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Oscar Commettant et les chants de l’Ancien Pérou: la « tristesse » andine et ses versants musicaux.

1.3.2 Altérité et Musiques d’inspiration andine

2. L’univers « andin » et son imaginaire en France

2.2. Musique « des Incas » et stéréotypes andins

2.2.2. Oscar Commettant et les chants de l’Ancien Pérou: la « tristesse » andine et ses versants musicaux.

Nous avons évoqué, à la fin de l’analyse entamée dans la section précédente, les premières traces du discours concernant les musiques « Incas » en France. Dans ces brèves allusions, la musique allait à l’appui de représentations plus larges associées à l’univers inca, et elle demeurait fondamentalement associée au cérémonial Inca, renforçant la connotation religieuse et collective des cérémonies. Or, il faut bien remarquer que ces représentations mettent en scène un monde Inca bouleversé par la brutale rencontre avec l’occident, en exploitant souvent, à des fins littéraires - mais aussi politiques - l’émergence du nouvel ordre et des nouveaux rapports de domination qui vont sceller la soumission de ces peuples face à l’envahisseur européen. Mais, fidèle en cela aux évidences historiques, l’univers Inca est encore présenté dans ces documents comme une entité socioculturelle dont la continuité par rapport au passé précolombien ne présente point d’interstices : malgré le renversement de situation, il y est encore question de l’empire des Incas et de leur civilisation – même si ces textes mettent en avant le moment de son effondrement - et non pas d’une configuration démographique et sociale postérieure à la conquête. Autrement dit, dans ces textes littéraires, la trame se situe à une époque antérieure à la période coloniale proprement dite, et certainement avant l’émergence du Pérou en tant que nation, au sens moderne du terme1. Par conséquent, en dehors du fait que

les brèves commentaires consacrés dans ces documents à la « musique des Incas »

1

n’étaient pas fondés sur une expérience réelle d’écoute de ces musiques, ces auteurs n'ont vraisemblablement pas eu l’intention de décrire fidèlement une musique exotique contemporaine à leurs écrits.

Dans le document qui nous occupe ensuite, cette situation va présenter des modifications non négligeables. Tout d’abord, il est question cette fois-ci d’un document de critique musicale aux dimensions titanesques, où la musique « de l’ancien Pérou » sera abordée de manière expresse dans un de ses chapitres. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il s’agit d’un livre qui passe en revue la présence de la musique dans l’Exposition Universelle de Paris de 1867, écrit par le critique et compositeur Oscar Comettant (1819-1898)1. Le titre complet donne une idée assez

claire de la tache qui s’est proposée l’auteur dans son ouvrage, ainsi que de l’empreinte d’« universalité » qu’il a voulu lui imprimer en accord avec le caractère international de l’exposition: « La musique, les musiciens et les instruments de musique

chez les différents peuples du monde (ouvrage enrichi de textes musicaux, orné de 150 dessins d’instruments rares et curieux) ; archives complètes de tous les documents qui se rattachent à l’Exposition Internationale de 1867 –organisation, exécution, concours, enseignement, organographie, etc. ».

Pour aborder ce vaste sujet, Comettant divisera le livre en quatre parties qu’il va résumer dans son Préambule. La première sera consacré à l’organisation générale de l’exposition, pour faire état ensuite, avec de nombreux documents officiels à l’appui, de l’organisation de tout ce qui était du domaine du musical (rapports de comités, arrêts ministériels, règlements des concours, etc.). Dans la seconde partie, Comettant s’appliquera à la description et à la critique des activités musicales présentées dans l’exposition (concours divers, concerts à grand orchestre et chœurs, les concerts de Strauss, etc., y compris la musique du « jardin chinois » et du « café tunisien »). La troisième partie sera consacrée à l’analyse de diverses méthodes d’enseignement de musique (occidentale) ainsi qu’à la présentation du monde de l’édition musicale. La quatrième partie, finalement, aura pour objet principal l’examen des différents instruments de musique présentés à l’exposition, parmi lesquels se trouvera la quena, exposée dans la galerie de l’histoire du travail, à laquelle l’auteur consacrera neuf pages sous le titre de « La Quena et les chants de l’ancien Pérou »1.

