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Transitions et ruptures, deuxième ressort de la médiation

3. Domaine de validité des hypothèses

3.1.2. Transitions et ruptures, deuxième ressort de la médiation

Enfin la médiation consiste aussi à consolider, favoriser des positions intermédiaires pour ensuite favoriser des ruptures qui amènent à une prise de conscience et une transformation de la posture de l’élève vis-à-vis des apprentissages scolaires. Ces moments que nous dirions

"clefs " sont peu fréquents et sont marqués notamment par des indicateurs de volition de la part de l’élève. Nous allons essayer d’observer en quoi, lors de ces moments clefs, il y a « incitation » pour l’élève c’est-à-dire en quoi l’activité prend du sens dans son expérience scolaire.

Nous avons pu constater que ces moments sont souvent suivis par un recadrage conclusif de la part du CPE avec préconisations d’activités à réaliser. Il reprend la main en « institutionnalisant » en quelque sorte la résolution de l’élève.

G. Sensevy dans « théories de l’action et action du professeur » importe des concepts issus de la didactique des mathématiques pour « rendre compte d’un processus dans la description de l’action » (207). Il définit ainsi dans une logique de didactique comparée et d’analyse anthropologique, le contrat didactique (Brossaud, 1998) comme « un système d’attentes » (2000,208) qu’il généralise en « contrat institutionnel », postulant un fonctionnement identique au contrat didactique « comme systèmes d’attentes largement partagées par l’ensemble des membres de l’institution, système d’attentes en tant que systèmes de normes qui régulent l’action » (2000,209). Les notions de « chronogenèse » et de « topogénèse » permettent de catégoriser comme nous pouvons le saisir dans le processus conversationnel ici à l’étude, ce qui relève de la gestion du temps de la conversation et ce qui relève des places symboliques occupées par les interlocuteurs, CPE et élève. Sans totalement reprendre ici cette approche, nous proposons de faire le lien, comme le fait Sensevy, en postulant la portée anthropologique de ces catégories d’analyse pouvant « être référées à tout processus communicationnel » (2000,210). Concernant la dévolution et l’institutionnalisation, il postule également le dépassement des seules situations didactiques et propose une généralisation aux situations de travail notamment :

« En situation de travail, par exemple, le fait que l’opérateur assume la production du travail peut être analysé dans la perspective ouverte par le concept de dévolution. Dans une perspective identique, on peut affirmer que l’autonomie revendiquée propre aux situations de travail contemporaines pose le problème de l’institutionnalisation des manières de faire produites par les opérateurs dans le cadre de l’institution.» (Sensevy, 2000)

Il nous semble être ici au cœur de notre sujet. D’ailleurs Sensévy invite à « la transposition du modèle didactique à d’autres situations de travail. ».

Comme dans cet article, nous pourrions dans une perspective d’approfondissement de la recherche sur le travail conversationnel en œuvre dans les entretiens de suivi CPE/élève, poursuivre la réflexion sur l’idée de « structure de l’action » comme Sensevy le fait à propos de l’action d’enseignement, à la différence que le savoir n’est pas, dans ce cas, l’objet fondamental de la transaction (Cf. § 4.)

Pour en finir avec cette parenthèse, « l’institutionnalisation » à laquelle nous comparons l’action du CPE quand il reprend et reformule les résolutions de l’élève peut avoir comme effet de les légitimer, en les considérant comme attendus par l’institution. (Sensevy, 2000).

Dans ce temps, la dissymétrie de la conversation est plus explicite, alors qu’elle était estompée par la posture empathique et sans jugement du CPE, avec le risque de fragiliser la prise de responsabilité et l’autonomie attendues de la part de l’élève (§1.2.1.2. Les entretiens). L’utilité de cette forme de renforcement reste à être analysée.

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Extrait de l’entretien d’ISA (Annexe 13), fin de la séquence 4 et début de la séquence 5 :

C 6,18 12 et est-ce que... y’a aucun, aucune possibilité que le prochain sujet d’invention vous inspire pas, par exemple ?

