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Cinq années d’existence et des résultats contrastés

3. Cinq ans après, mobilisation des acteurs et réalisations dans l’académie de Rouen31

3.4. Cinq années d’existence et des résultats contrastés

Globalement, les acteurs normands interviewés adhèrent aux enjeux portés par les réseaux. Rendre plus lisible l’offre de formation, développer la formation tout au long de la vie (FTLV), réfléchir à l’évolution des formations en lien avec le monde économique sont des objectifs partagés. Mener des réflexions avec des acteurs d’horizons divers, collaborer sur des actions pédagogiques comme sur l’évolution de la carte est considéré comme extrêmement pertinent : « assurer une lisibilité de l’offre de formation (…) valoriser la formation tout au long de la vie (…) c’est ça le sens du réseau des métiers, à mon avis. Le sens profond, c’est autour d’un intitulé, d’une activité professionnelle, on a tout un ensemble de qualifications (…) la formation continue elle est là pour s’adapter au besoin de l’entreprise et c’est pour ça que je trouvais intéressant qu’il y ait cette cohérence, formation initiale/organisme de formation, privé ou public on s’en fout, le système économique et les conseillers en formation continue » (partenaire interne), « voilà cette idée de mutualiser, de croiser les regards, d’alimenter la réflexion, de réfléchir à une carte des formations qui soit cohérente, de conventionner entre nous, enfin on parle bien de mutualisation etc., et de réfléchir collégialement à l’évolution de l’école dans sa globalité. Donc ça, c’est extrêmement intéressant et puis ce qui est pertinent aussi, me semble-t-il, dans ces réseaux, c’est le fait qu’il n’y a pas que des chefs d’établissements, il y a des inspecteurs, il y a aussi des personnalités aussi de l’enseignement supérieur, moi j’ai trouvé ça pertinent, il y avait aussi des personnes représentants les métiers, qui sont très parties prenantes donc de l’entreprise ou de la chambre de l’artisanat donc voilà, ça c’est fondamental aussi ce croisement de regards et d’avoir un lieu où on puisse réfléchir ensemble et on puisse s’entendre et mieux se connaitre aussi » (partenaire interne).

Une identité de réseau difficile à construire

Mais cette appropriation des enjeux est loin d’être étendue. Ils constatent en effet que de nombreux chefs d’établissement ont des difficultés à s’approprier une identité de réseau et demeurent ainsi centrés sur les intérêts de leur établissement : « vous avez des chefs d'établissements qui sont très personnels et qui ne veulent pas du tout partager avec les autres. Parce que " moi je ne suis pas concerné par le réseau (…) pourquoi on va partager... ? Moi j'ai l’image de mon établissement… ". On a quand même ça, il ne faut quand même pas l'ignorer. On est tous dans la même maison, on travaille tous pour la réussite de l'élève mais on ne travaille pas tous de la même façon. Donc les chefs d'établissement sont parfois difficiles à mobiliser » (animateur), « ce sentiment d'appartenance " c'est mon lycée il est plus important que l'autre ", déjà de pouvoir se rendre compte que non, on élargit un peu, qu'il faut accepter que l'intérêt collectif, il est plutôt d'étendre une carte des formations ailleurs, de monter une action visible. C'est pareil, on est aujourd'hui malheureusement un peu pris avec ça, surtout sur les secteurs concurrentiels où on a envie que l'événement imprévisible soit chez soi » (animateur).

Si dans un des réseaux enquêtés, des collaborations ont permis de réaliser des actions estampillées

« réseau », dans un autre, l’animateur ne peut que constater l’échec à faire travailler ensemble des chefs d’établissement : « on a mené des actions où il n'y a le nom d'aucun établissement (…) là l'action ce sont des acteurs du réseau » (animateur), «les chefs d’établissement ne sont pas plus à travailler ensemble parce qu’il y a le réseau, même sur la carte des formations, chacun arrive avec son dossier, ça n'a pas pris (…) On les force un petit peu à travailler ensemble. Aujourd'hui ce n'est pas flagrant, ils travaillent beaucoup plus en BEF [bassins d’éducation et de formation]. La dynamique BEF tourne bien, mais il n’y a pas de dynamique sur les réseaux, en tout cas pas sur mon réseau » (animateur).

Dans cette situation, l’animation devient alors un exercice compliqué : « On leur donne les thèmes des choses que l’on pourrait travailler avec eux. Alors, je ne vais pas vous cacher que de temps en temps, il y a de grands silences hein. Les gens n’ont pas forcément d’envies… » (animateur). Il est également souligné l’absence des chefs d’établissement de lycées technologiques, alors qu’ils font, eux aussi, partie du réseau : « dans mon réseau, on n'a pas encore réussi à mobiliser les chefs d'établissement qui ont juste des séries technologiques, qui sont concernés puisqu'ils sont dans le réseau, en fait ils ne sont absolument pas présents dans le réseau » (animateur). Une autre absence évoquée comme faisant fortement défaut au réseau est celle des acteurs de l’information et de l’orientation : « on n’a pas d'inspecteur information orientation, on n'a pas de représentant du service de l’information et de l'orientation depuis le début, je pense que c'est parce qu'ils ne trouvent pas leur place. Ils ont été invités, invités, invités… des personnes difficiles à mobiliser » (animateur).