1

Il était essentiellement connu en tant que critique musicale dans Le Siècle. 1

Comettant, Oscar : La musique, les musiciens et les instruments de musique chez les différents

peuples du monde, Paris, Michel Lévy frères, 1869, pp. 577-584. Il faut bien souligner qu’à différence

Avant d’examiner les commentaires que O. Comettant avance à propos de la quena, il est important de préciser que son livre couronne, pour ainsi dire, un événement d’un certaine ampleur pour le cercle musical français de l’époque. En effet, pour la première fois dans l’histoire des expositions internationales1 la

musique était représentée au même titre que les activités associées aux Beaux Arts, ce qui sera interprété par l’auteur comme un signe de légitimation et de réparation face à une exclusion vécue comme une « injustice choquante, contre laquelle protestaient

à la fois le goût du public, le génie des maîtres, le talent des virtuoses »2. La conjoncture

s'est prêtée aussi tout particulièrement à renforcer le retentissement de cette présence tant attendue, car non seulement cette exposition allait surclasser les précédentes en termes de recettes, d’exposants et de visiteurs3, mais elle était

destinée à mettre en avant la splendeur du Second Empire, dans un Paris complètement transformé par l’architecture et l’urbanisme haussmanniens. Il était donc évident pour O. Comettant, qu’« un livre était à faire sur la musique, les musiciens

et les instruments de musiques à l’Exposition de 1867 »4, livre que de par les

circonstances et de par l’excellence de l’objet même dont il s’occupait se voulait un « monument véritable à la mémoire de l’art musical de tous les peuples représentés, c’est-à-

dire de tous les peuples du monde, y compris les peuplades sauvages de l’Afrique et de l’Amérique »1.

sommairement, les écrits de Las Casas et de l4ica Garcilaso de la Vega - O. Comenttant ne fera aucune allusion aux écrits de chroniqueurs espagnols qui avaient mentionné les musiques « Incas » dans ses écrits. Son jugement sera en fait fondé sur la seul observation des instruments exposés dans l’Exposition Universelle.

1

Rappelons que l’Exposition Internationale de 1867 a été précédée de trois expositions similaires (Londres, 1851 ; Paris, 1855 ; et Londres, 1862).

2

Ibid., p. I. 3

Voici quelques éléments de comparaison entre les expositions internationales de 1862 et de 1867 : Exposition de Londres (1862) Exposition de Paris (1867)

Durée: 1 juin -1 novembre 1862 (184 jours)

1er avril - 3 novembre 1867 (217 jours)

Surface d'exposition

12,5 hectares 68,7 hectares

Participants 37 pays 41 pays

Exposants environ 29 000, dont 9 000 de Grande Bretagne et 2 600 des colonies britanniques

52 000, dont 15 969 pour la France

Visiteurs 6,1 millions entre 11 et 15 millions

Prix 7 000 médailles et 5 300 mentions honorable

19 776 prix. Beaux-arts: 139 décorations, dont 17 Grands Prix et 33 Premiers Prix.

4

Ibidem. 1

Les musiques qui nous occupent apparaissent donc, dans ce livre, dans la section destinée aux peuplades sauvages d’Amérique. Mais ici encore, tout comme dans les documents analysés dans la section précédente, la « sauvagerie » de ces populations et de ces musiques restera toute relative, surtout quand il s’agira de souligner leur héritage Inca. En fait, le lien entre le passé précolombien et les musiques des « peuplades » indiennes présents dans le Pérou contemporain et moderne1 restera consubstantiel : les musiques jouées par ces « quelques parias échappés aux abominables boucheries espagnoles » ne seront considérées qu’en tant que

vestiges du monde Inca, jamais en tant que manifestation possédant un certain degré de discontinuité et d’autonomie symbolique de par l’intervention d’éventuels processus de métissage.