I 6,27 C’est le risque C 6,28 Ben oui

6,31 Silence

C 6,32 Donc, euh a un moment donné Isa, est-ce que vous n’avez pas envie de passer à « je le fais parce que j’ai des facilités » à « je le fais parce que j’ai travaillé et que

maintenant, je sais le faire »?

5

I 6,43 Oui...oui 6,53 Silence

I 6,54 (I s’éclaircit la voix) Après, ...fin, je ne vois pas en fait comment je pourrais préparer un commentaire à l’avance sans voir le sujet,

Isa développe son argumentation concernant les difficultés rencontrées dans l’exercice de commentaire en français, son discours s’autonomise, ses intonations deviennent plus vives. C en soulevant ici une contradiction « entre choisir par facilité » ou « apprendre à faire » incite Isa à se projeter dans un travail d’entrainement, exercice qu’elle ne semble pas mettre en œuvre lors de ses révisions. Isa risque de se heurter à des difficultés, c’est ce qu’elle oppose dans la suite de la conversation. Cette argumentation par la négative peut permettre, par la rupture du raisonnement qu’elle implique, à un raisonnement différent, un dépassement de la contradiction comme le montre la suite de l’échange. Isa se projette dans une nouvelle résolution (Isa, 10 55) « Oui, faire l’intro et la conclusion, enfin essayer de la rédiger et mais en fait faire comme une lecture analytique mais, mais (inaud) comme un commentaire ». Les liens et les transitions amènent Isa à rompre avec l’idée qu’elle ne peut apprendre à travailler le commentaire. Cette rupture lui permet d’extrapoler sur d’autres procédés d’entraînement.

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Extrait de l’entretien de Mat, (Annexe 16), séquence 4 :

C 8 04 A faire le plan, la fiche, elle va vous aider à avoir des idées mais qu’il faut en effet placer dans euh, dans un paragraphe rédigé, alors, enfin plusieurs dans une composition. Et donc, comment vous pourriez faire ?

M 8 20 Euh...

C 8 22 Pour surmonter cette difficulté 8 24 Silence

M 8 26 Euh ben je sais pas, ben peut être faire des plans chez moi ?

C en opposant deux activités d’apprentissage : acquérir des connaissances grâce aux fiches de révision et mettre en ordre des connaissances dans un commentaire, incite Mat à penser la nécessité de dépasser le seul travail de fiches. Celui-ci semble s’y résoudre, en faisant l’hypothèse à ce stade de la discussion, de refaire des plans chez lui en guise d’entraînement. Le CPE est alors plus guidant, il incite l’élève à prendre une autre posture face au travail personnel (celle de l’entraînement à partir des points de difficultés identifiés par l’élève). C ne formule pas directement la nécessité de travailler autrement. C’est la contradiction qu’elle

soulève qui permet à l’élève de questionner ses procédés et de tenter de les dépasser, du moins en prenant telle ou telle résolution (dont on ne sait pas si elles seront suivies d’effet).

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Extrait de la séquence 9 de l’entretien de Luc (Annexe 15) :

Luc, de manière récurrente, lors de cet entretien fait référence à un manque de bases dû selon lui à un déficit pédagogique et à un travail personnel insuffisant au collège. Ainsi les lacunes semblent vécues comme inéluctables et y remédier est présenté par Luc comme une l’étape préalable à sa mise au travail (tout en étant irréalisable). Il est dans une forme d’impossibilité. C évacue ce préalable « ça ne me paraît pas très net dans votre tête » (C, 17 20) et le réoriente vers sa proposition d’un entraînement à partir d’un sujet de français de type bac. Pour cela, C porte une évaluation sur le procédé proposé par Luc (ce qui est peu fréquent) « ça me paraissait plus précis » (C, 17 34). Luc reprend avec enthousiasme l’idée de l’entraînement et se projette dans sa réalisation : « C’est précis, c’est clair et net ! Mais euh, oui, enfin, c’est quand même, je vais faire ça sûr et certain ce week-end mais euh… mais euh » (L, 17 36). A cet enthousiasme, C oppose ou finit sa phrase « ça ne suffira pas ! » (C, 17 50). Luc relativise alors la mise en œuvre réelle de son projet d’entraînement et y oppose un manque de motivation. C ne reprend pas pour autant ce thème qui est encore une forme d’impossibilité à mener à bien son projet. Il l’entraîne vers une projection toute autre sur les modalités concrètes de la mise en œuvre de l’entrainement.

