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La transposition dans l’académie de Grenoble en 2016 : une entrée par la pédagogie

2. Émergence et installation des réseaux d’établissements dans les deux académies 18

2.3. La transposition dans l’académie de Grenoble en 2016 : une entrée par la pédagogie

L’analyse de la transposition des réseaux dans l’académie de Grenoble va permettre de saisir l’influence du contexte local. Les responsables estiment en effet qu’ « il faut trouver un autre modèle ».

Influence du contexte académique

Les réseaux restent au cœur des préoccupations du recteur : « il n’y a pas une réunion où [le recteur]

ne parle pas des réseaux d’établissements. Donc au début, on peut se dire que c’est un temps comme ça, ensuite ça s’inscrit tellement dans la politique académique que même les collègues qui pouvaient être les plus réticents en disant bon bah oui…, aujourd’hui ils se disent, non là les réseaux je ne peux plus passer à côté, on en parle partout, il n’y a pas une réunion où ce n’est pas évoqué donc voilà ». Si l’engagement du recteur en faveur de la voie professionnelle reste inchangé et continue à être force d’entraînement, il est dans le même temps tempéré par les spécificités de l’académie.

Etendue sur cinq départements, l’académie compte un nombre d’établissements élevé : « 104 EPLE, 4 EREA (Établissements régionaux d’enseignement adapté), 54 établissements privés sous contrat, 42 CFA, 7 GRETA »17. Si le modèle de Rouen avait été conservé, il aurait fallu installer un bien plus grand nombre de réseaux. Selon un responsable : « à Rouen, ils n’ont pas une multitude de réseaux parce que le territoire étant petit… ici on ne peut pas faire ça… ». Par ailleurs, l’académie regroupe des territoires hétérogènes, des « métropoles régionales », des « territoires suburbains », des

« territoires à flux migratoires positifs », des « territoires ruraux excentrés », avec des problématiques démographiques, éducatives, sociales et économiques très différenciées. Ces éléments conduisent à une mise en réseau non pas systématique, mais expérimentale dans un premier temps, sur un nombre limité de « secteurs porteurs ».

Du fait du poids de l’enseignement supérieur et de la recherche, la place de l’enseignement professionnel est moins centrale qu’à Rouen. Selon un responsable, cela joue aussi sur la politique académique des réseaux : « le concept de réseau est très lié à l'académie de Rouen, avec ses spécificités, faibles taux de réussite scolaires, grosse part de lycées professionnels […] L’académie de Grenoble, c’est plus du tout la même chose, c’est la recherche, le supérieur. Si vous arrivez en tant que recteur et que vous dites à tout le monde que vous allez vous intéresser plus à la voie professionnelle qu’à... Donc il a fallu y aller avec peut-être plus de prudence. » La possibilité même d’afficher une priorité politique sur la voie professionnelle semble donc liée au contexte académique.

17 Note interne, 2016, académie de Grenoble.

Transposer les réseaux, espaces de concertation sur la carte des formations et de dialogue avec la Région, nécessite de les situer à l’échelle de la région académique. Une entente est recherchée entre les rectorats de la région académique, et les réseaux font leur entrée dans les documents stratégiques au niveau régional et dans les réunions inter-académiques : « on retrouve les réseaux, la stratégie des réseaux et des Campus intégrés dans le document stratégique de la région académique.

(…) On l’a aussi partagé lors d’un séminaire inter-académique (…) avec les inspecteurs d’académies et directeurs académiques, en responsabilité des départements de notre région académique ». Sur les huit réseaux installés en 2016, trois sont sur un périmètre régional. Le pilotage opérationnel et la coordination d’ensemble restent localisés au sein de la DAFPIC à Grenoble.

