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Ce formulaire était vraisemblablement porté par dix-huit processions au minimum338 (quinze conservent encore le texte). Il s’agit donc du formulaire de processions géographiques le plus souvent copié. À travers quelques indices iconographiques, textuels et contextuels, il est possible de retracer de manière approximative la transmission de ce formulaire d’une version à l’autre.

La plus ancienne procession connue à porter ce formulaire est celle de Ramsès II à Memphis, bien que les tableaux des nomes ne soient plus conservés. Dès lors, elle servira de point d’origine de ces filiations.

338 Ramsès II à Memphis (RMs) (texte non conservé), Shéshonq Ier à Memphis (SMs), Taharqa à Karnak-Nord (TKn), Taharqa à Karnak-Est (TKe), procession éthiopienne à Médamoud (EMd) (texte non conservé), Taharqa à Sanam (TSm), Taharqa à Kawa (TKa) (texte non conservé),Psammétique Ier à Tanis (PsT), Akoris à Karnak-Nord (AKn), Nectanébo Ier à Létopolis (KL), Nectanébo Ier à Héliopolis (KH), Nectanébo II à Tôd (NTd), Nectanébo II à Sébennytos (NSs), Nectanébo II à Boubastis (NB) (texte non conservé), Ptolémée II à Philae (WP), Ptolémée II à Médamoud (WMd), Ptolémée II dans l’enceinte de Mout à Karnak (WMt) et Ptolémée XII à Athribis (PtA).

L’exemple qui la suit chronologiquement est celui de Shéshonq Ier. Ce cortège provient également de Memphis, car il est dédié à Ptah, bien que l’unique relief conservé ait été retrouvé à Saqqara. Aucun élément ne vient étayer une quelconque filiation avec la procession précédente, mais il est probable que la liste de Shéshonq Ier ait été produite à l’exemple de celle de Ramsès II, les deux se trouvant vraisemblablement à proximité l’une de l’autre.

Il est également possible que les processions éthiopiennes aient copié les exemples memphites. En effet, certains reliefs du temple de Kawa au Soudan ont été copiés dans la région memphite, dans les temples de Sâhourê, Niouserrê et Pépy II à Abousir et Saqqara339. Une inscription de Kawa mentionne même l’envoi d’artistes depuis Memphis340. La liste géographique de Kawa a pu faire partie des reliefs copiés à cette occasion. Par ailleurs, le temple de Kawa et celui de Sanam, tous deux construits par Taharqa, possèdent de nombreuses similarités341. De plus, la notice du XVIe nome de Haute Égypte de la procession de Sanam présente une graphie inhabituelle du toponyme Obnw, écrit Obt à cette occasion, qui apparaît déjà dans la version de Shéshonq Ier à Memphis342. Ces indices sont faibles, mais suffisants pour proposer une filiation directe entre les processions memphites et soudanaises. Bien qu’aucun élément ne l’étaye directement, il est aisé de supposer que les processions éthiopiennes de la région thébaine relèvent de la même origine. Par ailleurs, cela permettrait d’expliquer l’inversion du nom de Ptah de la notice du Ier nome de Basse Égypte dans la pro-cession de Taharqa à Karnak-Nord, bien que ce phénomène ne se retrouve pas dans les exemples memphites343.

Concernant les exemples postérieurs à l’époque éthiopienne, il semble que deux écoles se développent, l’une propre à la Basse Égypte ou école memphite344, et l’autre propre à la Haute Égypte ou école thébaine345. Elles peuvent être définies à partir de l’analyse iconographique des génies de prospérité et de leur plateau346. Néanmoins, cette répartition entre les deux moitiés du territoire n’est pas absolue, mais est le fruit d’une tendance. En effet, l’iconographie de la procession de Boubastis se rapproche davantage de l’école thébaine, alors que celle de la procession de Sanam de l’école memphite. Par ailleurs, le cortège de l’enceinte de Mout à Karnak ne peut pas être directement rattaché à l’école thébaine par l’iconographie de ses figures de prospérité, mais il semble qu’elle ait remplacé une version éthiopienne347. Cela atteste donc également d’un lien de cette procession avec les autres exemples de la région.

Finalement, en affinant les critères d’analyse et en comparant l’économie des textes, se distinguent deux ensembles identiques du point de vue de l’aspect et du genre des figures de prospérité, de l’iconographie de leur plateau et de l’économie de leur notice. Le premier est

339 M.F.L. MACADAM, The Temples of Kawa II, History and Archaeology of the Site, Londres, 1955, p. 63–64 ; D. ARNOLD, Temples of the Last Pharaohs, New York, Oxford, 1999, p. 59.