La contradiction soulevée par C amène ici Luc à relativiser la « promesse » de s’entraîner et avec empathie, l’aide à la formuler. En effet, on ne sait pas si cette réponse « ça ne suffira pas ! » s’oppose à Luc ou complète sa pensée. Pour autant, elle permet à Luc de sortir du rôle de l’élève de "bonne volonté" pour le repositionner dans les contradictions qui sont les siennes face à réalité de son travail scolaire, les résolutions ne suffisant pas. Cet effet n’est ensuite pas repris par C qui se focalise sur les conditions concrètes d’un projet de mise au travail, l’injonction est ainsi présentée comme une proposition, laissée au choix de l’élève.

Luc 15 54 Non, c’est dans le sens où euh… en fait, j’ai… depuis la 6ème, j’ai eu des profs, professeurs de français euh… qui n’étaient pas très euh pédagogues ou je me souviens mal aussi mais en fait, j’ai beaucoup de, de, je ressens en tout cas, beaucoup de manques en français. Par exemple, comme là j’ai eu un doute pour « fasse » bon j’ai dit… enfin bref voilà. Mais euh, il y a aussi...du coup, il faudrait que je revoies ses bases là pour du coup, avoir

ces procédés là pour, enfin, pour les transformer en procédés pour un commentaire ou

Cpe 16 38 Mmm

Luc 16 38 Ou (inaudible). Je ne sais pas si c’est clair ?

Cpe 16 42 Non, là c’est un truc que j’ai dû mal à saisir. Mais comment vous pourriez faire ça ?

Luc 16 48 C’est à dire en euh, en regardant peut être un cours de 6ème, de, de de français ou même reprendre les cours de français, tout simple...que j’ai euh dans mes cahiers ou même sur internet ? Enfin que euh, si voulez, les adjectifs, genre tous les types d‘adjectifs, tous les mots, enfin de reprendre les bases. Enfin, je ne sais pas expliquer ça.

Cpe 17 20 Mmm, ça me paraît pas très net dans votre tête pour l’instant pour mieux vous y prendre alors que là, là, tout à l’heure quand vous avez… il m’a semblé que quand vous disiez « aller voir des sujets sur internet, choisir un et le faire ».

Luc 17 32 Oui c’est ça

Cpe 17 32 Et de donner à M. N Luc 17 34 C’est bien

Cpe 17 34 Ça me paraissait plus précis.

Luc 17 36 C’est précis, c’est clair et net ! Mais euh, oui, enfin, c’est quand même, je fais faire ça sûr et certain ce week-end mais euh… mais euh

Cpe 17 50 Ça ne suffira pas !

Luc 17 51 Ça pourrait suffire en soi mais euh, en fait c’est ça qui est problématique avec ma manière de penser, c’est que je pense ça et je me dis « que c’est déjà bien mais que je pourrais faire plus à chaque fois ». mais à chaque fois, j’ai ma motivation qui me dit « tu pourrais faire plus mais t’as pas envie de le faire »

Cpe 18 07 Moi, je propose de rester sur cette idée de Luc 18 09 Oui

Cpe De faire un sujet, c’est déjà pas mal, surtout que vous m’avez dit « en entier » et pendant que vous rédigez, soyez attentif à cette préoccupation. Si vous voyez des manques, en adjectifs ou quoi, ben après, Monsieur N, il peut vous donner des conseils euh par rapport à comment travailler la syntaxe, la grammaire, la conjugaison… Mais allez-y là hop samedi et ou dimanche… Voilà, essayer d’aller encore plus loin et de vous dire « A quel moment du week-end je pourrais le faire là ? » A quel moment du week- end vous pourriez le faire là ? Parce que si c’est un sujet entier, il faut combien de temps ?

En accentuant sur les conditions de réalisation de la mise au travail, C évacue en quelques sortes ce que Luc évoque en matière de lacunes, préalable à dépasser de son point de vue. Elle l’incite à penser concrètement la mise en œuvre, sans interroger plus avant ses problèmes de procrastination.