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La transmission humaniste de la conquête du « Nouveau Monde » en Europe et ses stéréotypes fondateurs.

1.3.2 Altérité et Musiques d’inspiration andine

2. L’univers « andin » et son imaginaire en France

2.1 Hommes et territoires du Nouveau Monde : Les Incas où la tristesse des indiens « civilisés.

2.1.2 La transmission humaniste de la conquête du « Nouveau Monde » en Europe et ses stéréotypes fondateurs.

Dire que la «découverte» et la colonisation du Nouveau Monde par l’Espagne ont marqué profondément l’histoire moderne de l’Europe est une évidence qui depuis longtemps n’échappe à personne. Il est évident également que les seuls intérêts géopolitiques et commerciaux, certes irréfutables et capitaux, ne sont pas en mesure d’expliquer toutes les répercussions de cette entreprise dans le devenir de l'Europe. En effet, non seulement le projet de Christophe Colomb et l’intérêt des Rois catholiques de renforcer leurs pouvoirs grâce à l’ouverture d’une nouvelle route commerciale vers les Indes Orientales se verront très tôt associés, entre autres, à des obligations d’ordre religieux, mais toutes les entreprises européennes dans le Nouveau Monde ont été habitées – parfois déclenchées - par des enjeux d’ordre symbolique. L’objectif de ce chapitre sera d’examiner cet aspect afin d’y repérer la trace des représentations sociales plus larges associées à un univers « andin » ayant précédé la diffusion des MIA en France.

D’un point de vue général, il est important de rappeler que les entreprises européennes de découverte et de colonisation du continent américain1 auront

comme toile de fond une société européenne en pleine mutation, dont un des traits les plus distinctifs sera la coexistence de deux systèmes de sens : l’un ancré à l’ancien ordre socioculturel médiéval, l’autre portant une vision « moderne » du monde. Ce n’est pas étonnant de constater, de ce fait, que les représentations en Europe des territoires et des populations qui venaient d’être découverts seront étroitement associées, dans un premier temps, à des imaginaires provenant de deux univers symboliques. Ainsi, face à la difficulté, voire l’impossibilité de se représenter ce « Nouveau Monde » dans toute son originalité, les premières informations reçues seront souvent décryptées à l’aide de deux mythes de longue date : l’un, celui du

Paradis Terrestre, largement utilisé durant tout le Moyen Age ; l’autre, celui de l’Age

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Sauf indication contraire, à chaque fois que nous parlons de « continent américain », « territoires américains », etc., nous faisons référence à l’ensemble des territoires découverts et colonisés (l’Amérique du Sud et l’Amérique du nord).

d’or, puisé dans la mythologie gréco-latine et intimement associé à l’esprit humaniste de la Renaissance.

Dans la mise en vigueur de ces mythes, l’intervention des élites intellectuelles de l’Europe renaissante sera non seulement nécessaire, mais tout simplement fondamentale. C’est dans l'Espagne conquérante que nous trouverons le premier et sans doute le meilleur exemple de la portée de cette lecture humaniste, lecture destinée à modeler pour longtemps le contenu des représentations que les nouveaux territoires et leurs populations susciteront aux yeux européens.

Il s’agit, et nous ne pouvons l’évoquer que brièvement ici, de la trajectoire et des écrits de Pierre Martyr (1456-1526). Nous aurons alors une idée du traitement dont ces événements bénéficieront au sein des sociétés européennes de l’époque : clerc d’origine italienne et fidèle représentant de la mentalité renaissante qui régnait dans la l’Italie du Quattrocento1, P. Martyr sera chargé par la Reine Isabelle d’introduire

la culture humaniste parmi ses courtisans, bénéficiant ainsi d’un poste d’observation privilégié lors de la victoire définitive des Espagnols face aux Maures, à Grenade, et notamment lors de la découverte des terres que lui-même dénommera plus tard

Orbis Novus, le Nouveau Monde. Dans sa double condition d’homme d’église et d’humaniste, et en véritable premier propagateur de la nouvelle de la découverte en Europe grâce à ses Décades du Nouveau Monde2, P. Martyr ne se contentera pas

d’aborder les nouvelles de ces entreprises sous un angle purement descriptif, mais ces événements détiendront également, sous sa plume, une portée symbolique bien précise. D’une part, P. Martyr examinera sans hésiter les découvertes de Christophe Colomb à la lumière d’écrits anciens3, parsemant son discours de références à la