340 M.F.L. MACADAM, The Temples of Kawa I. The Inscriptions, Londres, 1949, Inscr. IV, p. 16 et 21, n. 51, pl. 7–8.

341 H. JACQUET-GORDON et al., « Pnubs and the Temple of Tabo on Argo Island », JEA 55 (1969), p. 108 ; D. ARNOLD, Temples of the Last Pharaohs, New York, Oxford, 1999, p. 59–61, fig. 31 ; J. POPE, The Double Kindgom under Taharqo. Studies in the History of Kush and Egypt, c. 690-664 BC (CHANE 69), 2014, p. 58.

342 Déjà relevé par J. Yoyotte (J. YOYOTTE, « Note sur le bloc de Shéshonq I découvert par la mission archéologique à Saqqara de l’Université de Pisa », EVO 12 (1989), p. 35).

343 Cf., p. 134–135 et notice no 26, p. 206–207.

344 Ramsès II à Memphis, Psammétique Ier à Tanis, Nectanébo Ier à Létopolis et Nectanébo II à Sébennytos.

345 Taharqa à Karnak-Nord, Taharqa à Karnak-Est, procession éthiopienne à Médamoud, Akoris à Karnak-Nord, Nectanébo II à Tôd, Ptolémée II à Philae et Ptolémée XII à Athribis.

346 Cf., p. 99–104.

347 Cf., p. 83.

formé des cortèges de Ramsès II à Memphis et de Nectanébo Ier à Létopolis, et le second des processions de Taharqa à Karnak-Nord et Karnak-Est, de la procession éthiopienne de Médamoud et de celle d’Akoris à Karnak-Nord. Dans ces cas, il s’agit probablement de copie directe d’un exemple sur un autre.

Il semble donc que depuis un centre memphite pour la plus ancienne étape attestée, ce formulaire se soit exporté dans la région thébaine. Puis, à partir de ces deux métropoles, il a apparemment essaimé dans les régions voisines à chacune. Toutefois, ces filiations demanderaient à être étayées et ne sauraient être considérées comme définitives. Par ailleurs, seule une partie de ce processus est visible. En effet, une procession n’est pas nécessairement copiée directement depuis une autre. Il est fort probable qu’il existait des modèles circulant au sein des temples qui pouvaient être copiés, adaptés, transformés selon les besoins.

L’archétype

Toutes les versions actuellement connues de ce formulaire de processions de nomes découlent d’un archétype commun. Il se trouve que quelques indices permettent de l’appréhender. En étudiant les légendes consacrées au Fayoum dans la liste de Ramsès II à Memphis, J. Yoyotte relevait deux choses à ce sujet. À partir de « jeux » de mots, il supposait une allusion à Ptah et donc une origine memphite de la composition348. Par ailleurs, il constatait de grandes similitudes avec l’œuvre des Plaisirs de la Pêche et de la Chasse349. Ce texte étant alors daté du Moyen Empire, il proposait une datation similaire pour la composition des textes qu’il étudiait. Il est néanmoins nécessaire de revoir ce point à la lumière des dernières datations proposées pour ce texte. En effet, selon A. Stauder, la grammaire ne permet qu’une datation large, soit pas avant la fin du Moyen Empire, mais le lexique employé suggère une composition durant la XVIIIe dynastie350.

Quelques éléments internes aux processions de ce corpus vont dans le sens d’une datation haute. La notice du XVIe nome de Haute Égypte évoque des produits du Sinaï351. Une expédition en partance de cette province à destination de la péninsule est effectivement attestée durant le règne de Sésostris II. De plus, la route empruntée, celle de Mersa Gaouasis, n’est plus utilisée à partir des règnes de Thoutmosis III ou Thoutmosis IV. Par ailleurs, des villes citées dans certaines notices perdent en importance après le Moyen Empire, comme la ville de Bénou dans le XVIe nome de Basse Égypte352.

Cependant, d’autres éléments appuient une datation plus basse. Ainsi, la notice de la VIIe province de Haute Égypte présente Hout-Sekhem comme centre religieux et Hathor comme divinité principale353. L’une et l’autre n’acquièrent leur statut respectif qu’à partir du Nouvel Empire, après avoir supplanté la ville de Batiou et sa déesse Bat. De même, les métropoles traditionnelles des XVIIe et XVIIIe nomes de Haute Égypte sont toutes deux mentionnées dans la notice de la seconde354. Il est donc certain que la conception de l’archétype

348 J. YOYOTTE, « Processions géographiques mentionnant le Fayoum et ses localités », BIFAO 61 (1962), p. 116, n. 1.

349 Ibid., p. 85 et 87-88.

350 A. STAUDER, Linguistic dating of Middle Egyptian literary texts (Ling.Aeg. Stud. Mon. 12), 2013, p. 211.

351 Cf., p. 123–124.

352 Cf., p. 145–146.

353 Cf., p. 113–114.

354 Cf., p. 125–130.

prend place après la réunion des deux territoires qui se fait vraisemblablement dès le début de la XVIIIe dynastie. De plus, la notice du XVIIIe nome de Haute Égypte présente la formule

« Anubis et Horus sont justifiés », qui ferait référence à un état conflictuel entre la XVIIe et la XVIIIe province de Haute Égypte. Il se trouve qu’un tel conflit est attesté à partir de l’époque ramesside. Dès lors, la composition de ce formulaire ne pourrait être antérieure à cette époque.

