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Chapitre 1 : Contexte et notions

3. L’ischémie-reperfusion et ses conséquences

3.1. Transplantation, ischémie-reperfusion

La transplantation d’organes est l’acte chirurgical consistant à apporter à un organisme receveur un organe entier provenant d’un organisme donneur, afin de remplacer l’organe ayant perdu sa fonction physiologique. Selon les dossiers d’informations de l’INSERM8, la transplantation d’organe est la seule solution thérapeutique pour la plupart des pathologies conduisant à une perte irréversible de la fonction d’organes vitaux comme le rein, le cœur, le foie ou les poumons. En ce qui concerne le rein, la transplantation offre la meilleure issue thérapeutique. La seule alternative pour le patient étant la dialyse, beaucoup plus contraignante et coûteuse (un patient dialysé coûte quatre fois plus cher qu’un patient greffé ; source : site de l’Agence de la Biomédecine). Lors du prélèvement et de la conservation de l’organe, celui-ci subit une phase d’ischémie, c’est-à-dire la

diminution ou l’arrêt de la circulation sanguine, il se trouve alors en état de privation en nutriments et en oxygène. Au moment de son implantation, il subit une phase de reperfusion, c’est-à-dire la reprise de la circulation sanguine et de l’apport en oxygène et nutriments au tissu et à l’organe.

L’oxygène est nécessaire pour la production d’énergie (phosphorylation oxydative, OxPhos) sous forme d’ATP qui va servir à maintenir le fonctionnement cellulaire et tissulaire. Ce fonctionnement préserve l’homéostasie hydroélectrique en réabsorbant l’eau ultra-filtrée et les solutés essentiels, en particulier 99.5% du NaCl et de l’eau sont réabsorbés le long des segments successifs du tubule du néphron. Cette réabsorption, principalement pilotée par la pompe à sodium potassium, se produit avec une consommation importante en oxygène (Gullans & Mandel 1982; Gullans & Mandel 1992)

En effet la consommation rénale en oxygène est de 20 à 30 fois supérieure à celle de la peau ou des muscles, et 1,8 fois supérieure à la consommation cérébrale (Brezis et al. 1984). De plus, des contacts artério-veineux vastes et étroits existent le long de l’arbre vasculaire rénal et permettent la diffusion de l’oxygène via ce shunt artério-veineux (Gardiner et al. 2011b; O’Connor 2006). Cet effet réduit et stabilise l’oxygène disponible dans le parenchyme. Associé à la consommation importante du rein en oxygène (O2), cela induit une PO2 rénale variant entre 15 et 50 mmHg au sein du cortex rénal et entre 5 et 25 mmHg au sein de la zone médullaire (Evans et al. 2008). Cette PO2 rénale (dont les valeurs sont similaires à celles d’autres organes) associée au coût métabolique élevé de la réabsorption, rend le rein particulièrement sensible aux problèmes d’oxygénation et / ou de perfusion, donc à la phase d’ischémie (Evans et al. 2008; Shanley et al. 1986; Brezis et al. 1985). Par exemple, la défaillance de l’organe induite par l’ischémie est bien plus fréquente pour le rein que pour le cœur ou le cerveau (Palm & Nordquist 2011).

D’une façon générale, le rein peut supporter des périodes d’ischémie / hypoxie allant d’une dizaine de minutes à quelques heures ; cette durée dépend des conditions : ischémie ou hypoxie, totale ou non. Toutefois, une telle fenêtre de tolérance reste de 5 à 50 fois plus courte que celle d’autres organes (Rossard et al. 2013; Leach & Treacher 1998). Ces propriétés proviennent de spécificités anatomiques régionales et

fonctionnelles liées à l’importante quantité en oxygène nécessaire (Kaissling & Dørup 1995; Evans et al. 2011).

La phase d’ischémie, caractérisée par la diminution ou l’arrêt des apports sanguins en oxygène et nutriments, va induire l’altération des fonctions cellulaires (cf. figure 4, page 40). Elle va notamment provoquer une dysfonction de la mitochondrie, aboutissant à :

- un épuisement rapide (environ 40 minutes) des réserves énergétiques (Stromski et al. 1986; Dagher 2000; Chatauret et al. 2014; Kosieradzki & Rowiński 2008; Weinberg 1991; Kalogeris et al. 2012; Chatterjee 2007),

- une diminution – voire l’arrêt – de l’activité de la pompe Na+ / K+ ATPase. Cela va provoquer un œdème cellulaire et tissulaire, associé à la perte de polarité de la cellule et la compression du lit vasculaire (Kosieradzki & Rowiński 2008; Weinberg 1991; Chatterjee 2007),

- une acidose due à la bascule de la cellule vers un métabolisme anaérobie (Chatauret et al. 2014; Kosieradzki & Rowiński 2008; Kalogeris et al. 2012), - une surproduction d’espèces oxygénées réactives (Chatauret et al. 2014;

Kosieradzki & Rowiński 2008),

- une surcharge de calcium libre intracellulaire due à la perte d’intégrité mitochondriale et cellulaire (Chatauret et al. 2014; Kosieradzki & Rowiński 2008; Kalogeris et al. 2012).