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Pierre Martyr apprendra le goût de l’Antiquité gréco-romaine au sein de l’Académie romaine fondée par l’humaniste Pomponius Leto, contemporaine de la célèbre Académie florentine inaugurée sous l’égide des Medicis et dirigée par Marsile Ficin. Lors de son séjour à Rome, Martyr a pu bénéficier d’une ville en plein essor économique, artistique et intellectuel, un développement qui éclaire un peu ce qui a pu être le complexe tournant vécu par l’Italie du XVème siècle : « Rome se

restaure, s’offre des fêtes somptueuses et populaires, célèbre des carnavals où défilent des divinités du paganisme antique. Elle s’achemine vers les investissements grandioses et tapageurs que Luther, quarante ans plus tard, dénoncera avec fracas » (Bernand, Carmen; Gruzinski, Serge: Histoire du Nouveau Monde: de la Découverte à la Conquête, Tome 1, Paris, Fayard, 1996, p. 170). En

s’approchant à la quarantaine, et malgré ce climat d’effervescence intellectuelle et artistique, Pierre Martyr décidera de quitter cette Rome renaissante pour la Castille des « guerres de Grenade », où s’installera vers 1487 sous la protection du puissant compte de Tendilla, Don Iñigo Lopez de Mendoza.

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Il s’agit d’une série de 80 lettres classées en huit «décades» où P. Martyr commente les nouvelles qu’il recevait des entreprises de découverte et de conquête américaines. Elles ont été écrites entre 1492 et 1526, et adressées, pour la plupart, aux différents papes de la période.

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« …bien que l’opinion de Colon sur la circumnavigation et la taille du globe s’oppose à celle des

mythologie gréco-latine et associant spontanément, par exemple, les rumeurs parlant d’une île habitée exclusivement par de femmes à l’île des « Amazones de Lesbos » ou bien comparant les Cannibales, « ces êtres redoutables », aux Lestrygons rencontrés par le héros de l’Odyssée1. D’autre part, dans sa description des paysages

et des populations rencontrés dans les nouvelles terres - toujours inspirée par les récits des premiers voyageurs2 -, P. Martyr parlera non seulement d’une terre de

fécondité et d’exubérance3, mais il y verra aussi un lieu enchanté, paradisiaque, la nature s’y révélant à ses yeux en parfaite symbiose avec ses habitants.

Il est important de souligner, dans ce sens, que malgré la distinction qu’il fera entre « bons » et « mauvais» sauvages4, toutes ces populations auront à ses yeux le

mérite de vivre selon la nature. Une telle attribution révèle avant tout la nécessité évidente de comparer cette altérité avec le modus vivendi européen. Ainsi, comme toutes les premières lectures de ces découvertes, celle de P. Martyr mettra en avant le fait que les peuples récemment rencontrés n’avaient pas de religion, ne portaient pas de vêtements, ne connaissaient ni la propriété privée, ni l’argent, qu’ils ne se régissaient point par des lois et ignoraient, entre autres, ce qu’est un livre5. Toutes

des caractéristiques qui seront appréciées en grande partie en tant que vertus perdues par les occidentaux et propres à un passé mythique de l’humanité6.

naturellement ou pour des raisons de proximité, ont la « saveur » de la terre indienne, d’autant surtout qu’Aristote, vers la fin de De Caelo et Mundo, et Sénèque, et d’autres experts en cosmographie, attestent que l’Espagne, par l’occident, n’est pas très éloignée des rivages de l’Inde »(

Martir d’Anghiera, Pierre: De orbe novo decades, I, Oceana decas (édition, traduction et commentaires de Brigitte Gauvin), Les belles lettres, Paris, 2003, p. 299).

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« Le bruit qui courait sur cette île était parvenu aux oreilles des nôtres lors du premier voyage : on

croit que les Cannibales ne viennent auprès des femmes qui l’habitent qu’à certaines époques de l’année, tout comme, d’après les anciens, les Thraces traversaient la mer pour se rendre auprès des Amazones de Lesbos, et que, de la même manière, elles envoient leurs fils, une fois sevrés, à leurs pères, tandis qu’elles gardent les filles auprès d’elles ». (Ibid., p. 42).