Les réseaux étant très centrés sur les problématiques des EPLE et sur la formation initiale, les coopérations avec les organismes de formation continue, les CFA ou les entreprises sont peu importantes. Le réseau n’a par ailleurs pour l’instant pas permis de mixer davantage les publics : « ce n'est pas le réseau en tout cas qui permet le mixage des publics. Oui, sur l'évolution de la carte des formations parce que les établissements ont bien compris qu'il ne fallait pas ouvrir une formation sèche donc du coup ils disent le mixage des publics, mais en fait, en soi, il n'y a pas de travail pédagogique derrière, il n'y a pas de travail avec les entreprises. Et ce n'est pas les CFA académiques ou même les CFA privés qui ont fait rentrer des partenaires dans le réseau » (animateur).

Un début de décloisonnement

Malgré ces obstacles, les personnes interviewées soulignent que les réseaux permettent un début de décloisonnement, en créant des rencontres et des collaborations entre acteurs d’horizons divers :

« ça amorce le décloisonnement (…) c’est aussi intéressant de travailler avec un lycée privé, qu’avec un organisme privé de formation, et lancer la logique des partenariats » (partenaire interne), « ça me semble important d’y être parce que le off est très important, tous les liens que l’on tisse avec les uns et les autres » (partenaire externe). Ces collaborations, émanant de rencontres lors des réunions, apparaissent comme des « sources de satisfaction » (animateur), même si elles ne se font pas sous la bannière du réseau : « on profite, on se saisit d'opportunités » (animateur). Les réseaux permettent aussi à certains établissements de sortir de leur isolement : « forcément le fait de se regrouper, tout d’un coup on devient plus fort, on a une réelle existence » (partenaire externe).

Si l’ensemble des acteurs interviewés note le peu d’impact des réseaux sur le mixage des publics, ils relèvent néanmoins l’apport de la présence des Greta dans les réunions. Ces derniers permettent en effet d’informer les chefs d’établissement sur les possibilités d’accueillir de la formation continue :

« systématiquement un acteur du réseau des Greta est présent. C'est-à-dire qu'il y a au moins un CFC [conseiller en formation continue] et il y a vraiment un CFC de terrain qui est là et qui ouvre ses oreilles. Et sur la connaissance du potentiel notamment en termes de plateaux techniques ou de compétences métier qui sont autour de la table ça peut des fois facilement leur permettre de répondre à des besoins ou de se dire je pensais que ce n'était pas possible mais en fait si c'est possible. Ils sont présents, ils sont à l'écoute. C'est vraiment une veille qui peut être utile je pense. Là

c'est un peu une capitalisation. Mais des effets directs [sur le mixage des publics] vraiment liés au réseau non. Après, il y a le travail qu'ils ont l'habitude de faire qu’ils mènent avec ou sans réseau » (animateur), « j’ai vu certains chefs d’établissement qui étaient assez étonnés de savoir qu’on pouvait mettre un salarié, un adulte, dans une formation dès lors qu’on avait un financement ! On a facilité ça ! Il y a 14/15 places dans une section, il n’y a que 13 élèves, on peut s’arranger pour en mettre deux autres avec des financements particuliers » (partenaire interne).

Une meilleure visibilité de l’offre de formation

Un autre apport majeur des réseaux mis en avant est le recensement de l’ensemble de l’offre de formations associée à une spécialité et la communication de cette offre afin de la rendre plus visible pour les élèves et les familles. Cette meilleure connaissance bénéficie également aux chefs d’établissements et équipes pédagogiques qui peuvent mieux informer et orienter leurs élèves. Les établissements vont ainsi plus facilement accueillir des élèves du réseau pour des mini-stage qui leur permettent de découvrir une formation : « je pense qu’on a une meilleure connaissance, si on doit parler d’orientation, parce qu’on est dans les réseaux et on s’est dit… tiens je ne savais pas que tu avais cette formation et là y a une meilleure connaissance puisqu’on va se déplacer, aller voir et en parler. Et mettre finalement du continuum là où on n’avait pas forcément une vision de ce qu’on pouvait faire après. C’est plutôt une plus-value (…) Certains ont développé des fiches où il y a toutes les formations possibles à partir de telle formation (…), on voit très bien où ça peut se faire quoi. D’où les portes ouvertes, les dates sont connues de tous. Ou le fait qu’on puisse dire je vais t’envoyer deux trois élèves, on est vraiment en réseau de ce point de vue-là hein. Je reçois beaucoup plus d’élèves dans les BTS en termes de visites pour concrétiser des choix » (animateur).