Un intérêt certain mais un engagement limité de la Région

La Région adhère de manière limitée au processus de mise en réseau, comme le résument ces propos : « on retrouve le même positionnement de la Région, que par rapport aux Campus des métiers et des qualifications, c’est-à-dire une région qui ne bloque pas, qui trouve un intérêt, mais qui, pour autant, ne se place pas à la manœuvre. » Cette adhésion limitée est en partie mise au compte d’une organisation politique et administrative trop cloisonnée pour favoriser un dialogue Etat-Région sur les réseaux et les Campus18 : « c’est l’organisation même de la Région qui fait que ce sujet concerne plusieurs directions, on pourrait partir de l’économie, de la formation professionnelle et de l’apprentissage, de la direction des lycées mais aussi de l’enseignement supérieur. Les Campus, aujourd’hui je pense que tous les services y trouvent un intérêt, par contre, la réponse opérationnelle elle est difficile aujourd’hui à identifier par l’organisation même de la Région ». Une certaine prudence financière de la Région est également signalée, vis-à-vis d’éventuels besoins de financements de dispositifs favorisant la mobilité d’élèves.

Les démarches engagées auprès de la Région n’aboutissent donc pas à faire des réseaux une étape dans le processus de décision sur la carte de formation. La méthodologie retenue par l’Etat et la Région est explicitée dans une lettre de cadrage sur l’évolution de la formation professionnelle19. Elle repose de manière classique sur « un diagnostic commun établi à partir des travaux prospectifs de France-Stratégie et des branches professionnelle ». Les réseaux sont introduits dans cette lettre de cadrage dans un paragraphe qui « incite à la construction d’une offre en réseau en impliquant dans les projets les partenaires économiques, les CFA, les lycées et autres organismes de formation à l’instar des Campus des métiers et des qualifications ». Mais à la différence de Rouen, il n’est pas attendu d’eux des avis sur les projets d’ouverture de formation des établissements.

L’entrée par la pédagogie, ajustement ou concession vis-à-vis du modèle initial ?

Contrairement à l’académie de Rouen dans laquelle l’objectif initial des réseaux était le travail sur la carte pour ensuite s’élargir à la pédagogie, dans l’académie de Grenoble, la pédagogie passe au premier plan, avec en perspective, la carte des formations.

Un regard extérieur pourrait voir là une concession vis-à-vis du modèle original, mais les interviewés en parlent essentiellement comme d’un ajustement du modèle, s’appuyant sur les retours d’expérience normande et sur la connaissance du fonctionnement de l’académie de Grenoble.

Demander à des établissements potentiellement concurrents de commencer à se fédérer sur la carte peut être contre-productif selon ce responsable : « ils avaient vraiment placé comme objectif premier l’évolution de la carte des formations, donc tout de suite un sujet sensible où les acteurs se sentent très rapidement en concurrence (…). Ne pas commencer par ces sujets-là. Ça ne correspondait pas à notre académie, où il n’y a pas suffisamment une approche complémentaire aujourd’hui entre les

18 Nous avons eu nous-mêmes des difficultés à repérer les interlocuteurs au conseil régional pour mener notre enquête. Un seul entretien a été réalisé avec un responsable de service très peu informé.

19 Extrait de la lettre de cadrage sur l’évolution de la formation professionnelle initiale et sanitaire et sociale en Auvergne Rhône-Alpes du 12 mai 2018.

établissements pour démarrer tout de suite sur cet axe-là. Sachant qu’effectivement, c’est l’objectif essentiel au final de ces réseaux, mais il faut passer par d’autres étapes pour y arriver. »