Toutefois, il faut se garder d’écarter la possibilité que cette formule ne renvoie pas à cette situation conflictuelle. Par ailleurs, quelques provinces fournissent des indices de datation de moindre portée, car basés sur des graphies. Dans la notice du VIIIe nome de Haute Égypte, le nom de la province est écrit , graphie que l’on trouve la première fois sous Séthi Ier, puis sous Ramsès II355. De même, le nom de la XIe province de Haute Égypte est écrit /

, graphie rare qui apparaît apparemment dans une liste de nomes au nom de Séthi Ier, dans le temple abydénien de ce roi356. Ces deux graphies ne sont pas révélatrices de l’époque de composition des notices, car elles sont sujettes à des adaptations de la part de chaque version. Toutefois, elles ont pour intérêt de proposer la même datation, le début de la XIXe dynastie. Nous sommes évidemment tributaires de la conservation des sources, mais cette concordance mérite d’être signalée.

À partir de ces données, il est possible de faire quelques observations. L’archétype ne peut être postérieur au règne de Ramsès II, car la procession memphite de ce roi portait, selon toute vraisemblance, le même formulaire que les listes du corpus. De plus, bien que quelques éléments renvoient à des réalités valables au Moyen Empire, d’autres n’existent qu’à partir du Nouvel Empire, voire qu’à partir de l’époque ramesside. Finalement, quelques graphies appuient une datation vers le début de la XIXe dynastie. La datation la plus probable pour la rédaction de ce formulaire est donc le début de la XIXe dynastie. Cependant, une composition durant la XVIIIe dynastie ne doit pas être écartée.

Concernant les indices permettant de préciser le lieu de composition de ce formulaire, un seul a pu être relevé. Deux graphies du toponyme Smnw-Or, la métropole du XXIe nome de Haute Égypte présentent comme déterminatifs de Smnw un troupeau d’oies dont un membre est tourné dans le sens inverse357. Or, les autres exemples de cette graphie proviennent tous de la région memphite358. Cet indice est faible, mais il est cohérent avec les observations de J. Yoyotte concernant les légendes des villes du Fayoum359.

À partir des différents points évoqués ci-dessus, tant dans le domaine chronologique que géographique, nous pouvons supposer deux choses : l’élaboration de l’archétype prend vrai-semblablement place au début de la XIXe dynastie (mais peut-être durant la dynastie précédente), et sa rédaction s’est peut-être faite dans un cadre memphite. Or, il se trouve qu’une procession répond entièrement à ces deux critères : la liste de Ramsès II à Mit Rahineh.

Si cela est avéré, il s’agirait alors d’une composition originale, parfaitement élaborée, rédi-gée à Memphis durant le règne de Ramsès II. Derrière ce formulaire appelé à une si longue postérité360, il serait tentant de voir le prince Khâemouaset. C’est du moins l’avis défendu par

355 Cf., p. 114–115.

356 Cf., p. 118–119.

357 Cf., p. 132.

358 J. YOYOTTE, « Études géographiques, I. “La cité des Acacias” (Kafr Ammar) », RdE 13 (1961), p. 82–83 et 86.

359 Cf. p. 160.

360 S’il est probable que la procession de Mit Rahineh possédait également les notices des provinces, aujourd’hui perdues, certains tableaux conservés ont été recopiés dans trois listes des temples de Kom Ombo et d’Opet ; J. YOYOTTE, « Processions géographiques mentionnant le Fayoum et ses localités », BIFAO 61 (1962), p. 79–

Ph. Collombert qui évoque plusieurs arguments à l’appui de cette attribution361. Ce fils royal est vraisemblablement représenté à l’entrée du temple, à proximité du cortège des figures de prospérité ; cette liste s’inscrirait parfaitement dans le programme théologique du prince ; un relief inscrit d’une procession géographique qui introduit un attendu théologique par le pronom ntk comme à Mit Rahineh, porte le nom de Khâemouaset. Par ailleurs, il relève qu’aucune autre liste géographique du Nouvel Empire ne se rapproche de celle-ci, malgré le meilleur état de conservation des monuments de cette époque en Haute Égypte.

Rappelons également que selon l’une des hypothèses de J. Yoyotte, la procession de Mit Rahineh posséderait environ deux cents tableaux et offrirait l’ensemble des territoires d’Égypte à la divinité récipiendaire362. Or, il n’existe pas de parallèle de cette importance à cette époque. Les processions du corpus ne présentent que les provinces et des pehou pour quelques-unes. De même, certaines listes tardives ne reprennent qu’une partie du cortège de Mit Rahineh363. Ainsi, la longueur sans comparaison de cette procession tendrait également à en faire l’archétype de toutes les autres.

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