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Chapitre II. Méthodologie de l’analyse et présentation clinique Pour étayer mon travail de recherche j’ai choisi de m’appuyer sur quatre cas cliniques

1. Le choix méthodologique

Il s’agit de quatre sujets ayant comme point commun d’avoir été victimes précocement de maltraitances intra familiales. J’ai posé mon champ d’analyse en me basant sur l’étude de cas et le récit de vie des sujets ayant subi ces mauvais traitements, les agresseurs pouvant être les parents ou tout autre adulte évoluant avec le sujet. Le choix de l’étude de cas s’explique par différentes motivations. Ma recherche est directement issue de mon travail clinique. Vouloir ajuster, au mieux, mes suivis psychothérapeutiques a eu pour bénéfice de faire émerger cette recherche. J’ai souhaité rendre intelligible les situations traumatiques et les enjeux que le trauma induit :

« C’est souvent pour se détacher d’une relation clinique trop confusionnelle, trop vampirisante, dans laquelle les mouvements contre-transférentiels sont violents et énigmatiques, que le clinicien est poussé à un dégagement, à une élaboration, à une réflexion théorique distanciante »201.

Je ne peux que souligner que je m’inclus dans le dispositif de recherche, ne pouvant faire l’économie de mes émotions en regard d’un tel sujet de recherche.

- L’entretien, l’étude de cas et le récit de vie

L’entretien est un outil très important et indispensable que ce soit d’un point de vue diagnostique, psychothérapeutique ou de recherche. Il permet d’accéder aux représentations et aux émotions du sujet, et de recueillir des données anamnestiques. L’entretien clinique occupe une place essentielle, puisque c’est dans la rencontre intersubjective entre le clinicien

201 Ciccone A., Modélisation de l’observation clinique : objets et méthode, L’observation clinique, Paris, Dunod, 1998, p. 110.

chercheur et le sujet, que se construit une relation pouvant conduire à l’instauration d’un climat de confiance et de respect. C’est en consacrant du temps et une écoute attentive que le sujet pourra se laisser aller à son désir de « dire » son histoire, avec ses propres mots et sa subjectivité.

Le cas est « un ensemble de données empiriques ». Hamel déclare qu’un cas est défini par les caractéristiques du sujet qui déterminent et donnent sens à son activité. En particulier, toute activité prend place dans l’histoire du sujet qui la produit. Cette histoire est définie à la fois par le déroulement temporel et observable du cas, également par la manière dont il est vécu et s’insère dans la subjectivité du sujet. Selon Clot, en devenant une histoire, le cas éclaire son développement et la genèse de sa production. Pour Widlocher, l’étude de cas se distingue donc essentiellement par son caractère approfondi. Elle relève généralement de la méthode clinique, c’est à dire de l’observation intensive de cas individuels. Hamel de poursuivre que pour atteindre son but, l’étude de cas fait appel à des méthodes et à des modèles divers. Chacun de ces derniers exprime une partie des propriétés du cas à l’étude, mais c’est le mode de conjonction de ces modèles qui est l’objectif visé. Le Moigne suggère à la méthodologie de l’étude de cas un rapprochement avec celle développée dans l’étude des systèmes qui fait appel à la notion de triangulation. Dans mon contexte, l’étude de cas se réalisera au travers du récit de vie. Le récit de vie est considéré comme une méthode d’enquête, une forme particulière de l’entretien narratif202. Il inclut deux registres de données. D’une part, il tient compte d’événements, d’une réalité objective et historique, et d’autre part, il se réfère à des significations, à l’expression subjective du vécu de l’histoire203. Le récit décrit à la fois la vie intérieure du narrateur, ses contextes sociaux traversés 204. Il s’agit donc d’accepter le caractère artificiel et incomplet de la production de connaissance 205, tout en reflétant le contexte dans lequel la trajectoire se déroule et dans lequel la perspective subjective devient, par juxtaposition banale, l’objet d’étude.

