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L’activité scolaire mise en mots

2. Méthodologie de recherche

2.1.2 L’activité scolaire mise en mots

2.1.2.1 Caractéristique de l’entretien de suivi Les entretiens de suivi ont un certain nombre de caractéristiques :

 un contexte institutionnel c’est-à-dire un « cadre matériel et spatio-temporel » qui définit l’identité et la relations des locuteurs, leur position sociale, le lieu social de l’échange, les rapports établis entre eux (Riegel, Pellat, Rioul, 1994, 968). L’entretien met en relation d’échange verbal un CPE et un élève dans un

face à face, souvent à la demande du CPE mais aussi parfois à la demande de l’élève, dans le bureau du CPE ;

 une relation asymétrique dans la mesure où l’élève n’est pas tenu d’accepter l’entretien formellement, bien que le refuser constitue un acte de défiance assez fort par rapport à l’institution scolaire. Il occupe une " position basse " car son statut est différent de celui du CPE qui dispose de prérogatives institutionnelles (Bigot, 2002, 150). Ce dernier, par son écoute empathique, ses questions ouvertes et les espaces de réponse laissés à l’élève permet de le repositionner dans un échange qui se veut par moments tendanciellement plus égalitaire. Des modes de régulation de l’entretien peuvent en témoigner mais nous ne les mettrons pas ici particulièrement en évidence. Le vouvoiement que le CPE de notre étude a choisi d’utiliser face aux lycéens permet aussi une mise à distance tout en donnant à l’élève un statut de jeune adulte, de mise en responsabilité. Ce vouvoiement participe à la mise tendancielle à égalité ;

 Une des bases éthiques de l’échange du point de vue du CPE est la bienveillance vis-à-vis de la parole de l’élève qui est accueillie et facilitée par une écoute empathique. Certaines dimensions abordées dans un tel entretien peuvent rester confidentielles, d’autres peuvent être partagées avec l’équipe pédagogique pour mieux comprendre "les difficultés" rencontrées par l’élève. Du point de vue de l’élève, il implique une certaine coopération et une certaine sincérité dans ses propos, et une confiance dans son interlocuteur.

Oswald Ducrot (1966) explique que la fonction communicative du langage n’est pas « un surplus de la fonction expressive » c’est-à-dire que le dialogue avec autrui n’est pas « un prolongement du dialogue avec soi ». De cette découverte, les linguistes ont su tirer un large éventail de conséquences notamment que « la langue est d’abord un moyen d’agir sur autrui » (Riegel, Pellat, Rioul ; 1994, 980).

2.1.2.2 L’analyse conversationnelle

Vytgoski, comme nous l’avons expliqué plus haut, dans son approche socio- constructiviste définit l’activité comme l’unité de base du développement humain et place « le langage comme facteur décisif du développement cognitif » dans un double mouvement, social et subjectif, par la médiation d’autrui. Nous allons tenter d’approcher ce double mouvement, celui de la médiation par le CPE et les repositionnements cognitifs de l’élève. Pour cela, nous avons empiriquement choisi de suivre quelques pistes de l’analyse conversationnelle et d’en emprunter d’autres au champ de la linguistique, sans pouvoir à ce stade de notre réflexion nous inscrire dans un modèle précis.

Le concept de « zone proximale de développement » permet de mettre en relation l’activité langagière durant l’entretien avec l’élève et son propre mouvement de pensée.

« L'analyse de conversation considère qu'il est essentiel d'étudier l'interaction en tant que processus complexe de coordination des actions et en tant qu'accomplissement pratique. Lorsqu'ils sont en relation de co-présence, les participants à une interaction se rendent mutuellement intelligibles le sens de leurs actions et la compréhension qu'ils ont de ce qui se passe. Dans le prolongement des recherches

ethnométhodologiques, l'analyse de conversation a montré que cette attribution réciproque de sens dépend de la maîtrise de méthodes, de règles qui permettent aux participants de reconnaître les traits constitutifs de l’interaction de la conversation ainsi recueillis dans laquelle ils sont engagés. » (De Fornel, 2000, 144).

Nous ferons une analyse du discours lors des entretiens, en nous centrant notamment sur différents niveaux d’organisation de la conversation, la temporalité, en découpant les entretiens en séquences, la progression thématique et l’organisation des prises de parole.

Les notions de « contexte séquentiel » et d’« implicativité séquentielle » (De Fornel, 2000, 145) nous permettront de replacer l’entretien et ce qui s’y passe dans une progression des interactions observées. L’interprétation des énoncés dans une conversation est dépendante de leur place dans « des séquences d’action » (De Fornel, 2000, 145).

Ainsi la façon dont le CPE mène l’entretien, la variété de ses questions, son insistance ou non, les relances opérées, leurs valences positives ou négatives permettent d’apprécier la façon dont l’entretien permet à l’élève de développer ou non son discours sur son rapport au travail scolaire.