Mais si le réseau offre une meilleure visibilité des formations, la réalisation de parcours au sein d’un réseau demeure pour l’instant marginale : « je prends un exemple caricatural mais je commence un CAP à [Ville X], je fais un bac pro à [Ville Y] et un BTS à [Ville Z], ce parcours-là on le flèche un peu, on réserve des places à l'internat, on montre aux familles que c'est possible [– Interviewer : Ça veut dire que vos élèves ont des parcours comme ça ?] - Nous on en a quelques-uns, c'est un peu à la marge » (animateur). L’absence de mobilité des élèves demeure un frein : « ils ne sont pas très mobiles nos jeunes » (animateur).

Des conditions encore à remplir pour que vivent les réseaux

Pour les personnes interviewées, les apports des réseaux demeurent donc assez limités. Elles soulignent que de nouvelles conditions doivent être remplies pour que ces réseaux perdurent et deviennent plus efficients.

Développer l’aspect pédagogique et impliquer les enseignants

La nécessité que les réseaux deviennent de vrais réseaux pédagogiques est ainsi mise en avant. Ils doivent permettre de faire émerger des projets collaboratifs et ne pas se résumer à une liste de partenaires : « l'entrée ne doit plus être " j'ai des entreprises, j'ai des filières, j'ai des cartes de formation ", elle doit vraiment maintenant redevenir pédagogique cette dynamique réseau qui honnêtement ne l'est pas beaucoup depuis la création » (animateur).

L’implication des enseignants est par ailleurs énoncée comme une condition pour que les réseaux trouvent davantage de sens et perdurent. En effet, ils reposent aujourd’hui essentiellement sur l’implication de cadres chefs d’établissement et inspecteurs. Si les enseignants sont destinataires d’actions du réseau, ils ne sont pas sollicités pour être force de proposition : « le réseau, c'est une réflexion des personnels d'encadrement, le pilotage est quand même au niveau des personnels d'encadrement » (animateur), « déjà les enseignants, c'est ce qui manque, ce n'est pas réussi non plus, j'en suis conscient. Mais si on veut que le réseau évolue positivement et qu'il arrête de faire trois réunions par an de gens qui sont passionnés, qui se connaissent bien et qui passent un moment

agréable, parce qu'au bout d'un moment les gens vont se lasser, il faut qu'on passe à la case enseignants je crois. Pour moi c'est presque incontournable sur la réussite de ce projet réseau (…) et vraiment pour moi si rien ne bouge, si on n'arrive pas à faire descendre cette culture, cette volonté réseau en salle des professeurs, ou ça va s'éteindre doucement, ou alors ça restera qu'un affichage » (animateur).

S’ouvrir davantage sur le territoire et le monde économique

Le peu de présence des acteurs économiques et du territoire est également un problème majeur soulevé. Si cette question n’est pas résolue, le risque est que les réseaux se referment sur un fonctionnement entre établissements de formation : « le gros problème je crois, il ne faut pas que les réseaux s’isolent de l’économique, du politique, et de la nécessité sociale je dirais, le besoin des individus, le risque est là (…) Je crois que ce serait positif d’associer aux animateurs quelqu’un du territoire, soit un politique soit du territoire académique, mais qui impulse une interrogation autre que la formation pour la formation» (partenaire interne).

Avoir un accompagnement plus fort de l’autorité académique

Mais pour que tout ceci soit possible, les animateurs rencontrés soulignent la nécessité d’avoir un accompagnement fort de l’autorité académique : « moi je crois que la dynamique et la volonté du recteur est essentielle. Oui le réseau peut vivre tout seul mais il a besoin au moins de sentir et au mieux d’être accompagné par l'autorité académique » (animateur). Les « têtes de réseaux » rencontrées ont ainsi le sentiment que cet accompagnement a aujourd’hui besoin d’être renforcé :

« on a eu quand même quelques grandes étapes successives mises en place (…), la période très floue quand à Rouen, recteur pas recteur, j'y vais j'y vais pas, on a quand même eu, nous, un petit « allez-y doucement », la décision a été prise d'étendre [à la Basse Normandie] mais ça ne s'est pas fait non plus de manière très fluide (…). Je pense que l'impulsion et la dynamique du recteur est essentielle.

Parce que si nous nous sentons, chefs d'établissement, qu’il y a une vraie impulsion, une vraie commande, une vraie dynamique du recteur, on est quand même sous l'autorité hiérarchique et puis c'est une culture, une tradition, donc ça, à mon avis, facilitera cette dynamique de réseau pour qu’elle diffuse dans les établissements scolaires jusque dans la salle des professeurs » (animateur).

4. Un an après, mobilisation des acteurs et premières