Dans le discours de O. Comettant, la présence de ces musiques s’insère au cœur d’un univers indien, certes, mais marquée fortement par les caractéristiques fondamentales attribuées aux différentes civilisations « autres », que ce soit du passé (grecque, égyptienne, etc.) ou géographiquement éloignées (l’univers chinois, arabe, etc.). Encore une fois, l’univers Inca divergera ainsi de l’image d’un monde « sauvage », entendu comme un monde écarté d’une certaine idée de progrès accumulatif (technologique ou culturel) facilitant la prolifération de collectivités rassemblées autour de pôles démographiques, culturels et sociopolitiques d’envergure. « Il existait, nous dit O. Comettant, avant la découverte du

Nouveau Monde […] un peuple nombreux et puissant, quoique d’une grande douceur […]

Les aventuriers qui virent ce peuple d’honnêtes gens admirèrent leur civilisation avancée, rendirent justice à leurs habitude d’ordre autant qu’à leurs mœurs tranquilles, et les trahirent pour en faire leurs esclaves »2. Dans l’ensemble, Comettant reprendra ainsi,

sur ce point, la perspective qui guidait les auteurs analysés dans la section précédente. Or, ses commentaires étant les premiers, d’après nos recherches, à parler directement en France des musiques « incas », il nous reste à préciser la manière dont cette perspective, et les représentations qui lui sont associées, vont s’articuler avec la description de la quena et les « chants de l’ancien Pérou » que l’auteur proposera dans son texte.

En fait O. Comettant résumera dès le début ce que sera pour lui la place et la fonction principales de cet instrument dans le Pérou contemporain : « De ce peuple

1

C'est-à-dire le Pérou en tant que état-nation. 2

[…] dont les sages institutions politiques et sociales auraient pu servir de modèle à plus

d’une nation européenne, que reste-il à cette heure ? Rien que quelques parias échappés aux abominables boucheries espagnoles, et un instrument de musique, la triste, la timide, la fatidique quena »1. Nous retrouvons dans ce paragraphe les deux éléments qui

agiront comme fils conducteur de son discours. D'une part la quena, et plus largement la musique « inca », présentées en tant que vestige musical d’une sorte d’âge d’or de l’ancien Pérou; et d'autre part le lien établi entre les sons de la quena et les sentiments d’affliction et de nostalgie éprouvés par les indiens à propos du passé glorieux de l'empire Inca. C’est ainsi que la quena, d’après O. Comettant, restera pour l’indien « cette voix consolatrice qui l’émeut, le charme, l’attriste, l’égaie, l’abaisse à la

réalité de sa position, et l’élève jusqu’à la gloire de ses aïeux par la magie du souvenir et la chaîne mystérieuse de la tradition »2.

L'apparition de ce dernier élément est particulièrement significative pour nous, car en dépassant les marges assignées exclusivement au matériel musical (sons, mélodies, etc.), elle signale, dans ce genre de discours, le passage explicite et définitif vers la dimension symbolique de ces musiques. « Les Péruviens - continue Comettant - effrayés par les sanglantes orgies de leurs cruels conquérants, abandonnèrent aux cupides

mains de ces derniers les montagnes d’or et d’argent qu’ils avaient arrachées aux entrailles de la terre ; mais, en fuyant, ils emportèrent la quena, dont les accents lamentables disent mieux que n’auraient pu le faire les mots d’aucune langue, les regrets éternels dont leur âme était abreuvée »3. Pour O. Comettant la quena et la musique qu’elle produit représentent

donc en elles-mêmes la tristesse qu’éprouveraient les indiens face à la tragédie de leurs ancêtres, devenant à la fois le symbole de ce passé et le catalyseur des sentiments nostalgiques que la disparition de ce passé génère en eux.

Ces musiques puisent donc leur sens dans cet univers ancien tout en le rendant signifiant aux yeux d’un influent critique musical comme O. Comettant, doté à l'époque d’un pouvoir de légitimation non négligeable dans son milieu4. Les termes

employés par O. Comettant ne laissent aucun doute sur cette nouvelle filiation, inondant son discours d’un nouveau champ sémantique : la « triste » et « fatidique »

1

Ibidem. C’est nous qui soulignons. 2

Ibidem. 3

Ibidem. 4

Remarquons d’ailleurs que les commentaires autour du livre au moment de sa publication ont été assez favorables, à l’instar de celui avancé par Théodore de Lajarte, dans la France Musicale, qui souligne que : «Le grand mérite de l’ouvrage, c’est de pouvoir rester une œuvre et de n’avoir pas

pour excuse l’actualité qui l’a fait naître. L’exposition n’existe plus qu’à l’état de souvenir, la musique, les musiciens et les instruments de musique nous restent. Tout est donc pour le mieux ».