Dans son ouvrage Le sens de l’histoire. Moments d’une biographie, Christine Delory-Momberger206, chercheuse en sciences humaines, s’est livrée à une expérience biographique : « la méthode des histoires de vie ». Selon l’auteure, il s’agit, au travers de la « parole de soi », de saisir au présent une figure et un horizon de sa vie, dans un projet

202 Bertaux, D., Le récit de vie, L'enquête et ses méthodes, Paris, Armand Collin, 2010.

203 Orofiamma R., Les figures du sujet dans le récit de vie, Paris, CNAF, 2008.

204 Bertaux D., L'enquête et ses méthodes, Le récit de vie, op. cit.

205 Pourtois J.-P, Desmet H., Epistémologie et instrumentation en sciences humaines, Paris, Mardaga, 2007.

réflexif personnel intégrant des préoccupations intellectuelles, éducatives et politiques. Les thèmes du discours sont l’occasion d’une exploration biographique par laquelle le narrateur ressaisit telle ou telle série d’éléments biographiques et en réinterprète la connexion dans la perspective herméneutique de la thématique considérée. L’observation de cas singuliers se situe en amont de la recherche de validation et de généralisation des hypothèses élaborées à partir de l’étude de ces cas207. Même si je suis conscient qu’il puisse y avoir des récits de vie avec certaines distorsions conscientes ou inconscientes, reprenant les derniers auteurs évoqués, il faut obéir au principe d’intelligibilité de soi et à la logique d’une logique du récit de vie.

Dans cette démarche il m’a été important de m’attacher à la fois au récit, aux mots utilisés : « le récit devient l'enjeu d'une réflexion théorique et épistémologique et conduit à définir : les récits de plaintes, les récits cliniques et l'analyse des récits »208. Comme l’évoque Nicole Jeammet, cela permet plus ou moins un équilibre de cohérence faisant prendre sens aux choix des événements racontés et surtout à la manière dont ils sont racontés. L’auteure de poursuivre que cela veut dire que le décryptage pourra trouver sa vérité à l’intersection simultanée d’un axe diachronique et d’un axe synchronique209. L’axe diachronique se définit par les interactions avec l’entourage qui ont participé à construire la personnalité du sujet dans une histoire s’inscrivant dans une temporalité. Sur cet axe, peut se lire le récit de cette construction faite du passé avec ce qui est « dit » dans la dimension transgénérationnelle des différentes lignées : grands-parents, parents et fratrie. À cela s’ajoute la dimension du présent avec la relation actuelle du conjoint ou du mari, des enfants, élaborée dans le futur avec les projets d’avenir.

L’axe synchronique, quant à lui, s’attache en l’analyse de chaque moment du récit, la démarche narrative étant au présent. L’histoire du sujet est racontée dans « l’ici et maintenant » avec une compréhension présente des événements traumatiques passés, avec des remaniements actuels des événements et des fantasmes qui peuvent interagir. L’analyste est renvoyé à un fonctionnement mental actuel, sur lequel il est possible de s’appuyer pour interroger l'histoire racontée, cette histoire qui est sous-tendue par des fantasmes en lien avec des désirs inconscients. Cette démarche participe à déclencher un certain type d’angoisses

207 Bourguigon O., Bydlowski P., La recherche clinique, Paris, PUF, 2006.

208 Bonnet C., « Entre récit et douleur : psychopathologie des récits de plaintes », thèse de doctorat, Université de Marseille, 2000.

209 Jeammet N., Bourguignon O., Bydlowski M. (1995), L’entretien clinique et son analyse singulière, La

contre laquelle les mécanismes de défense prévalents sont mis en jeu. Ce sont des mécanismes devenus mécanismes discursifs que l’analyste cherche à repérer et à interpréter puisqu’ils organisent la logique du récit et sont des indicateurs du désir inconscient. Donc, comme le précisait Nicole Jeammet, tout notre travail de décryptage s’organise sans cesse dans le croisement des axes conscient / inconscient, diachronique / synchronique, et dans l’exigence d’une analyse dialectique permanente. Comme Fedida l’écrit :

« Il faut toujours et encore raconter ! Seul le récit est capable d’assumer cette intimité de l’histoire qui nous est livré dans une analyse. C’est même ce récit qui, grâce à ses ruptures temporelles, ses échecs de continuité, donne à produire des conditions du langage du figurable. »210