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Chapitre 5 : Conclusion et discussion

5.2 Quelques constats et pistes de réflexion

5.2.4 Transmission et patrimoine

Un autre constat tiré de notre analyse concerne la présence plus effacée du patrimoine dans les discours. À l’exception de certaines disciplines davantage en lien avec la notion de « patrimoine artistique », de certains efforts de patrimonialisation du bâti, ainsi que quelques nouvelles traditions qui se pointent en lien avec le monde organisationnel, de façon générale, le patrimoine est la notion occultée dans les discours. Et ce, malgré un intérêt croissant aujourd’hui pour cette question. Peu présent à l’école également, on cherche d’ailleurs à le valoriser par de nouvelles initiatives pédagogiques innovantes (Larouche, Burgess et Beaudry 2016). Ainsi, même si l’on présente souvent les institutions, notamment les musées, comme les gardiens du patrimoine, cette notion se retrouve pourtant reléguée à l’arrière-plan dans les discours, où l’importance est accordée à la rencontre, l’ouverture, l’expérience. Seul le pôle artistique conserve un certain lien avec le patrimoine artistique classique, les connaissances, le répertoire, tout en réalisant que cette posture est un peu anachronique. En effet, il semble qu’on ne cherche pas tant à montrer des collections ou du répertoire, qu’à faire « du lien ». Plus que le patrimoine lui-même et ses objets, ce sont l’humain et les valeurs humaines qu’on met de l’avant dans le pôle humain. Paradoxalement, ce détachement des institutions du patrimoine, constitue un détachement de sa première expertise, l’expertise propre au champ des arts et de la culture, c’est-à-dire les objets culturels, les créations, les contenus disciplinaires.

Considérant que la mise en valeur du patrimoine fait partie d’un plus vaste chantier de la définition de l’identité et de la construction de la culture, il faut rappeler que la valorisation du patrimoine est toujours une opération délicate en contexte pluraliste, et fait souvent monter les passions, alors que d’un autre côté, les jeunes générations ont peu d’intérêt pour le passé. À titre d’exemple, l’analyse de Jocelyn Létourneau sur les modifications introduisant la notion d’éducation à la citoyenneté au cours d’histoire du secondaire qui ont causé beaucoup d’émois il y a quelques années est éclairante. Tournant autour de la citoyenneté et marqué d’un certain présentisme, ce nouveau programme sous-tendait la « nécessité de trouver des repères historiques communs à la société québécoise pour fédérer sa diversité constitutive, démographique surtout, autour d’un récit partagé de ce que fut son expérience dans le temps » (2008, 50). On peut faire le parallèle avec la difficulté de mettre de l’avant le patrimoine dans le contexte actuel où « le Québec vit, au chapitre de ses représentations symboliques, une période de transition et de passage, c’est-à- dire de tension et d’équivoque, entre ses anciens mythes fondateurs, qui ne sont pas disparus et

147 restent structurants de la mémoire et de l’identité collectives, et les nouveaux mythes, qui n’ont ni complètement surgi ni surtout encore trouvé leur légitimité dans l’espace public » (2008, 52). Ce qui explique peut-être cette tendance à prioriser les valeurs puisqu’une « expérience collective se définit d’abord par les valeurs qu’elle laisse s’épanouir en son sein, valeurs qui, à la longue, deviennent référentielles et constituent le fonds de sa culture, de son vivre ensemble » (2008, 50).

L’analyse de la transmission a permis également de remarquer que, de façon générale, la transmission verticale est perçue négativement : c’est la voie de la communication, du transfert plus horizontal, qui est privilégiée de la transmission. Toutefois, lorsque la transmission est entendue uniquement dans son aspect communicationnel, on évacue ce rapport au passé et au continuum temporel, et donc l’idée d’une permanence dans le temps. Cette polarisation horizontal/vertical mériterait peut-être d’être nuancée, puisque la transmission verticale continue d’être présente, notamment par la socialisation, ou encore par la transmission d’une passion pour les arts, puisque c’est un peu par imprégnation que l’on souhaite pouvoir agir sur la transmission elle-même au final. Cette première analyse nous amène à envisager une conceptualisation de la transmission comme étant « diagonale » plutôt que se situant dans la verticalité ou l’horizontalité. D’ailleurs, il est intéressant de noter que l’expérience, qui établit un nouveau mode de transmission par le sensible, proche d’une certaine imprégnation, sans être dans un rapport vertical, est donc encore plus révélateur de notre époque :

une période historique ne se reconnait pas tant au fait qu’elle choisit de transmettre ceci plutôt que cela – ce qui ferait de la transmission elle-même un fait a-historique-, mais que, indépendamment des contenus qui sont transmis, elle se reconnait bien plutôt par le fait de l’invention d’une forme inédite de transmission (Micoud 2000, 71).

Et même si l’expérience est liée à la communion dans l’ici maintenant, c’est par la notion de trace, que l’expérience conserve un lien au passé et une inscription dans le temps :

Entre trace laissée et parcourue et tradition transmise et reçue, une affinité profonde se révèle. En tant que laissé, la trace désigne, par la matérialité de sa marque, l’extériorité du passé, à savoir son inscription dans le temps de l’univers. La tradition met l’accent sur une autre sorte d’extériorité, celle de notre affection par un passé que nous n’avons pas fait. Mais il y a corrélation entre la signifiance de la trace parcourue et l’efficience de la tradition transmise. Ce sont deux médiations comparables entre le passé et le nous (Ricoeur 1985, 413).

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