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Chapitre 5 : Conclusion et discussion

5.1 Retour sur la démarche

D’entrée de jeu, il importe de mentionner que cette démarche réflexive a eu un impact considérable sur moi, non seulement parce qu’elle m’a permis d’apprendre au contact de différents savoirs théoriques, mais surtout parce qu’elle a engendré chez moi un processus de mise à distance d’un certain « prêt-à-penser », permettant ainsi une prise de conscience de certaines représentations qui sous-tendent les pratiques du milieu culturel en général. Ce travail s’est étiré sur une longue période de temps, ce mémoire arrive presque trois ans après la réalisation des entrevues, mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour mettre les choses en perspective, évoluer au fil de cette réflexion, étant donné l’aller-retour exigeant entre deux postures combinées (travail le jour, réflexion le soir!).

Bien qu’il n’ait pas été question ici de centrer spécifiquement cette démarche sur ma propre pratique professionnelle, il reste qu’elle s’ancre dans un matériau constitué en partie de mon expérience. Celle-ci a non seulement été questionnée, confrontée, remise en question, mais elle a également contribué à enrichir l’analyse et ce, dès la réflexion de départ mentionnée en avant- propos, ainsi que tout au long de la recherche et de la « série d’actes interprétatifs » (Lahire 1996) qui ont contribué à produire ces données. Cette expérience pratique a donc pu ajouter une certaine « acuité » à l’analyse, permettant en quelque sorte une compréhension de l’intérieur; de ce fait, elle en constitue la limite également. En effet, par ma posture professionnelle, les entretiens ont constitué en quelque sorte un « partage » entre collègues qui a pu faire émerger un système de représentations commun, « une communication sur le devoir-être-des-choses » (Blanchet et Gorman 2007, 15). Ces échanges très riches ont permis de faire ressortir un « habitus professionnel » (Perrenoud 2001) dans ses discours habituels, ses logiques et ses façons de penser, permettant ensuite de faire ressortir lors de l’analyse les différentes représentations en présence. La réflexivité a donc apporté une certaine richesse à cette analyse interprétative et compréhensive en faisant émerger la « connaissance commune » d’un contexte professionnel.

L’établissement de la typologie ne constitue qu’une première exploration de l’important corpus de discours recueillis, qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une analyse encore plus détaillée, notamment ce qui a trait à la contextualisation des résultats en fonction de l’échantillonnage et

l’illustration plus précise des diverses façons dont les représentations se traduisent dans l’action, à travers les programmes d’activités éducatives.

Grâce à la mise en relation des différents concepts, la typologie a tout de même mis en lumière comment ces différentes représentations semblent construites, alors que les intersections ont identifié certaines zones floues à creuser davantage. Par ailleurs, la constitution du cadre théorique, qui a constitué pour moi une partie importante et nécessaire du processus, a permis une exploration de différents concepts. Si les définitions sont multiples, elles ont favorisé pour moi par l’ouverture à la réflexion, un certain recul, afin de briser le réflexe mécanique de rester en territoire connu, dans des logiques habituelles, mais plutôt permettre d’ « ajouter un surplus, un rajout par rapport à ce qui se dit déjà dans le monde social » (Lahire 1996). De plus, elles ont contribué, il me semble, par leur nombre et leur détail, à sortir d’une polarisation habituelle entre démocratisation et démocratie, culture normative ou relative, argumentaire économique ou social. Toutefois, les concepts étaient nombreux, ce qui a inévitablement alourdi l’analyse et les entretiens, ajoutant un peu de confusion pour les professionnels interviewés. De la même façon, l’échantillon constitué a permis d’explorer un nombre important d’institutions, réunissant à la fois musées, théâtre, bibliothèques, et autres institutions, alors qu’elles sont souvent étudiées séparément. Quoique riche, l’analyse d’un si gros corpus a été exigeante, et n’a pas permis d’approfondir certaines notions, mais plutôt d’en tracer certaines les tendances.

Quant à la stratégie herméneutique et narrative, elle m’a semblé à prime abord moins concluante, en raison notamment de la difficulté de faire émerger des « mises en récits ». Cela résulte peut- être d’un guide mal conçu ou d’un manque d’expérience de ma part pour mener ce type d’entretien. Par ailleurs, cela est également symptomatique d’une tendance au présentisme, à la communication et à un discours pragmatique dont nous avons fait mention, et qui ne favorise pas la projection dans une « histoire », un passé. Ce qui ne veut pas dire que l’articulation au temps n’est pas présente mais, comme l’a démontré l’analyse de l’ « expérience » et de la trace, celle- ci se présente différemment. Pour approfondir cette nouvelle conscience temporelle, il m’aurait fallu toutefois développer des connaissances beaucoup plus poussées autour des thèses de Paul Ricoeur et de l’herméneutique de la conscience historique.

Il reste que même si des récits « complets » n’ont pas été repérés, l’analyse narrative des bribes d’histoires et structures narratives qui constituent tout de même un « programme narratif » tel qu’entendu par Ricoeur (1985, 465-466) a permis de faire émerger certaines identités narratives

139 et de cerner les trois pôles ainsi que leurs visions du monde, alors que l’analyse des discours a aidé à identifier certains éléments d’intérêt concernant le rapport au temps, notamment, le hors- temps de l’expérience, le passé-dans-le-présent de la trace, le temps humain « vivant », ainsi que l’opposition entre le temps court de l’étincelle et le temps long de la médiation. Il est vrai qu’à l’exception des textes historiques ou littéraires linéaires, les entretiens présentent rarement des récits structurés. Toutefois, il me semble a posteriori qu’une analyse de l’énonciation aurait également été très riche pour analyser « l’être-au monde » déployé par les professionnels et les institutions, notamment dans une dialectique entre le « je » et le(s) « nous », tout en restant liée à l’approche de Ricoeur. Par ailleurs, la notion de métaphore s’est révélée aussi porteuse que les mises en récits eux-mêmes, notamment avec les images de l’étincelle et du « vivant ». Il reste que dans l’ensemble, cette analyse des représentations a permis de mettre en lumière certains schèmes et valeurs partagés par le milieu. En voici quelques rappels, accompagnés de certaines pistes de réflexion.

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