.

Férenczi, contemporain de Freud, va axer une partie de son travail sur le traumatisme. Dès 1924, il va commencer à rendre compte des liens entraperçus entre fantasmes infantiles précoces, expériences sexuelles et traumatisme. La répression fantasmatique, chez l’enfant, lorsqu’elle s’exerce dans une éducation idéalisante, rigide et anti-sexuelle, peut être traumatique en tant qu’elle s’oppose aux traumatismes sexuels infantiles nécessaires, ni trop excessifs, ni trop précoces ou trop intenses. Ces derniers, pour la constitution d’une normalité psychosexuelle, peuvent acquérir une valeur de traumatisme anti-trauma en se dressant contre les traumatismes invalidants, seuls vrais traumatismes. Plus tard469, il montre que toute histoire de traumatisme, et de traumatisme sexuel, est une histoire d’amour entre un enfant et un adulte. L’enfant attend de l’adulte des gestes de tendresse, et l’adulte met des gestes et des

«intentions passionnelles» qui, contrairement à celles de l’enfant, sont empruntes d’une maturation sexuelle et de désir sexuel. Le langage passionné de l’adulte (sexuel) ne peut être qu’hermétique à la compréhension de l’enfant, qui prend les gestes sexuels de l’adulte pour l’expression de sa tendresse. Il y a un malentendu qui repose sur la différence entre le langage sexuel et le langage tendre, entre le désir de l’adulte et celui détourné, dévoyé, de l’enfant.

La nouveauté de la théorie de Férenczi est de montrer que c’est l’écart entre le désir de l’enfant et celui de l’adulte qui est créateur de traumatisme. C’est aussi l’énigme que représente chacun de ces désirs pour chacun des personnages. Pour cet auteur, l’enfant s’attend à un désir, des gestes tendres, et l’adulte y répond sexuellement, c’est ce décalage qui est traumatique. La sexualité est en soi traumatisante à partir du moment où elle n’est pas

465 Cf. 1.4.6.

466 L’expression « camp » sera à partir de ce point, par commodité, et dans le reste de cette recherche, utilisée dans le sens strict de « camp de concentration », sauf précision contraire, cf. 1.1.

467 Déjà soulevée en introduction, qui sera analysée ultérieurement et plus précisément au chapitre 2.3.1.5.

468 Expression que j’utilise temporairement avant d’expliquer le recours à l’expression « traumatisme extrême ».

469 Férenczi (1931) et Férenczi (1933).

préparée470. Face à ce traumatisme, la modalité défensive centrale se situe autour d’un clivage qui est acceptation et déni d’une réalité dans un même mouvement, comme la mort par exemple qu’une partie du moi du sujet mourant accepte et l’autre pas. Le sujet, en proie à une douleur extrême, se dédouble en quelque sorte (c’est l’« autoclivage narcissique »471), et se voit lui-même comme de très haut, de très loin. Il y a d'une part un Je qui souffre, mais ne le sait pas, de l'autre un Je qui sait mais ne souffre pas472. Ce dédoublement permet parfois à la partie qui sait d'adopter un comportement de compassion et de réparation à l'égard de la partie qui souffre, d'être un « nourrisson savant »473. Ce dernier figure le développement d’une l’hypermaturité474, secondaire à un choc psychique, une sorte de progression traumatique, de prématuration. L’autoclivage narcissique peut provoquer « l’isolation » d’une partie du corps qui vient représenter le sujet tout entier. Le plus souvent, ce type de clivage (désigné comme

« processus primaire de refoulement ») est intrapsychique, et développe chez le sujet, du fait des capacités de perception autosymboliques, une partie sensible brutalement détruite qui co-existe avec une autre qui sait tout mais ne sent rien. Le traumatisme amène aussi une représentation particulière de l’adulte séducteur par l’enfant qui préfère penser que la scène traumatique est une création fantasmatique, et non réelle, pour en atténuer la portée.

Férenczi remet ainsi en jeu la question de la réalité du traumatisme. Il s’agit pour lui d’une séduction réelle de l’adulte. La confusion réalité/fantasme qui est introduite vient du montage défensif de l’enfant. Tout en en reconnaissant quelque chose, il s’en détourne.

Comme chez Freud, l’enfant traumatisé sera soumis à l’après-coup. Toutefois, « dans la conception du traumatisme de Férenczi, se différenciant en cela de Freud, l’accent est mis sur l’absence ou la défaillance des réponses de l’environnement aux besoins affectifs des patients, ce qui fait appel à la capacité de l’analyste de pouvoir rendre figurable et symbolisable, ce qui n’était pas vécu sur le plan des affects ni inscrit dans les représentations mais qui pourra ressurgir dans le transfert. »475. Apparaît cette accentuation de l’environnement dans ses effets sur un traumatisme « en creux » (« absence de réponses » de l’environnement par rapport aux besoins du sujet) ou « en distorsion », « mauvais ajustement » (« défaillance des réponses »)

470 Il rejoint, à propos de la sexualité, les propositions de Freud (1920) sur l’état d’impréparation de l’appareil psychique effracté dans le traumatisme.

