• Aucun résultat trouvé

La transmission d’informations sur la localisation de la source est sujette à un grand nombre d’erreurs qui ne se limitent pas au codage de la direction

Par exemple, la butineuse peut se tromper sur la position de la source par

rapport à la ruche. De même, sa danse peut être suivie imparfaitement ou

mal décodée par les recrues. Mais, cette imprécision dans la danse nuit-elle

réellement au butinage collectif ? Sherman et Visscher (2002) ont répondu

à cette question de manière simple et élégante. Les abeilles s’orientent par

rapport à la lumière polarisée (cf. section 1.3.3, p. 72). Ce type de lumière

ne perturbe pas les danses. En revanche une lumière diffusée à travers une

feuille de plexiglas translucide désoriente considérablement les danseuses qui

dirigent alors l’axe de leur danse de manière complètement aléatoire. Ces

auteurs ont comparé l’évolution du poids de plusieurs ruches, certaines

ex-posées à une lumière polarisée, d’autres à une lumière diffuse. En effet, le

poids d’une ruche est un très bon indicateur du succès de butinage de la

colonie. Il ressort de cette étude que la précision de la danse n’est réellement

importante que quand les sources de nourriture sont rares (en automne et

en hiver). Au printemps et en été, des danses complètement désorientées ne

modifient pas l’efficacité de la collecte du nectar. Peu importe l’endroit où

les butineuses prospectent, il y aura toujours des fleurs à butiner.

Une autre étude vient compléter ce résultat (Steffan-Dewenter et Kuhn

2003). Elle s’appuie aussi sur des observations en situations naturelles, mais

sans perturbation des danses. Ces auteurs ont montré que plus les sources de

nectar sont difficiles à localiser (sources rares et variables dans un paysage

complexe), plus les danses sont fréquentes. La polémique sur l’erreur

angu-laire est née d’une hypothèse concernant la stratégie de recrutement : plus

la source est difficile à trouver, plus la danse doit être précise. Or l’abeille

semble adopter une stratégie différente : plus la source est difficile à trouver,

plus les butineuses répètent l’information. Même si chaque circuit de danse

pris individuellement est imprécis, en moyenne un grand nombre de danses

permettra un recrutement efficace.

Indication de la "distance". Comme nous venons de le voir, la danse

frétillante est constituée de répétitions d’un même motif, le circuit de danse.

Un circuit est constitué de deux portions caractéristiques : une course

fré-tillante et une course de retournement. Karl von Frisch avait découvert que

le nombre de circuits par quinze secondes, ce qu’il appelle le tempo de danse,

décroissait avec la distance entre la ruche et la source. On peut aussi

repré-senter les données de von Frisch non plus en fonction du tempo de danse,

mais en fonction de la durée moyenne d’un circuit. Cette durée augmente

linéairement avec la distance (Fig. 1.4a). Von Frisch avait bien l’intuition que

seule la course frétillante devait coder pour la distance mais il ne disposait

pas, à l’époque, d’outil d’enregistrement suffisamment précis pour analyser

plus en détail la partie de la danse codant pour la distance. Il lui a fallu

attendre les travaux de Esch (1964) basés sur des enregistrements sonores

des danses pour qu’une analyse précise des courses frétillantes soit possible.

Ainsi, seule la durée de ces courses suffit à coder la distance (Fig. 1.4b). La

question de savoir dans quelle mesure les abeilles tiennent compte du vol de

retour a été abordée par l’étude d’un grand nombre de danses effectuées lors

de conditions de butinage variables (vent de direction et de vitesse variées,

butinage à flanc de montagne, etc.). Le vol aller est préférentiellement utilisé

(von Frisch 1967a).

On sait que l’abeille a des capacités cognitives importantes. Elle retrouve

sa ruche après un vol de plusieurs kilomètres. Elle est donc capable de

mé-moriser un trajet et de s’orienter à grande échelle. Mais l’existence d’un

codage de la distance par une durée entraîne deux autres conclusions

im-portantes. Premièrement, l’abeille a une notion précise de la durée qui va

bien au delà d’une simple perception d’un temps cyclique (par une horloge

interne, par exemple). Cette question est loin d’être triviale. Chez les

ver-tébrés comme chez les inverver-tébrés, elle donne lieu à un grand nombre de

travaux de neurophysiologie et de psychologie expérimentale afin de

propo-ser des mécanismes d’intégration de la durée qui soient réalistes par rapport

aux structures nerveuses de l’animal (Dukas 1998). C’est aussi une question

cruciale pour beaucoup d’études en écologie comportementale qui fondent

leur raisonnement sur la capacité des animaux à évaluer très précisément le

temps (par exemple, celui qu’ils passent dans un patch avant de le quitter).

GLVWDQFH>P@

GXUpHGXQFLUFXLW>V@

D

E

GLVWDQFH>P@

GXUpHGXQHFRXUVHIUpWLOODQWH>V@

Fig.1.4 – Le codage de la distance dépend du rythme de la danse.[a] La

du-rée totale d’un circuit (une course frétillante et une course de retournement)

est corrélée avec la distance (Goller et Esch 1990). [b]La durée de la course

frétillante suffit à coder la distance (Esch et al. 2001). NB : les échelles ne

sont pas les mêmes sur les deux figures.

Deuxièmement, l’abeille semble capable d’évaluer les distances. Mais

se-lon quels mécanismes ? Cette question a donné lieu à une vive polémique

qui vient d’être résolue de manière un peu surprenante. Pour aborder cette

question, les auteurs se sont presque toujours appuyés sur l’étude des danses

frétillantes, manière d’interroger l’abeille sur l’idée qu’elle se fait de la

dis-tance parcourue au cours de différentes expérimentations. D’après von Frisch

(1967), l’évaluation de la distance (aussi appelé odométrie) par les abeilles

ne repose ni sur la perception de repères visuels ni sur l’estimation du temps

nécessaire pour atteindre le but. Par contre, la dépense énergétique serait

déterminante. Von Frisch rapporte plusieurs expériences où il augmente

ar-tificiellement la dépense énergétique lors du trajet en collant sur le thorax

des abeilles des petits plombs qui les alourdissent ou une languette de papier

(ce qui diminue fortement leur aérodynamisme). Il constate que dans ces

conditions les abeilles surestiment la distance parcourue.

Mais cette hypothèse dite "de la dépense énergétique" a été fortement

critiquée par Harald Esch et quelques autres auteurs (Goller et Esch 1990,

Eschet al.1994, 2001, Esch et Burns 1995, 1996, Ronacher et Wehner 1995,

Srinivasan et al. 1996, 1997, 2000). Plusieurs indices laissaient penser que

l’hypothèse de la dépense énergétique n’était pas satisfaisante. Ainsi, la durée

de la danse est la même que l’abeille ait volé 65 m ou qu’elle ait volé la même

distance et marché 3 m (Esch et al. 1994). Or, l’abeille est bien adaptée au

vol mais très peu à la marche et l’énergie qu’elle consomme en marchant 3 m

est équivalente à celle dépensée sur 55 m de vol (Scholze et al. 1964). De

même, des abeilles entraînées à butiner une source de nourriture accrochée

à un ballon à plusieurs dizaines de mètres au dessus du sol sous-estimaient

la distance parcourue, et plus la source était élevée plus les abeilles "se

trompaient" (Esch et Burns 1995, 1996).

Ces auteurs postulent que l’odomètre de l’abeille est basé essentiellement