• Aucun résultat trouvé

Le vol d’apprentissage En complément des repères olfactifs pour se diri- diri-ger à courte distance vers une source de nourriture, l’abeille s’oriente à partir

de repères spatiaux (von Frisch 1967a, Cartwright et Collett 1982). Chez les

insectes volants, l’apprentissage de ces repères terrestres a lieu au cours d’un

comportement caractéristique, le vol d’apprentissage (learning fligth).

Pen-dant celui-ci, l’insecte examine précisément le lieu où il doit revenir (Opfinger

1931, Tinbergen et Kruyt 1938, van Iersel et van den Assem 1964). Ce

com-portement a été très bien décrit chez l’abeille (Lehrer 1991, 1993, Weiet al.

2002) où il est aussi appelé "demi-tour d’observation" (turn back and look

ou TBL). La fréquence et la durée de ce vol d’apprentissage sont modulées

en fonction de différents paramètres. Ainsi, le vol d’apprentissage est plus

long quand la source de nourriture est nouvellement découverte que quand

l’abeille y revient déjà régulièrement (Wei et al. 2002). Ceci suggère que

l’investissement dans cette tâche d’apprentissage peut être modulé par

l’in-dividu alors qu’il acquiert de l’expérience. En outre, le vol d’apprentissage

est plus long quand l’environnement visuel autour de la source est complexe

ou quand la source de nourriture est de très bonne qualité.

1.3.4 Le butinage : un problème d’écologie comportementale

La question de l’approvisionnement en nourriture ou fourragement

3

(

fora-ging) est un des sujets les plus étudiés en écologie comportementale

(Ste-phens et Krebs 1986, Krebs et Davies 1993, Giraldeau et Caraco 2000). Il

a souvent été abordé sous l’angle des causes ultimes, en terme

d’approvi-sionnement optimal par exemple. Mais beaucoup d’éthologistes se méfiaient

des "réponses de mathématicien" qui connaît le problème dans son entier,

et suppose que l’animal est capable d’estimer tous les paramètres du

pro-blème, de les comparer et d’en tirer une conclusion adaptée. Souvent l’animal

n’a qu’une connaissance très partielle du problème et doit procéder par

ap-proximation. D’où le regain d’intérêt porté aux règles de décisions et aux

mécanismes proximaux permettant à l’animal de collecter la nourriture de

manière efficace (Krebs et Davies 1992).

Une abeille est confrontée à un grand nombre de choix. Doit-elle

buti-ner, travailler à la ruche (réceptionner le nectar, ventiler, etc.) ou encore ne

rien faire (ce qui augmente son espérance de vie, la butineuse pouvant être

plus utile quand les conditions environnementales seront meilleures) ? Si elle

décide de partir butiner, doit-elle collecter du nectar, du pollen, de l’eau ou

même de la propolis (en fonction des besoins de la colonie) ? Quelle stratégie

de recherche de nourriture doit-elle adopter (suivie des danses ou

prospec-tion indépendante, altitude et vitesse de vol, etc.) ? Une fois qu’elle a trouvé

un massif de fleurs, quel itinéraire intra-patch doit-elle suivre (problème du

"voyageur de commerce") ? Combien de temps doit-elle passer dans un

mas-sif de fleurs avant de le quitter (sachant que plus le temps passe, plus le

risque de rencontrer des fleurs qu’elle a déjà visitées augmente, théorème de

3. Remarque étymologique : contrairement à ce qui est souvent dit, le terme de

four-ragement n’est pas francisé à partir de l’anglais. C’est bien un mot français qui signifie

"amasser des provisions en parlant des troupes militaires" (cité dans leschroniques de Jean

Le Bel, Société de l’histoire de France, éd. J. Viard et E. Déprez, Paris, 1904-1905, t. 2,

p. 60. Source : dictionnaire en ligne ATILF, http://atilf.inalf.fr/, CNRS - Univ. Nancy 2)

et qui est encore utilisé de nos jours.

la valeur marginal, cf. article 5) ? Quel volume de nourriture doit-elle

col-lecter en fonction de la distance ou du temps de vol ? De retour à la ruche,

doit-elle recruter pour la source (ce qui permet de signaler une source à des

butineuses encore inactives, mais qui lui fait perdre un peu de temps) ou

doit-elle retourner directement sur la source ? Si elle est prête à investir du

temps dans le recrutement, doit-elle danser pour la première source trouvée

ou doit-elle attendre de voir s’il n’y en a pas d’autres de meilleure

profitabi-lité ? Doit-elle ensuite retourner sur le même site (dont elle a pu estimer la

profitabilité) ou doit-elle plutôt continuer à explorer l’environnement (c’est

la stratégie "scout" qui offre la possibilité de trouver une autre source de

meilleure qualité, mais aussi le risque de perdre du temps et de l’énergie

dans cette prospection) ? Enfin, même si un site était de qualité médiocre,

doit-elle y retourner quelques jours plus tard (possibilité d’une floraison plus

importante, de conditions environnementales plus favorables, etc.) ?

Les questions liées au butinage sont très diverses et ont donné lieu à un

grand nombre de publications. L’article de revue en préparation (Annexe A,

p.231) reprend ces questions et les replace dans la problématique de la théorie

de l’approvisionnement optimal. On reconnaît par exemple des problèmes

déjà fréquemment étudiés chez d’autres animaux. L’abeille doit exploiter

des ressources variables, discrètes, organisées en patch, et dispersées dans

un environnement hétérogène. Elle est confrontée à une compétition intra

et inter-spécifique pour l’accès à la nourriture. Enfin, l’abeille doit revenir

fréquemment à un lieu central, la ruche. Contrairement à un animal solitaire

et qui n’a pas de nid, elle ne peut pas explorer son environnement au hasard.

A des questions relativement classiques relatives à la théorie de

l’appro-visionnement, viennent s’ajouter un degré de complexité supplémentaire, lié

à l’organisation sociale de la colonie. L’abeille ne butine pas pour sa propre

consommation puisqu’une faible proportion d’individus assure la collecte de

nourriture pour l’ensemble de la colonie. De plus, les abeilles stockent la

nourriture, et ces réserves excèdent souvent les besoins de la colonie à court

ou moyen terme. Enfin, comme nous avons commencé à le voir dans cette

introduction bibliographique, le butinage est une activité fortement

coopé-rative. Le partage des tâches (par exemple le découplage entre butineuses

et déchargeuses), et la communication entre butineuses (par la danse de

re-crutement, les danses de rétro-contrôle, ou les interactions trophallactiques)

contribuent à augmenter l’efficacité du butinage. Ainsi, la question du

buti-nage ne peut être envisagée uniquement à l’échelle de l’individus, mais doit

être aussi considérée à l’échelle de la colonie. Ces deux niveaux d’études sont

étroitement liés.

1.3.5 Les stratégies individuelles de choix des fleurs

Les abeilles estiment très rapidement la qualité d’un patch. Du fait de

l’auto-corrélation spatiale et/ou temporelle dans la qualité des fleurs (Waser et

Mitchell 1990), si l’échantillon visité dans le patch est mauvais, il vaut mieux

que la butineuse parte prospecter ailleurs. L’abeille n’a pas besoin d’une

mémoire de travail très étendue. Une règle de décision basée sur les dernières

visites est suffisante (Real 1991). La visite sur une fleur de mauvaise qualité

incite la butineuse à poursuivre son activité de butinage à une plus grande

distance que si la première fleur visitée avait été de bonne profitabilité (Dukas

et Real 1993b).

La profitabilité d’une fleur est liée à la concentration en sucre, au volume