Enfin, la notion d’ « inférence conversationnelle » (De Fornel, 2000, 148) et « le principe de coopération » de Grice (1989, cité par De Fornel) nous permettent de mettre au jour d’éventuels tensions ou replis de la part de l’élève.

« (…) le principe de coopération s'ancre dans la séquentialité des échanges et [qu'il] est donc susceptible de vérification empirique. Il se spécifie principalement dans la conversation et, plus généralement, dans le discours dans 1'interaction, sous forme d'une préférence pour l'enchaînement confirmatif. Cette dernière introduit un biais interactionnel et cognitif systématique dans la nature de nos échanges et influence de façon systématique les formes conversationnelles observées et les processus de grammaticalisation. En tant que principe (socio)cognitif, elle constitue le principe organisateur des attentes et des anticipations réciproques qui régissent les

contributions des interlocuteurs. » (De Fornel, 2000, 149)

« C'est par l'étude empirique des structures de la conversation que l'on accède aux propriétés qui caractérisent les principes cognitifs à l'œuvre dans le discours. Une conversation se constitue et s'auto-organise de façon dynamique par une coopération continue tant au niveau de la chaîne des actions conversationnelles successives, de l'organisation thématique que de la construction de la référence et de la

catégorisation. L'étude des formes de coopération liées à cette triple orientation actionnelle, thématique et référentielle du discours dans l'interaction constitue un axe essentiel du programme de recherche de l'analyse de conversation ou de la

pragmatique cognitive de la conversation qui en est issue. » (De Fornel, 2000)

L’analyse des entretiens de notre corpus se placera dans la perspective de l’étude des formes de coopération avec une triple orientation :

 thématique (« l’organisation thématique »),

 référentiel (« la construction de la référence et de la catégorisation »).

L’analyse conversationnelle (De Fornel, 2000) permet par « l’étude empirique des structures de la conversation » d’accéder « aux propriétés qui caractérisent les principes cognitifs à l’œuvre dans le discours ». Cette approche nous semble intéressante pour l’analyse de notre corpus. Faute de maîtriser les sciences du langage, nous avons tenté de rechercher, dans le foisonnement de la littérature scientifique dans ce domaine, des entrées liées à la pragmatique de la langue considérée comme une activité, plutôt que comme une structure (Bange, 1983, 2). Cette approche interactionnelle permet d’aborder des conversations dites quotidiennes mais aussi des situations institutionnelles comme c’est le cas ici, où s’expriment des techniques professionnelles d’entretien permettant la « compréhension réciproque ou la coopération entre professionnels et clients de l’institution » (Bange 1983, 4).

Notre description des entretiens s’intéressera ainsi « aux processus de constitution et de négociation, de la signification assumés réciproquement » (Bange, 1983, 4). Dans cette perspective, le jeu des intentions du locuteur et celles qui peuvent lui être prêtées par le récepteur forment des inférences dans un processus réflexif et interprétatif permanent. Des « postulats d’interaction » permettent à chaque partenaire de placer l’interaction dans une forme d’illusion grâce à « une logique d’interactions et des obligations » (Bange, 1983, 9). Pierre Bange évoque « le principe de réciprocité » de Schütz et de Garfinkel. Il permet à la conversation d’avancer formellement et aussi « aux processus de négociation » de se produire. Grice dans ses « maximes conversationnelles » évoque le principe de réciprocité en termes de performance et d’activités élémentaires qui donnent à l’interaction verbale « une certaine rationalité ». Ainsi les énoncés visent à être « vrais, pertinents, sensés, clairs, succincts » (Bange, 1983, 11). La coopération, les procédures de négociation pour assurer l’intercompréhension, l’organisation séquentielle des échanges et la multiplicité des niveaux d’organisation sont des descripteurs des interactions langagières.

Nous reprendrons un découpage séquentiel des entretiens pour mettre en évidence l’articulation des interactions selon « un modèle fondamental en trois phases successives : introduction, développement (noyau), achèvement. » (Bange, 1983, 17).

 L’introduction figure la préparation du partenaire en termes de compréhension et d’acceptation (ou présupposée comme acquise comme c’est souvent le cas dans ce genre d’entretien dissymétrique CPE-élève).

 Le développement vise à permettre au partenaire, ici l’élève, d’accomplir tout son rôle, c’est-à-dire en l’occurrence d’accepter ou non la dévolution.

 L’achèvement comme clôture de la séquence, clôture dont nous verrons qu’elle n’achève parfois pas grand-chose du point de vue du partenaire, l’élève restant hermétique ou donnant le change dans un repli de conformité.

Le rôle de la prosodie ne pourra être complètement développée ici bien qu’elle mériterait elle- aussi d’être soumise à l’analyse tant « les processus de contextualisation prosodiques » (rythme, tempo, intonation, etc.) peuvent rendre compte eux aussi de la structure conversationnelle comme les didascalies.

2.1.3 La notion d’expérience scolaire et les changements de