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Dans ces premiers écrits il s’agit fondamentalement des îles découvertes par Colon. 3

« On dit que les arbres sont énormes et touffus ; que dans les prairies l’herbe pousse si épaisse et

haute qu’on ne peut pas les traverser ni à pied ni à cheval, et que notre bétail naît là-bas plus corpulent et devient plus gros à cause des pâturages plus nutritifs. Les légumes et les grains qu’on y a apportés se développent à une vitesse admirable ; les potirons, les melons […] au bout de trente-six jours sont déjà comestibles; les laitues, les radis, […] et d’autres légumes de cette espèce le sont au bout de quinze jours. On dit même qu’à deux ans d’avoir planté des vignes on a pu manger des raisins doux » (Martir de Angleria, Pedro : Cartas sobre el Nuevo Mundo, op. cit., p. 48)

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Chez Martyr, Taïnos et Caraïbes vont illustrer ces deux pôles, les premiers étant dépeint comme des « hommes doux » (cf. Gauvin, op. cit. p. 24), et vivant fondamentalement de racines, fruits, de maïs, de la pêche, etc. ; les seconds étant des « êtres redoutables », se nourrissant de chair humaine et harcelant continûment les villages des premiers.

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Cf. Todorov, Tzvetan : « Préface », in Boriaud, Jean-Yves (traducteur) : Le Nouveau Monde :

récits de Christophe Colomb, Pierre Martyr d’Anghiera et Amerigo Vespucci, Paris, Les Belles

Lettres, 1992, p. XXIII. 6

«Il est établi chez eux que la terre est la propriété de tous, comme le soleil et l’eau, et ils ne

Même si ce portrait idéal se verra terni au fur et à mesure que la connaissance des « sauvages » se précisera1, l’image idyllique des populations indigènes et en

général du Nouveau Monde se fixera rapidement et profondément dans l’imaginaire européen de l’époque2. D’ailleurs, la diffusion d’ouvrages comme celle de P. Martyr

- et bien sûr les événements mêmes qui l’ont inspiré - auront une influence directe sur l’apparition, dans les fictions littéraires « utopistes » du XVIème au XVIIIème siècle,

de ces hommes et de ces sociétés « miroirs » plus ou moins inspirés par les populations nouvellement découvertes. Nous faisons allusion à l’invention de peuples et de sociétés voulus lointains et inconnus des yeux occidentaux, qui deviendront, sous la plume d’intellectuels de toute sorte, les modèles en fonction desquels on va établir des comparaisons avec le mode de vie européen. Tel est le cas de l’incontournable Utopia (1516) de Thomas More, qui commence, rappelons-le, avec la rencontre fictive entre l’auteur et Raphaël Hythlodée, le soi-disant compagnon de A. Vespucci qui revient précisément de l’île d’Utopia située quelque part au-dessous de l’équateur, là où « la terre se pare d'une riante verdure ».

Cela dit, si d’une manière générale, les habitudes des premiers américains rencontrés par les Espagnols divergeront, dans les faits, de celles des peuples « utopiques», l’irruption du Nouveau Monde dans la scène et dans l’histoire

pas leurs jardins ouverts et vénèrent naturellement le bien, sans lois, livres ou juges, et ils considèrent comme mauvais et criminel celui qui se plaît à commettre l’injustice » (Gauvin, op.cit., p. 92.)

L’opinion de P. Martyr vis-à-vis des premières populations rencontrées ne restera pas pourtant immuable, et le paradis dépeint au début ne tardera pas à perdre un brin de son charme : « Ils sont

pourtant tourmentés par l’ambition et le désir de pouvoir, et se massacrent à la guerre, fléau dont fut peu exempt l’Age d’or lui-même, puisque la maxime « donne ! je ne donnerai pas ! » devait déjà errer

parmi les hommes »[Martyr, Pierre (décade I), dans Boriaud, Jean-Yves (traducteur) : Le Nouveau

Monde : récits de Christophe Colomb, Pierre Martyr d’Anghiera et Amerigo Vespucci, Paris, Les

Belles Lettres, 1992, p. XXIII]. Cependant, même dans ce cas la comparaison avec l‘Age d‘or était de mise ( « dont fut peu exempt l’Age d’or lui-même »).