471 Férenczi (1933).

472 Conceptualisation finalement proche à mon sens du clivage structurel du moi tel que Freud le définit qui prend la place du refoulement : une partie du moi perdant le contact avec la réalité, l’autre laissant « se dérouler devant elle, comme un observateur désintéressé, toute la fantasmagorie morbide […] Au lieu d’une unique attitude psychique, il y en a deux ; l’une, la normale, tient compte de la réalité alors que l’autre, […] détache le moi de cette dernière. » Freud (1940, p. 77-81).

473 Férenczi (1923).

474 Reprise comme « maturation précoce » face à un danger vital dans Ferenczi (1932a, p. 310).

475 Korff-Sausse (2006, p. 29).

avec cette idée que l’objectif thérapeutique, dans le cadre de la cure analytique, consiste à figurer et symboliser des représentations et des affects qui surgiront dans le transfert.

Nous nous rapprochons ici de cette idée que je soutiens d’un travail de la représentation par l’activité picturale dans les camps de concentration : un travail de la représentation qui surgit là où une inscription dans les représentations n’a pourtant pas eu lieu, ou du moins un travail de la représentation qui a besoin de l’autre, du regard d’un autre pour se figurer. On s’interroge dès cet instant sur la nature métapsychologique, le statut de ces représentations picturales des camps de concentration…

Face à l’évènement traumatique qui vient donner corps à quelque chose d’irreprésentable, la psyché ne peut assurer sa tâche habituelle qui est d’intégrer les éléments du monde extérieur. La raison de cette incapacité est d’ordre économique, car l’excès du facteur quantitatif déborde les capacités d’élaboration du moi. Après le tournant de 1920, Freud a privilégié ce point de vue économique, reléguant au second plan l’aspect évènementiel du trauma.

Ferenczi, lui, poursuit l’idée de la réalité du traumatisme. Convaincu de la nécessité de la reconnaître, il cherche, dans sa technique, les voies pour l’amener à une remémoration et une résolution psychique. Cette divergence avec Freud n’est pas chez Férenczi une opposition de principe, mais plutôt une opposition des développements, et des accents mis sur des points différents du processus traumatique. Ils reconnaissent qu’il existe des traumatismes organisateurs et d’autres invalidants. Freud est plus intéressé par l’aspect structurel du traumatisme pour la compréhension des névroses. Il serait ainsi inadéquat de méconnaître la réalité du contexte réel, de ce qui va faire effraction, tout comme il ne faut, à mon avis, pas perdre de vue non plus l’existence d’une appréhension subjective de ce même contexte qui, je le soutiens, est bien présente, et visible notamment dans les représentations picturales des camps que je présente dans la partie clinique de cette recherche476.

Dans deux oeuvres posthumes477, Férenczi décrit des modes de réaction au « trauma » (ici dans l’acception de réalité traumatique dont il insiste sur le poids) qui ne sont pas de l'ordre du refoulement, et indiquent le retrait du sujet hors de l'expérience :

Le sujet subit un choc inattendu, écrasant, auquel il n’est pas préparé478, qui agit comme un anesthésique. Il réagit par un arrêt de toute activité psychique, l’instauration d’un état de passivité, dépourvu de toute résistance, une paralysie totale de la mobilité et un arrêt de la pensée. Cette sidération de la pensée, disparition de la spontanéité, est tout à la fois

476 Cf. 9, cf.10, cf. 11.

477 Férenczi (1932b) et Férenczi (1934).

478 Rejoignant là encore une fois Freud (1920) dans l’aspect pathogène de l’absence de préparation du sujet face à la réalité.

conséquence et stratégie de survie psychique face au trauma, elle peut se manifester sous la forme d’un clivage entre la pensée et le corps. Avec le « clivage auto-narcissique » (cf.

supra), se produit une fragmentation d’une partie du moi qui associe une dissociation et une dépersonnalisation qui sont pour lui des tentatives de réponse à l’intensité du choc subi par le sujet. Il les décrit479 comme des moments d’hyperlucidité, sorte d’intellectualisation pure du psychisme, débarrassés de l’affect ou au contraire, des moments d’engourdissement accompagnés de cette fragmentation. Le trauma va rester en souffrance, c’est-à-dire en attente de remémoration et de représentations auxquelles se relier, mais aussi en attente d’être souffert.

Dès lors, peut-on se risquer, dans l’axe théorique de Férenczi, à imaginer l’activité picturale des sujets dans les camps de concentration comme des tentatives de métabolisation, de « re-mentalisation »480 (une « intellectualisation » au sens de Férenczi ?) de ce réel effractant, irreprésentable du camp, en mettant sur un support (papier, carton etc.), dans un mouvement de projection, une représentation de cette réalité qui pourra alors être y travaillée, comme hors psyché481.

