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Le Traumatisme et dialectique d’enjeux comme analyse clinique de construction d’actes criminels

Chapitre II. Méthodologie de l’analyse et présentation clinique Pour étayer mon travail de recherche j’ai choisi de m’appuyer sur quatre cas cliniques

3- Le Traumatisme et dialectique d’enjeux comme analyse clinique de construction d’actes criminels

La lecture psychocriminologique de ces deux situations, aussi bien pour Victor que pour Patrick dit le moine « doudou », démontre que cette dialectique entre traumatisme, perversion et sublimation est d’une grande complexité dans la construction même d’actes criminels. Au plan intrapsychique, évoquer la notion d’acte, que ce soit le passage à, ou par, ou encore le recours à l’acte, constitue une source de confusion psychique. Houssier235 propose de définir le recours à l’acte comme une régression motrice de l’ordre du registre symptomatique qui s’antagonise avec l’élaboration psychique et la mise en mots tels que le vivent par exemple certains adolescents. La déficience du fantasme est alors suppléée par le langage de l’acte. Le passage à l’acte ou « acting out » relève du registre de la rupture, et se définit comme une réponse de l’ordre de la décharge en direction d’autrui. Laplanche et

235 Houssier F., « Transgression et recours à l’acte : une forme d’agie, d’appel à l’objet », annales médico psychologiques , Revue psychiatrique, 2008, pp. 711-716

Pontalis236 font du passage à l’acte un prolongement du retour du refoulé. Il est « la réalisation achevée et répétitive, comme si l’énergie bloquée passait toute entière dans l’acte, de manière habituelle »237. Le passage à l’acte interroge la dialectique entre répétition, acte manqué et retour du refoulé. Le symptôme va signer que l’élaboration de mise en représentation a échoué. L’analyse portera moins sur l’équilibre des forces dynamiques motivationnelles internes que sur cette défaillance structurelle qui a été l’objet d’une mise en échec. D’emblée donc, c’est vers l’histoire du sujet qu’il me semble que le clinicien trouve un intérêt dans la perspective psychopathologique. Et l’expérience clinique démontre que, plus précisément encore, il s’agit d’étudier les conditions d’établissement du champ des affects du sujet. L’affect, produit psychique, comme la symbolisation, est l’un des deux représentants de la pulsion. Il est le tiers permettant la mentalisation des actes d’un sujet. Il est à la fois l’expression subjective d’une attitude et la voie de transmission de la subjectivité des traces mnésiques, celles que l’on peut déceler en cas de traumatismes.

L’ensemble de ces données met en perspectives l’incapacité du sujet auteur de violences à négocier psychiquement les excitations internes qui le régissent, et qui pourront apparaître comme des menaces plus ou moins grandes pesant sur l’identité. Dès lors, le sujet ne voit que l’environnement comme seul recours pour évacuer la surcharge. La victime sera la partie de l’environnement utilisée par l’agresseur pour réguler et donc atténuer sa menace interne. Ce qu’il importe de percevoir en matière psychodynamique, c’est la désubjectivation du sujet dans de tels épisodes. Pour échapper à une surcharge d’excitation qu’il ne peut symboliser, le sujet la clive de lui-même. C’est ce qui émerge dans l’exemple de Victor. Dans un second temps, il perçoit cette excitation comme menace, comme un élément étranger, et il convient dès lors de l’expulser. Cette dimension particulièrement violente, destructrice, indique l’absence d’un régulateur au plan psychique. Ce contexte éminemment terrifiant est alors identifié à celui de la mère première, défaillante, celle qui n’a jamais su médier les excitations pour son enfant, en le laissant seul régler ce débord d’affects, avec pour uniques compétences celles de son immaturité affective.

Les auteurs de violences sexuelles et plus généralement de violences en général ne disposent pas d’un « appareillage » interne pour réguler leurs excitations, sur leur environnement ou pour réguler un système pulsionnel en défaillance de représentation. On peut même envisager qu’ils sont co-dépendants à l’environnement. Les apports des travaux

236 Laplanche J., Pontalis J.B., Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967

en psychocriminologie de la personnalité du sujet peuvent être également pertinents à analyser, surtout en regard d’une approche psychanalytique.