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Nous pouvons ainsi saisir dans toute son ampleur la portée de l’évolution qui s’opérait dans la représentation des indigènes dans une lettre écrite à plus de vingt ans d’avoir entamé les premières décades, où l’on peut apprécier plus nettement comment le chemin des imaginaires commençait à croiser également celui de la légitimation officielle de la conquête : « On a beaucoup parlé à propos

de la liberté des indiens, car il y en a maints avis sans qu’on puisse en trouver pour autant une solution pratique. Le droit naturel et le droit canonique prescrivent que tout lignage humain soit libre ; mais le droit romain admet une exception, et l’usage contraire a été établit. En effet, une longue expérience a démontré le besoin de faire des esclaves, et non pas des hommes libres, à tous ceux qui par nature sont voués à des abominables vices et qui en l’absence de guides et tuteurs reviennent sur ses erreurs impudiques. Nous [le Conseil des Indes] avons appelé à des […] Dominicains et des […] Franciscains, tous ayant séjourné longtemps dans ces contrées, et nous leur en avons demandé son avis. Tous ont été d’accord pour signaler qu’il n’y avait pire erreur que de les laisser en liberté » (Martir de Angleria, Pedro, op.cit., ibid., p.144. Lettre du 22 février 1525, adressée

à l’archevêque de Cosenza) 2

Dont une des conséquences, en plus d’un sens, sera la cristallisation au XVIII siècle du mythe du « bon sauvage ».

européennes favorisera la mise en place d’un lien tout particulier entre ces fictions et l’expérience concrète du contact avec ces populations jusqu’alors inconnues. Bien que, par définition, ces dernières se trouvent « nulle part», les explorations en question fourniront un lieu possible et véridique aux récits utopiques, en favorisant de cette façon la consolidation d’un regard fixé dans la périphérie du centre incarné par l’Europe de l’époque – un regard ex-centrique, au sens étymologique du terme, mais produit pourtant par et pour ce centre. En projetant sur ces populations fictives les

qualités voulues pour les sociétés occidentales elles-mêmes - c’est souvent le but de ces ouvrages - une « périphérie imaginaire » américaine verra ainsi le jour et s’enracinera dans les mentalités européennes. L’évocation de cette altérité servira donc de toile de fond, au cours des siècles suivants, à une sorte de projection inversée et souvent idéale de la société occidentale.

Il faut toutefois remarquer qu’il existe une différence capitale entre les récits de P. Martyr, C. Colomb ou A. Vespucci - ainsi que ceux des chroniqueurs qui les suivent, bien évidemment - et les littératures utopiques à portée ouvertement philosophique ou romanesque. Pour les premiers, et malgré les préconçus évoqués plus haut, les indigènes demeureront les acteurs tangibles d’une rencontre bien réelle. Pour les seconds, en revanche, les « sauvages » tout autant que les indigènes plus « évolués »1, deviendront sciemment des personnages et des prototypes au sens

littéraire du terme. Cette différence traduit en fait l’écart qui existait entre les peuples du Nouveau Monde considérés en tant qu’entité « réelle », et ces mêmes peuples considérés en tant qu’objet représenté, c’est-à-dire, tel qu’ils resteront effectivement fixés dans l’imaginaire de l’époque. C’est d’ailleurs cette différenciation, et l’excédent de sens qui en découle, qui rend possible l’utilisation de ces informations dans le cadre de notre étude : si nous attirons ici l’attention sur ces premiers écrits sur le Nouveau Monde c’est parce que, soit sous la forme du Paradis terrestre ou bien sous celle de l’Age d’or, l’altérité de ces peuples sera lue sous le prisme d’une hiérarchisation historique, en les situant dans une « étape » de l’humanité que les peuples européens auraient déjà, pour le meilleur ou pour le pire, inexorablement dépassée.