Dans les propos recueillis, cet ajustement repose également sur la conviction « qu’il faut aller très vite vers les profs » pour décloisonner. Faire travailler ensemble des enseignants de lycées publics et privés, des formateurs de CFA sur des actions pédagogiques concrètes, semble être un bon moyen d’effacer les sentiments d’appartenance, de limiter la concurrence et de faire émerger une identité de réseau, comme argumente ce responsable : « quand les formateurs [de CFA] et les profs [de lycées] travaillent ensemble, il n’y a plus vraiment ces soucis de concurrence parce que les gens se connaissent, ils se reconnaissent dans la filière de formation professionnelle à travers l’identité professionnelle qu’ils portent : " je suis un prof de maintenance, toi aussi, on connait les mêmes systèmes ". Souvent ils ont des parcours en entreprise " on a travaillé dans cette entreprise chez un tel, on a fait les mêmes parcours de formation " donc il y a une reconnaissance d’identité professionnelle qui dépasse du coup la direction du CFA et du chef d’établissement qui se méconnaissent souvent. » De même, faire collaborer des enseignants de Bac pro et de BTS est une bonne piste pour améliorer la transition vers l’enseignement supérieur, par l’appropriation des référentiels respectifs et l’évolution des pratiques pédagogiques : « La volonté que l’on a affichée aussi, c’est que les enseignants travaillent ensemble pour justement construire des parcours. Alors ça existait déjà dans l’académie mais on le refait vivre au sein de ces réseaux (…). On va repérer ce qui différencie un référentiel d’un BTS d’un Bac Pro, comment je fais pour accompagner ? Comment je fais pour donner envie ? Qu’est-ce que je peux organiser comme visite, comme stage ? Ça nous parait être des actions qui ont tout de suite des conséquences dans la classe, et on arrive tout de suite aux élèves. »

Dès l’installation des réseaux, le choix est fait d’associer des enseignants volontaires aux réunions avec des professionnels, afin qu’ils deviennent forces de propositions. Comme le rapporte ce responsable, « nous on a vraiment souhaité remettre la pédagogie au cœur des réseaux à Grenoble, pour faire en sorte que ce soit plus une affaire des enseignants et donc une action directe sur les élèves qu’une affaire de chefs d’établissement, même si ça passe par les chefs d’établissements, mais que très rapidement on retombe sur des questions d’ordre pédagogique » ou encore, « ça s’est traduit pas une remontée des besoins des enseignants (…). Dans ce secteur-là, c’est la question de l’attractivité, comment rendre attractif ? Dans l’autre, c’est la question des compétences attendues qui ne correspondent pas tout à fait au diplôme de sortie des jeunes, donc il faut voir comment on peut compléter la formation. Mais surtout pour tout ça, il faut faire monter en compétence les enseignants et qu’ils partagent le diagnostic. Et ensuite pour trouver les actions pour remédier à ces situations, qu’on aille chercher à l’extérieur, par des professionnels ou autres, des temps de formation, d’échange […] Et surtout nous, notre enjeu fort c’est que les enseignants (…) se projettent sur les métiers de demain. »

Un volant d’heures supplémentaires est donc attribué aux réseaux pour rémunérer les enseignants volontaires : « un volant d’heures sup, à la disposition du réseau auprès des enseignants qui peuvent aider dans ces missions, notamment pour coordonner des actions (…), c’est important pour l’académie. C’est trois équivalents temps plein. On a donné 72 heures à chaque réseau, c’est la base minimale. Et après, on fait remonter des projets, c’est-à-dire qu’on n’a pas d’appel à projets, s’il y a des projets qui leur semblent dépasser ce volant, on regarde en comité de pilotage, et puis on ajoute des heures complémentaires. »

Prescrire ou co-construire les réseaux, ambiguïté du pilotage académique

Afin d’installer les réseaux, un responsable académique a été missionné au sein de la DAFPIC, connaissant bien le système et tous les acteurs, les lycées mais aussi les CFA et les Greta. Un groupe de pilotage académique des réseaux a également été constitué, composé de quelques cadres académiques, d’inspecteurs et de proviseurs. Il a travaillé sur la cartographie, identifié les secteurs porteurs, définit les périmètres, désigné les lycées « tête de réseau » et les animateurs, repéré des

chefs d’établissements « reconnus comme légitimes par leurs pairs », le plus souvent dans des lycées des métiers.