Dans Surveiller et punir, Michel Foucault évoque que la criminologie naît d’une intersection entre d’une part l’étude du crime en tant qu’objet juridique et d’autre part les débuts d’une connaissance scientifique de l’homme238. Au siècle des Lumières, Cesare Lombroso essaiera d’éclairer « L’homme criminel », idéal d’objectivité qui amènera les prémisses d’une approche renouvelée du fait criminel239. Pour autant l’histoire retiendra des recherches de Lombroso uniquement celle du « criminel-né ». Cette image forte fut relayée au fil des décennies par de nombreuses théorisations et sous divers aspects, et un siècle plus tard, dans les années 1980, le courant neuroscientifique émettait l’hypothèse d’un gène du crime (en fait, un chromosome surnuméraire XYY)240. On perçoit déjà une approche multifactorielle qui n’aura de cesse de générer des oppositions dont Alexandre Lacassagne sera le chef de file, en France.

Entre milieu environnemental, structure et hérédité, le fait criminel semble longtemps écartelé entre diverses postures qui seront dénoncées par de nombreux psychanalystes. Déjà en 1919, Ferenczi écrit :

« Sur le plan théorique, la criminologie actuelle ramène les crimes à l’influence de l’hérédité et de l’environnement, et sur le plan pratique, pour les empêcher, elle propose l’introduction de réformes eugéniques, pédagogiques et économiques. Ce programme est juste dans son principe et épuise théoriquement toutes les possibilités, mais au niveau pratique il est superficiel et se trouve en contradiction précisément avec le déterminisme si hautement proclamée, dans la mesure où il néglige totalement les plus puissants facteurs déterminants du crime : les tendances de la vie psychique inconsciente et leurs origines, ainsi que les mesures défensives opposées à celle-ci. »241

Le fondateur de l’analyse psychocriminologique reste Freud puisque, dès 1901, il s’interroge

238 Foucault M., (1975), Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.

239Lombroso C., (1835-909), L’homme criminel, étude anthropologique et psychiatrique », édition électronique : Césare Lombroso (1835-1909) classiques.uqac.ca/.../lombroso_cesare/ homme_criminel.../ homme_criminel_1887.htm.

240 Mednoick S. et al., Criminality in XYY and XXY men, Science, 193,1976.

Le cinéma en a fait un film sous la direction d’Oliver Stone, en 1994, Natural born killers, traduit en français sous le titre Tueurs nés. Sur un scénario de Quentin Tarentino, le film, jugé trop violent à sa sortie en salles, fut interdit au moins de 16 ans. Enfin en 2007, les propos du président Sarkozy évoquent : « j’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on nait pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. (Citation issue de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et Michel Onfray publiée dans Philosophie, 2007, 8.

241 Ferenczi S. (1919-1926), Psychanalyse et criminologie, Psychanalyse 3, Œuvres complètes, t. 3, Paris : Payot, 1919, pp. 79-81.

sur le fait judiciaire et criminel. Il questionne dès cette époque la véracité des témoignages. Il propose deux modèles analytiques. Le premier est celui d’une personnalité délinquante ; le second, quelques années plus tard, concerne l’élaboration d’un processus criminogène qui comprend l’acte criminel pouvant surgir comme libérateur d’une tension interne242. Cette tension sera associée par la suite à un sentiment de culpabilité inconscient243.

À ces modèles, Freud en rajoute un autre, à savoir l’acte criminel. Il pense que l’acte criminel répondrait à une dimension archaïque ayant toujours la possibilité de ressurgir ; ou encore comme production psychique mal élaborée qui s’organiserait autour d’une hostilité œdipienne. À ces postulats, il convient d’ajouter l’ensemble de la réflexion freudienne sur la violence, et plus particulièrement d’éléments traitant les questions de l’acte (agieren), de l’agressivité, de la haine et de la destructivité. Enfin, Freud pose les bases du travail thérapeutique en 1925 : « Chez le criminel mené par ses pulsions, il faut faire autre chose que de l’analyse, quelque chose qui ensuite rencontre de nouveau celle-ci dans l’intention».244 Ce sont autant de jalons posés par Freud qui permettent une voie de compréhension de l’agir criminel et façonnent les outils d’une psychocriminologie clinique.

La psychanalyse prend un virage sur la question psychocriminologique au deuxième Congrès International de Criminologie qui se déroule, en septembre 1950 à la Sorbonne. L’intitulé du colloque est : « Psychanalyse et criminologie ». Jacques Lacan et Michel Cénac commencent les débats de manière très remarquée245. De nombreux psychanalystes s’y illustrent tels que S. Lebovici, P. Mâle, F. Pasche, A. Hesnard ou encore D. Lagache avec son intervention sur la psychocriminogenèse. Tous ont comme démarche d’élaborer une réflexion psychocriminologique en interrogeant la question d’un sens du crime pour le sujet qui l’exerce dans un environnement donné, avec l’affirmation de l’inexistence des « instincts criminels » et la revendication, jusque dans le crime, de l’autonomie d’une expérience irréductiblement subjective246. Ces références sont au fondement de l’œuvre de Claude Balier 247 qui, avec Gérard Bonnet 248 , a ouvert de nouvelles perspectives

242 Freud S. (1916), Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse, in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, pp. 138-171.