quena, produira ainsi des chants une « tristesse sans espoir »1, des

« plaintes mélodieuses »2 aux accents à tel point « lamentables »3 que « [les indiens] ne peuvent pas supporter l’audition de ces aires sans fondre en larmes, sans éclater en sanglots »4. Mais sans aucun doute la description d’un chant joué par deux quenas,

véritable summum du thème développé par O. Comettant dans son texte, donnera une idée assez concluante de l’importance et de la dimension dont cette représentation va bénéficier dans le discours de l’auteur :

« L’harmonie plaintive des deux quenas attendrit le cœur des auditeurs, exalte leur

imagination et les transporte au temps fortuné et à jamais passé, hélas ! où ils vivaient libres et considérés sous l’égide de l’astre radieux qui brille pour tout le monde, excepté pour eux aujourd’hui. Des larmes abondantes coulent de leurs yeux, et c’est à la douleur même qu’ils demandent un soulagement aux douleurs enivrantes qui les enveloppent comme dans une atmosphère de deuil harmonieuse. Il faut un nouvel accent plaintif à tous ces accents de plaintes, et il faut que le timbre même de la quena soit assombri pour vibrer à l’unisson des cœurs abîmés dans le néant de la désespérance. Les musiciens interrompus par leurs propres sanglots n’ont pu finir leur chant. Ils ont ôté de leurs lèvres tremblantes l’instrument, et sans se parler, d’un regard magnétique, ils se sont compris. On les voit alors cheminer lentement, gravir les hauteurs les plus escarpées de la Sierra, comme s’ils voulaient, pour exhaler le souffle suprême de leur âme attendrie, monter plus près des cieux. Là, sur ces escarpements arides et glacés, ils attendent l’heure des ténèbres pour s’abreuver de la dernière partie de ce concert désolé. Un vase rempli d’eau est apporté, et les instruments y sont plongés. La voix de la quena dans cette sourdine liquide devient la voix même des sépulcres et comme le Super flumina Babylonis des maîtres tombés en esclavage »5.

De ces commentaires fourmillants d’adjectifs gémissants nous retiendrons certains éléments clés qui nous aideront, dès que nous les aurons mis en rapport avec d’autres aspects du discours, à bien préciser la puissance et la portée des représentations qui y sont véhiculées. Le premier point à consigner est le fait que, dans son discours, l’auteur fera usage des représentations associées à la quena en

laissant complètement à côté ses propres jugements musicaux. Plus exactement, O. Comettant subordonnera ses appréciations musicales à des représentations qui puiseront leur contenu bien au-delà de la dimension strictement sonore de la quena et de ces chants. En réalité, il est particulièrement instructif de constater que l’auteur va reconnaître en toute honnêteté que « pour nous autres Européens, la quena est un

instrument barbare, et les airs péruviens appropriés à cet instrument […] des airs plus

1

Comettant, Oscar, op.cit., p. 583. 2 Ibid., p. 582. 3 Ibid. p, 577. 4 Ibid., p. 584. 5 Ibid., p. 582.

barbares encore peut-être, et d’une insignifiance complète »1, mais que paradoxalement

son jugement global à propos de ces musiques en restera fort favorable.

De quelle manière l’auteur arrive-t-il à concilier ces deux impressions en apparence contradictoires ? La solution, il la trouvera en entamant une réflexion sur l’art en général et surtout à propos du beau en musique; réflexion inattendue, du moins en apparence, car elle s’édifiera autour d’une relativisation du regard esthétique à une époque ou la tendance générale restait largement liée à une vision ethnocentrique de la culture.