Tous ces phénomènes vont induire des lésions cellulaires aggravées par la reperfusion.

Lors de la période d’ischémie, la voie HIF (Hypoxia Induced Facteur) peut s’activer en réponse à l'hypoxie. Dans un milieu correctement oxygéné des Proxyl Hydroxylases (PHD) vont hydroxyler les sous-unités HIFα alors reconnues et marquées. HIF est alors détruit par des enzymes spécifiques. Lorsque les cellules subissent un stress hypoxique, l'activité des PHD diminue et les protéines HIFα induisent la transcription de gènes provoquant une adaptation à l'hypoxie. Les gènes activés vont induire plusieurs effets : sécrétion de VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), d'EPO (Erythropoïétine), régulation du métabolisme (diminution du taux de respiration basale et augmentation des voies glycolytiques) (Taylor 2008; Majmundar et al. 2010).

Nous avons fait le choix de ne pas intégrer dans nos modèles les voies HIF pour les raisons suivantes :

- la réponse à HIF nécessite des temps d'hypoxie relativement longs : les travaux sur HIF auxquels nous nous sommes intéressé présentent des durées d'hypoxie de 6 à 24 heures (Conde et al. 2012; Papandreou et al. 2006; Bernhardt et al. 2006; Weidemann et al. 2008). Les durées d'hypoxie que nous ciblons, notamment celles des expérimentations de notre laboratoire, sont relativement courtes, de 30 minutes à 1 heure,

- la réponse à HIF prend énormément de sens lors de périodes de préconditionnement (Bernhardt et al. 2006; Biju et al. 2005; Weidemann et al. 2008). Le préconditionnement n'est pas, pour l'instant, un phénomène que nous prévoyons de simuler.

Figure 4 : Conséquences de l’ischémie sur un greffon rénal (NFP : Non Fonction Primaire, RRF : Reprise Retardée de Fonction), (source iconographique : S. Giraud, IRTOMIT).

Les processus lésionnels initiés dans l’ischémie sont amplifiés lors de la reperfusion qui induit production d’espèces oxygénées réactives, perte d’intégrité cellulaire et

inflammation (figure 5). Plus précisément, la réintroduction d’oxygène entraîne une surproduction d’espèces oxygénées réactives à travers différents mécanismes : fuite d’électrons de la chaîne respiratoire de la mitochondrie, activité de la NADPH oxydase ou activité de la xanthine oxydase. Cette production d’espèces réactives entraîne des lésions cellulaires aboutissant à l’apoptose, la nécrose et l’inflammation. Le rétablissement du flux sanguin au niveau des vaisseaux induit l’activation de l’endothélium vasculaire, engendrant un accroissement du recrutement des cellules inflammatoires au niveau des sites lésionnels (Nath & Norby 2000; Aragno et al. 2003; Chatauret et al. 2014; Kalogeris et al. 2012; Jassem & Heaton 2004; Snoeijs et al. 2010).

Figure 5 : Conséquences de la reperfusion sur un greffon rénal (Perico et al. 2004).

Les lésions du tissu résultant de l’ischémie-reperfusion (ou de l’hypoxie réoxygénation expérimentale) sont délétères, causent une « inflammation stérile » (donc indépendante de l’immunité adaptative) (Eltzschig & Eckle 2011), provoquent fréquemment une reprise retardée de fonction du greffon, la dysfonction de l’organe, et peuvent aller jusqu’au retour du patient en dialyse (Rossard et al. 2013; Bunegin et al. 2013; López-Novoa et al. 2011).

Bien qu’il n’y ait pas de mesure thérapeutique satisfaisante (Cavaillé-Coll et al. 2013; Bon et al. 2012), de nombreuses études cliniques et précliniques, suggèrent que réduire l’hypoxie rénale (en améliorant l’oxygénation et / ou la perfusion) et la durée d’ischémie est un moyen efficace pour augmenter le taux de réussite des transplantations rénales. Différentes thérapies sont proposées pour réduire cette hypoxie : inhibition du système rénine-angiotensine, inhibition de la coagulation ou utilisation de transporteurs d’oxygène (Thuillier et al. 2013; Chatauret et al. 2011; Mimura & Nangaku 2010; Nangaku & Fujita 2008; Haase 2013). L’un des objectifs à terme de notre travail est de simuler ces différentes thérapies.

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