Winnicott, quant à lui, va insister sur le rôle de l’environnement précoce dans le traumatisme. Ce dernier est ramené à la notion d’empiétement482 qui ne peut être comprise qu’à partir de ses concepts-clés des premières relations que le nourrisson entretient avec son environnement. Celles-ci se caractérisent notamment par les soins de la mère, et les soins que le monde qui entoure le bébé lui donnent. Ils répondent à des qualités précises :

Le « holding », qui définit la capacité à contenir le bébé, la façon dont on le porte… Le

« handling » qui définit la capacité de la mère à maintenir son bébé, c'est-à-dire la façon dont on l’empêche, par le maintien, de tomber, de le mettre dans son bain… L’ « object presenting », la présentation de l’objet, situe la façon dont la mère introduit l’enfant dans la réalité, et la façon dont elle va faciliter les premières relations d’objet483.

Ces modalités, ces qualités de la relation mère/bébé (et de façon plus générale des relations monde extérieur/bébé) nécessitent une mère « suffisamment bonne »484 selon l’expression de Winnicott, suffisamment proche, qui réponde adéquatement à son bébé : s’il a faim qu’elle

479 Férenczi (1932a, p. 279-280).

480 Le néologisme est de moi.

481 Voir d’ailleurs à ce sujet la conception de la création de Guillaumin qui s’accorde avec cette hypothèse, cf.

3.8 et 6.

482 Abordé à partir de Winnicott, D. W. (1990). La nature humaine. Paris, France : Gallimard, coll. Connaissance de l’inconscient.

483 Winnicott, D. W. (1969). De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, France : Payot, 1989 et particulièrement

« Le développement affectif primaire », p. 57-71.

484 « Good enough ». Du recueil de textes de Winnicott : Winnicott, D. W. (2006). La mère suffisamment bonne.

Paris, France : Payot.

lui donne à manger ; s’il a envie de jouer qu’elle joue avec lui485. La mère doit reconnaître les compétences de son nourrisson pour lui permettre de s’organiser dans la réalité tout en restant un support suffisant en termes de protection, de sécurité. Leur bon déroulement requiert une adaptation de l’environnement au bébé.

Ces rapports mère/bébé se déploient sous l’égide de la tendresse maternelle, distinguée d’avec la sexualité maternelle. La mère est à la fois intriquante (au sens où elle permet une intrication des pulsions de vie et de mort suffisante) et intrigante (au sens où elle va censurer une partie de sa sexualité dans ses rapports à l’enfant, et montrer qu’elle a des besoins ailleurs, en dehors de lui).

La question de l’empiètement va dès lors se jouer pour Winnicott dans certains aléas de cette intersubjectivité, selon deux modalités opposées :

S’il y a inadéquation entre les besoins de l’enfant et la réponse de la mère : manque de support du moi, manque de protection du bébé, si la mère suffisamment bonne ne joue pas un rôle parexcitant486 suffisant, il va y avoir empiétement de l’environnement : une effraction de la mère, trop stimulante, trop excitante, ou trop anxieuse, dans l’univers du bébé.

Inversement, cet empiétement peut advenir en cas d’absence trop importante de la mère.

Par exemple, une mère physiquement présente, mais psychiquement absente, au cours d’une dépression périnatale.

Dans les deux cas, il y a traumatisme. Dans le premier cas, traumatisme par excès dans l’autre cas, traumatisme par absence, insuffisance, « traumatisme en creux ». Ces deux variantes empêchent, selon Winnicott, d’une part l’intégration du moi, c’est-à-dire le sentiment d’unification, d’intégration du moi et, d’autre part, la continuité d’être c’est-à-dire le sentiment d’être le même d’un jour à l’autre, présent de façon suffisamment solide chez le sujet « sain ».

L’empiètement, en tant que faillite précoce de l’environnement, peut conduire (Winnicott, 1962) à des « agonies primitives » qui sont « l’état de choses [initial] impensable qui sous-tend l’organisation de défense ». L’enfant normal au tout début de sa vie est à considérer comme étant toujours « au bord d’une angoisse dont nous ne pouvons avoir l’idée »487, une

« angoisse d’annihilation »488 qui peut se présenter sous diverses formes subjectives : se morceler, tomber sans fin, ne pas avoir de relation avec son corps, ne pas avoir

485 C’est la « contingence » américaine.

486 Au sens de Freud (1920).

487 Winnicott, D. W. (1962). Intégration du moi au cours du développement de l’enfant. In Processus de

maturation chez l’enfant : développement affectif et environnement (p. 9-18). Paris, France : Payot, coll. Science de l’homme, 1970.

488 Winnicott, D. W. (1961). La théorie de la relation parents-nourrisson. In De la pédiatrie à la psychanalyse (p.

358-378). Paris, France : Payot, 1989.

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