243Freud S., Les criminels par conscience de culpabilité, in Quelques types de caractères à partir du travail analytique, G.W. X, 390-391, 1925 ; Freud, 1923, pp. 213- 249.

244Freud S. (1925), Ma vie et la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, pp. 158-163.

245 Lacan J., Cénac M., Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie, Paris, Le Seuil, 1966, pp. 125-149.

246 Ibid. pp. 7-29.

247 Balier C., Psychanalyse des comportements violents, Paris, PUF, 2002.

248Bonnet G., « Avoir l’œil, la violence du voir dans la jalousie », Revue française de psychanalyse, 1-1997 et Le remords. Psychanalyse d’un meurtrier, Paris, PUF, 2000.

psychothérapeutiques.

Au travers des divers axes de modélisation, entre normal ou pathologique, le psychisme humain est conçu comme un ensemble de systèmes dont les enjeux dynamiques vont plus ou moins bien s’équilibrer. Plus l’équilibre est homogène chez le sujet, plus on peut évoquer la dimension de « normalité ». Moins l’équilibre peut s’organiser, plus le sujet est dans une souffrance psychique qui peut être ignorée consciemment, et plus il évolue dans la sphère du pathologique avec production d’acte symptôme pouvant originer des actes délinquants. Le ça ou réservoir pulsionnel pousse le sujet à réaliser des actes qui s’imposent à lui dans le cadre d’un principe qui régit l’ensemble de l’appareil psychique et que Freud nomme le principe de plaisir. Le surmoi interdit les réalisations d’un passage à l’acte si elles sont en contradiction avec les normes intériorisées que le sujet a reçues en héritage de son histoire et de son éducation.

De manière générale, lorsque le sujet a connu un développement satisfaisant dans un environnement favorable, l’ensemble des conflits intrapsychiques se déroule au sein du moi. L’éprouvé du moi, qui résulte de la violence de ces conflits, se manifeste par le biais du refoulement et par un symptôme qui est l’angoisse. Le sujet se trouve capable de se situer dans le cadre de la loi qu’il a pu intérioriser. Pour les personnalités agressives et violentes, il n’en va pas de même. Le modèle est plus complexe pour rendre compte de la construction d’actes criminels. Au plan intrapsychique, évoquer la notion d’acte, que ce soit le passage à, ou par, ou encore le recours à l’acte, constitue une source de confusion psychique. Le symptôme va signer que l’élaboration de mise en représentation a échoué. L’analyse porte moins sur l’équilibre des forces dynamiques motivationnelles internes que sur cette défaillance structurelle qui a été l’objet d’une mise en échec.

D’emblée donc, c’est vers l’histoire du sujet que le clinicien trouve un intérêt dans la perspective psychopathologique. Et l’expérience clinique démontre que, il s’agira d’étudier les conditions d’établissement du champ des affects du sujet. L’affect, produit psychique, est un des deux représentants de la pulsion. Il est le tiers qui permet la mentalisation des actes d’un sujet. Il est à la fois la traduction subjective d’une attitude, mais aussi la voie de transmission de la subjectivité des traces mnésiques des traumatismes249. L’affect en tant que médiateur de l’information transgénérationnelle est l’élément fondamental de la

subjectivation. Affectant la dimension somatique de l’enfant, l’affect lui procure un éprouvé dans la dimension de son histoire de vie.

L’enfant est aux confins de différents enjeux en tant qu’appartenant à une espèce, lié à sa singularité et s’inscrivant dans une double lignée : celle de la filiation et parentale. Cette tridimensionnalité constitue la base des différenciations qui structurent la psyché : différence interspécifique, différence des sexes et différence des générations. Ciavaldini reprend ces trois domaines où sont repérées des non-reconnaissances affectives250. L’ensemble de ces données met en perspectives l’incapacité du sujet auteur de violences, à négocier psychiquement les excitations internes qui le régissent, et qui pourront apparaître comme des menaces plus ou moins grandes pesant sur l’identité. Dès lors, le sujet ne voit que l’environnement comme seul recours pour évacuer la surcharge. La victime est la partie de l’environnement utilisée par l’agresseur pour réguler et donc atténuer sa menace interne. Ce qu’il est important de percevoir en matière psychodynamique, c’est la désubjectivation du sujet dans de tels épisodes. Pour échapper à une surcharge d’excitation qu’il ne peut symboliser, le sujet la clive de lui-même.