O. Comettant met en avant tout d’abord le fait que, « si incomplet et si défectueux

que nous paraisse ce monotone roseau [la quena], il n’en a pas moins rempli de charme et

d’émotions diverses une suite de générations d’hommes »2, d’où la question plus générale

de savoir comment « certains airs, informes pour nous autres européens, ou tout au moins

monotones, sont-ils considérés par certains autres peuples comme l’expression la plus complète et la plus ravissante de l’idéal de beauté »3. Il faudrait chercher la réponse,

toujours d’après O. Comettant, dans l’expressivité de la quena, expressivité qui trouverait sa force non dans les qualités musicales de chants qui en émanent, mais dans la capacité de ces derniers à transmettre l’Idée profonde qui l’anime. Car « si nos

instruments d’une grande étendue, de timbres si variés, permettent une manifestation plus complète de l’idée, celle-ci, quand elle existe réellement, quel que soit l’agent qui serve à la

manifester, quelle que soit la forme dans laquelle elle nous apparaît, nous frappe et nous émeut »4.

Sans définir avec précision ce qu’il veut dire par idée, l’auteur est explicite pourtant au moment d’indiquer que celle-ci ne peut se réduire, en aucun cas, à l’expression du « beau absolu », fondamentalement parce que tout système de sons étant « nécessairement partiel et incomplet […] aucun ne saurait présenter cette rigueur

implacable qui correspond à la vérité absolue »5, vérité incarnée de manière exclusive par

la Création. De ce fait, la musique est susceptible de s’approcher de l’idéal de beauté seulement dans la mesure où elle ne cherche pas à reproduire « l’œuvre incomparable de

l’incomparable artiste, le divin Créateur »1 - tâche que l'auteur considère tout de même

inaccessible - mais à susciter en nous, par l’intermédiaire des sentiments, le profond 1 Ibid., p. 584. 2 Ibid., p. 578. 3 Ibidem. 4 Ibidem. 5 Ibid. p. 579. 1 Ibidem.

émoi associé à la contemplation de son œuvre céleste1. Dans cette perspective, le rôle

de la musique n’est donc pas des moindres, car elle serait chargée d’éveiller « la

sensation des idées dont la subtilité échappe à toute signification précise, à tout mot ou à tout assemblage de mots »2.

Dans ce discours, la quena et les musiques qui lui sont associées possèdent ainsi la qualité d’exprimer et de rendre sensible une certaine essence dont l’importance est si primordiale qu’il est possible de passer outre les « défauts » techniques mentionnés par O. Comettant. Et cette essence, ce « reflet sublime »3 incarné par ces

musiques de l’ancien Pérou, qui est capable d’éveiller la sensation d’une Idée fondamentale, d’une vérité voilée à la raison, ne saurait qu’être la sublimation du

malheur associé à l'anéantissement irréversible de ce monde où les indiens auraient vécu dans le bonheur.

Il est intéressant de constater que s’il n’y a aucun doute pour cet auteur que « la

situation misérable à laquelle les légitimes possesseurs du Pérou ont été condamnés, les souvenirs poignants que la quena évoque chez eux, et la nature même des lieux majestueusement tristes où ils exhalent leurs plaintes mélodieuses, doivent ajouter à l’effet propre de l’instrument »4. Autrement dit, la preuve définitive du pouvoir expressif de

ces musiques se trouverait dans l’effet qu’elles sont capables de susciter, même chez des auditeurs européens. Ainsi, « la quena et ses chants étendent leur action sur les

hommes de race blanche étrangers aux malheurs des anciens fils du Soleil, et qui, presque autant que ces derniers, en sont émus et charmés »1. Ces musiques posséderaient donc la

1

En dépit des commentaires de l’auteur qui feraient penser à une filiation avec l’idéal roussélien d’une Création sublimée dans la Nature -et en dépit du fait même de la renvoyer à une Création divine- nous sommes persuadés que la source la plus directe des commentaires esthétiques de O. Comettant se trouve plutôt dans la pensée de Schopenhauer. Rappelons que pour le philosophe allemand, la musique reste une « une objectité, une copie aussi immédiate de toute la volonté que l’est le monde,

que le sont les Idées elles-mêmes [...]. Elle n’est donc pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées» (Le monde comme volonté et comme représentation, PUF, Paris, p. 329).

2

Ibidem. Ici encore est possible d’établir une similitude avec les pensées formulées par Schopenhauer. Dans l’ouvrage cité ci-dessus nous pouvons lire aussi, cette fois à propos des qualités spécifiques à la

mélodie, que «toutes les aspirations de la volonté, tout ce qui la stimule, toutes ses manifestations