Or, à la lumière des témoignages des contacts noués jusqu’alors entre l’Europe et les populations non européennes, il est donc envisageable d’esquisser l’espace des possibles en fonction duquel la société européenne articulera les premières

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représentations du Nouveau Monde. Dans ce contexte, force est de constater que ni les Arabes, ni les Chinois ou Japonais, ni même pas les Africains, ne rempliront si nettement aux yeux européens les conditions nécessaires pour faire évoquer les mythes du Paradis terrestre et de l’Age d’or. Certes, s’il est vrai que Brunetto Latino (1210-1294) - le maître du Dante - avait déjà remarqué la nudité et l’innocence toutes édéniques des Esséniens, ou si Marco Polo (1254-1324) avait auparavant parlé de gens n’ayant aucun roi et allant « nudz tant les hommes que les femmes, sans couvrir

aucune partie de leurs corps »1, il n’est pas moins vrai que ces cas isolés ne reflètent

guère l’usage courant de leur temps, sans compter sur le fait que, dans ces représentations édéniques, les populations décrites n’étaient pas fixées sur un groupe ethnique en particulier. En revanche, si à partir du XVIème siècle dans la littéraire européenne, la référence à ces hommes « bons par nature » se verra multipliée, ce sera en bonne partie parce que ces personnages utopiques sont avant tout une invention de la Renaissance européenne, inspirée directement des populations rencontrées dans ce monde qualifié par les européens de « nouveau ». En effet, les circonstances à la fois complexes et inédites qui ont entouré la découverte américaine - résumées peut-être dans le fait de voir enfin révélée l’exacte géographie terrestre et la dimension véritable de l’humanité - contribueront vraisemblablement à attirer le regard européen vers les populations américaines. Et ce sont eux, en définitive, qui seront appelés à incarner la figure classique du « sauvage », et non, par exemple, les peuples africains rencontrés précédemment par les portugais ou les habitants des îles Canaries exterminés par les espagnols peu avant les voyages de Colomb2.

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Le Dévissement du monde de Marco Polo, chap. XXI. « De l’Isle d’Anganiam ». 2

Pour un panorama plus approfondi sur les thèmes suggérés ici, cf. notamment Bernand, C., Gruzinski, S., Histoire du Nouveau Monde op.cit, chap. V (première partie). Dans l'annexe A, à la fin de notre étude, le lecteur trouvera également une version plus dévellopée de ce chapitre.

2.1.3 Une catégorie intermédiaire dans l’imaginaire européen: Les Incas, indiens « civilisés ».

Il existe une tendance à voir dans les entreprises coloniales européennes du XIXème siècle le point d’inflexion où le mythe du « bon sauvage » évolue vers une

vision articulée autour des différences qui opposaient ces sociétés colonisées à l’essor «civilisateur» d’occident. Toutefois, l’opposition entre des représentations concernant les peuples « sauvages » ou « barbares » et celles associées à une humanité non européenne, mais considérée malgré tout comme civilisée, est bien présente en Europe dès le XVIème siècle.

Nous pourrions illustrer le poids de cette opposition en évoquant, par exemple, les propos évangélisateurs du jésuite et missionnaire français Jean de Brébeuf (1593- 1649), quand il dit clairement qu’il « ne prétends pas mettre icy nos sauvages [les Hurons] en parallèle avec les Chinois, Japonnois, et autres nations parfaitement civilisées ;

mais seulement les tirer de la condition de bestes, où l’opinion de quelques-uns les a réduits et leur donner rang parmy les hommes»1. Mais à vrai dire il n’est pas nécessaire d’aller

chercher chez ces autres nations parfaitement civilisées les allusions à des sociétés lointaines qui ont pu résister à la comparaison avec la civilitas occidentale. Cette sorte de solution intermédiaire sera incarnée, parmi les populations du Nouveau Monde, par les sociétés rencontrées dans le Golfe du Mexique et surtout par l’impressionnant empire fondé sur le continent sud-américain par les Incas. Ces populations présenteront en effet des qualités qui les éloigneront de l’image que l’on s’était créée des premiers insulaires rencontrés : la représentation d’une humanité sans lois, sans juges et en harmonie parfaite avec la nature, fera place à une altérité beaucoup moins radicale aux yeux européens.

Concernant les peuples du Golfe de Mexique - Olmèques, Mixtèques et bien sûr Mexica, entre autres - le récit de P. Martyr nous en fournira, une fois de plus, un