Dans le cas Roland, ce dernier perçoit cette excitation comme menace, comme un élément étranger, qu’il convient dès lors d’expulser. Cette dimension particulièrement violente, destructrice, indique l’absence d’un régulateur au plan psychique. Ce contexte éminemment terrifiant est identifié à celui de la mère première, défaillante, celle qui n’a jamais su médier les excitations pour son enfant, en le laissant seul régler ce débord d’affects, avec pour uniques compétences celles de son immaturité affective. L’analyse du passage à l’acte sur la victime est alors essentielle. C’est ici la source du recours à l’acte, qui surgit comme dimension salvatrice, face à la menace que crée le processus de pensée (cas Victor).

Néanmoins, le recours à l’acte ne veut pas dire pour autant que le sujet le réalise de manière désorganisée. L’acte, aussi violent soit-il, suit les traces de sa construction sensori-motrice et peut être hautement réfléchi, pensé, mais de manière opératoire, « même s’il se déroule, assez souvent en état semi-crépusculaire »251. Il existe une deuxième temporalité du sujet, notamment si la désubjectivation subit moins de prégnance. Cela entraine également une utilisation de la victime comme si elle était chosifiée. Le sujet est dans une situation de perte de subjectivité qui induit une déperdition de ses limites et donc la disparition de la

250 Ciavaldini A., « L´agir : un affect inachevé », Monographie de psychanalyse, L’affect, Paris, PUF, 2005.

notion d’altérité autour d’un puissant mécanisme défensif : le déni. Il est la conséquence du clivage de la personnalité et permet un mode de survie. Par ce déni, la victime devient un objet plus ou moins externalisé au sujet, sur lequel s’exerce une projection de manière concomitante d’une excitation interne clivée permettant en même temps le retour au calme. Dans la première situation, la victime devient menaçante pour le sujet, avec le risque d’agression qui s’ensuit. Dans la deuxième, elle devient celle par qui le sauvetage adviendra, faisant cesser la menace d’effondrement identitaire. Cependant dans les deux situations, la victime a perdu sa singularité et son aptitude à l’altérité. Elle se trouve désobjectalisée (conséquence du processus de désubjectivation), enfermée dans un contexte dont elle a peu de chance de sortir.

Cette altération de mise en représentation psychique du vécu affectif, et donc les excitations, est la marque d’un trouble majeur du narcissisme. Comme on l’a vu, ces sujets sont organisés sur une modalité de « faux-self ». L’établissement du narcissisme étant sous l’instance de l’environnement familial primaire, cela suppose que les conditions d’attachement précoce dans les premières interactions de vie du sujet devront être prises en considération. En effet, les auteurs de violences sexuelles et plus généralement de violences en général ne disposent pas d’un « appareillage » interne pour réguler leurs excitations, sur leur environnement ou pour réguler un système pulsionnel en défaillance de représentation. Il peut être même envisager qu’ils sont co-dépendants à l’environnement.

Je souligne dans les deux exemples (Patrick et Victor) alors la nécessité de travailler avec les éléments environnementaux comme la PJJ (Protection Judicaire de la Jeunesse) par exemple, les différentes instances de justice, les acteurs du champ social, éducatif et d’insertion. Le but est d’élaborer autour du sujet un environnement qui soit adapté à ses compétences et ne pas exiger de lui ce qu’il ne peut pas mettre en œuvre. Il s’agit par la-même de ne pas être acteur d’enjeux de répétitions qu’il a pu vivre dans son environnement de la prime enfance.

Loin de la dimension sécuritaire de notre société, il s’agit ici d’une mise en lien qui doit s’effectuer dans une démarche thérapeutique autorisant un travail psychique. Se retrouve ici la pensée de Freud reprise sous une forme différente par Winnicott : « Je m’aperçois que je fais œuvre de psychanalyste, même si je ne pratique pas une analyse standard, lorsque je rencontre certaines conditions que j’ai appris à reconnaître »252. Le suivi

252 Winnicott W.D., Les visées du traitement psychanalytique, Processus de maturation chez l’enfant et

au long cours de ces personnalités indique que lorsque le cadre environnemental est suffisamment contenant, au sens où il permet la gestion des excitations253, le risque de récidive s’amoindrit, sans pour autant que le risque zéro puisse être atteint. Il s’agit d’établir une relation de grande communication pluridisciplinaire entre les différents acteurs, dans le respect de leurs missions et de leurs identités, afin de rendre l’environnement contenant.

253Kaës R., Introduction au concept de transmission psychique dans la pensée de Freud, Transmission de la vie psychique entre générations, Paris, Dunod, 1993.