• Aucun résultat trouvé

La transmission sociale du choix d’oviposition peut-elle devenir culturelle ?

CHAPITRE II : Influence d’une variabilité génétique intra spécifique au

Expérience 3 : Communication chimique et transmission sociale

II. La transmission sociale du choix d’oviposition peut-elle devenir culturelle ?

La mise en évidence d’une transmission sociale d’un choix d’oviposition chez la drosophile peut amener à s’interroger sur la possibilité qu’elle puisse être assimilée à une transmission culturelle débouchant sur la mise en place d’une tradition d’un choix de site de ponte dans une population. Pour y répondre la transmission sociale d’un choix de site de ponte mise en évidence au cours de cette thèse est analysée selon les 4 critères proposés par Danchin et al. (2011) définissant une transmission culturelle.

(1) Le comportement doit être appris par apprentissage social. Le premier point est clairement démontré, la transmission de l’information de choix de site de ponte s’effectuant par interaction directe entre les démonstratrices et observatrices.

(2) Le comportement doit être généralisé c'est-à-dire valable pour différentes situations. L’apprentissage social d’un choix d’oviposition des observatrices est basé sur une interaction directe avec les démonstratrices. Les observatrices montrent une généralisation du comportement de préférence vis-à-vis de l’odeur présente sur les démonstratrices avec le comportement de préférence pour pondre sur un milieu associé à cette odeur. En d’autres termes, elles généralisent l’odeur rencontrée au cours des interactions sociales avec le fait qu’elle indique un milieu adéquat pour la ponte. L’étude de ce critère de généralisation, pourrait être poursuivie en testant les observatrices à la suite de leurs interactions sociales avec les démonstratrices pour d’autres comportements comme le choix du partenaire sexuel, dont on sait qu’il peut être appris socialement (Mery et al. 2009). Le choix des observatrices pourrait être regardé entre des mâles présents sur chacun des deux milieux de ponte ou ayant été conditionnés comme les démonstratrices à exploiter un milieu odorant spécifique. (3) Le comportement doit être gardé assez longtemps pour être appris par d’autres. La durée

d’utilisation de l’information sociale du choix du site de ponte chez les drosophiles semble dépendre de la possibilité d’extraire par la suite de nouvelles informations présentes dans l’environnement. Dans nos conditions, des observatrices testées pour leur choix de site de ponte deux fois de suite après avoir acquis l’information sociale ne montrent plus l’utilisation de cette information lors du second test effectué 4 heures après la phase de transmission

139

(Chapitre I, Partie 1 page 49). L’exploitation pendant ces tests des milieux de ponte odorants, qui sont en fait tous de bonne qualité pour le développement des larves, permet aux observatrices d’acquérir une nouvelle information personnelle qui élimine l’utilisation de l’information sociale acquise par le passé. L’arrêt de l’utilisation de l’information sociale n’est pas dû à une extinction de la mémoire des femelles mais bel est bien de la possibilité d’acquérir une nouvelle information. Des observatrices testées pour la première fois 4 heures après la fin de la phase de transmission utilisent leur information sociale, ce qui montre bien que cette information est gardée en mémoire (Chapitre I, Partie 1 page 49). La durée d’utilisation de l’information sociale est notamment déterminée par la transmission des informations à d’autres individus. Dans nos conditions, les interactions avec des observatrices font perdre l’information aux démonstratrices. Le maintien du comportement au sein d’un groupe semble assez court, probablement à cause du renouvellement constant des informations acquises. Ce renouvellement s’effectue à la fois par le biais des interactions avec des congénères mais aussi avec celui de l’environnement abiotique.

Dans ce critère, la notion de durée du maintien de l’utilisation de l’information sociale traduit en fait la nécessité d’une diffusion de l’information. Or le succès de la transmission sociale d’une information dépend aussi de la vitesse de la diffusion de cette information au sein d’un groupe. Nos travaux montrent que le comportement de choix d’oviposition peut être transmis socialement à l’ensemble des membres du groupe en 4 heures lorsque les démonstratrices sont en majorité. Cette transmission sociale est assez rapide et ne semble pas dépendre de la taille du groupe. En gardant le même ratio entre démonstratrices et observatrices, l’ensemble des individus présentent le même comportement de site de ponte au sein d’un groupe de 12 ou 24 femelles au bout de 4 heures (Chapitre I, Partie 2 page 91). La composition du groupe est par ailleurs déterminante sur la vitesse de transmission : la présence d’individus informés au sein du groupe accentue la fréquence des interactions des individus naïfs et peut permettre une acquisition plus rapide de l’information sociale (Chapitre II, Partie 1 page 57).

(4) Le comportement doit être transmis entre générations. Le cycle de vie de la drosophile étant de 2 semaines à 21°C, la transmission sociale du choix d’oviposition des femelles à leur descendance est difficilement réalisable de façon directe. Néanmoins les générations, ou plus probablement les cohortes d’individus, peuvent se chevaucher au sein d’une population de drosophiles (Markow et O’Grady 2008) et la transmission sociale peut être établie entre femelles d’âges différents. Les observatrices ayant acquis socialement un choix d’oviposition peuvent transmettre à leur tour cette information à des femelles naïves, et provoquer ainsi la possibilité d’une succession d’événements de transmission. La transmission

140

intergénérationnelle, qui ne concerne pas forcément une transmission verticale directe entre individus ayant des liens génétiques, mais plus entre cohortes d’individus d’âges différents, bien que non vérifiée ici, semble possible.

Ainsi, la transmission sociale d’un choix d’oviposition réalisée ici chez les drosophiles remplie partiellement les critères d’une possibilité de transmission culturelle. L’établissement d’une tradition dépend de ce type de transmission mais aussi de la stabilité au sein du groupe du comportement transmis. La stabilité du comportement de choix d’oviposition acquis socialement semble précaire au regard de l’impact de l’information personnelle, des échanges d’informations bidirectionnels entre femelles démonstratrices et observatrices et du faible taux de fidélité de la transmission entre démonstratrices et observatrices. La perte de l’information des démonstratrices au cours des interactions avec les femelles naïves implique ce besoin de renouvellement des individus démonstrateurs. Les observatrices ayant acquis socialement le choix de site de ponte peuvent devenir à leur tour démonstratrices mais perdent cette information au cours des interactions avec des femelles naïves. Le maintien de cette information semble donc nécessiter une dynamique constante renouvelée par l’arrivée et éventuellement le départ d’individus. Dans le contexte naturel, les drosophiles ne restent pas en groupe stable mais se réunissent en agrégats temporaires sur les patches de nourriture. Ainsi le perpétuel changement des membres du groupe peut favoriser la transmission sociale du comportement de site de ponte et sa stabilité. Le fait que les drosophiles combinent l’information sociale avec leur préférence innée (Chapitre I, Partie 2 page 100) suggère aussi que certaines informations sociales sont plus facilement transmises que d’autres. Comprendre l’origine de ces différences de transmission suivant les informations sociales est un critère à prendre en considération au même titre que ceux énoncés précédemment.

En conclusion, les 4 critères de Danchin et al. (2011) montrent des limites dans la définition d’une transmission culturelle débouchant sur la mise en place d’une tradition. Cependant, l’établissement d’une tradition de choix d’oviposition chez la drosophile suite à la transmission sociale semble difficilement envisageable, la prévalence du renouvellement des informations en étant partiellement responsable. Ceci pose la question de l’impact de ce mode de transmission dans l’écologie de l’espèce : qu’elle est l’influence d’une information sociale rapidement dégradée sur la fitness des individus ?

141

III. Apport de nos travaux à la problématique de la transmission sociale