Une telle mise en réseau, pensée « d’en-haut », est apparue paradoxale avec le fonctionnement attendu en mode projet, ce que ne manquent pas de souligner certains interviewés : « pourquoi on ne lance pas un appel à projet ? Et puis les établissements répondent en disant " voilà moi j’ai tel projet, avec tel établissement et on y va comme ça ". Et en fait, on a craint que ça ne rentre pas suffisamment dans le cadrage académique et on s’est dit que pour la phase d’expérimentation, il fallait d’abord poser un cadrage académique assez clair et essayer ».

Le pilotage académique des réseaux a donc mis l’accent sur l’appropriation des objectifs des réseaux par les acteurs. Il a fallu « installer les réseaux, faire qu’ils se connaissent, faire qu’ils deviennent

« réseau », faire qu’ils partagent de l’information, avant de leur demander de faire des choses plus compliquées. » Le choix des secteurs dits « porteurs », avec une problématique mobilisatrice pour les acteurs, y contribue : « on a choisi aussi de ne pas aller sur tous les secteurs professionnels, ça aussi ça nous paraissait important, d’aller sur des secteurs professionnels qui étaient porteurs, parce qu’il y avait déjà des problématiques posées, pour qu’on puisse mettre en place ces réseaux, en ayant déjà un premier diagnostic, en tout cas institutionnel sur le secteur, et donc faire partager ce diagnostic, l’enrichir avec les acteurs du réseau et pour après apporter des propositions ». Des problématiques très variées émergent : attractivité des formations dans la maintenance industrielle, développement du territoire rural d’Ardèche méridionale avec le réseau agri-culinaire et tourisme, limitation de la concurrence public-privé dans le réseau santé-social de l’agglomération grenobloise, réponse aux futurs besoins de recrutements en commerce, gestion et administration dans le Nord-Isère avec l’installation d’un « village des marques », réponse aux besoins croissants de diplômés dans les métiers de la sécurité…

Le nombre d’établissements par réseau est limité pour favoriser un fonctionnement collaboratif, avec une contrainte, le réseau doit couvrir un continuum de formations du CAP au BTS afin de proposer des parcours ascendants complets. Pour certains réseaux, la réponse est à l’échelle du bassin, pour d’autres à l’échelle de l’académie : « comme l’objectif c’est vraiment de construire un parcours d’élève du niveau V au niveau III, il était nécessaire qu’il y ait au moins un établissement qui offre du niveau III, du BTS. Dans certains secteurs professionnels, du BTS on en retrouve sur tous les bassins, donc le périmètre bassin nous allait bien. (…) Et puis on voulait de l’apprentissage et les différents statuts. Quand on est sur des réseaux où il y a moins de flux d’élèves à former, le BTS on va le retrouver qu’une fois dans l’académie, dans un ou deux établissements, donc c’est ce qui a déterminé le périmètre. Donc on a recherché finalement quels étaient les élèves, les origines des élèves qui alimentaient chacun des BTS du secteur, et donc on est parti comme ça. »

Des réunions préparatoires, en amont du lancement officiel, sont organisées afin d’expliciter la démarche, d’écouter les attentes et de faire en sorte que la commande institutionnelle de mise en réseau intègre les questionnements des acteurs de terrain. Ce travail d’explicitation du sens du changement est jugé nécessaire pour prévenir d’éventuelles « objections » et installer « la confiance » : « ce qui a paru important avant de démarrer, c’est de réunir tous les acteurs, c’est vraiment de faire un travail avec chacun des acteurs, des représentants, que ce soit des branches professionnelles, des chefs d’établissements concernés par le portage de ces réseaux, de faire tout un travail d’explication (…), puis pour [entendre] ce qu’ils pouvaient nous amener comme questionnements, comme objections par rapport à ces réunions d’acteurs qui n’étaient pas traditionnelles : on n’a pas l’habitude de faire des rencontres entre public-privé-CFA, etc. »

3. Cinq ans après, mobilisation des acteurs et réalisations