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La dévolution comme moteur de la médiation

1.2 Les hypothèses

1.2.3 La dévolution comme moteur de la médiation

Lors de ces entretiens, nous rechercherons si un processus de dévolution peut être décrit bien que contrairement à la théorie des situations didactiques de Brousseau, le modèle du diptyque « milieu et contrat didactique » ne puisse pas être appréhendé ici, l’entretien n’étant pas une situation d’apprentissage à proprement parler. Cette dévolution, quand elle est permise par le CPE, permet-elle à l’élève de trouver des marges de manœuvres par rapport au travail scolaire, de s’émanciper ?

Pour reprendre les termes de Stéphane Bonnery (2007), nous pourrions définir la dévolution dans ce cas comme le passage de la tâche à l’activité qui engage l’élève dans une réflexion. Pour Guy Brousseau, « ce qui est dévolu est bien un rapport à un milieu » (1988, 312). « Le milieu » est dans la théorie de Brousseau « indispensable à la spécification de la relation didactique » (1988, 321). Il précise les enjeux des situations didactiques, non didactiques et a-didactiques et la place que requièrent le milieu et son aménagement dans chacune d’elles par « la transformation de situations d’enseignement en situations d’apprentissage » (1988, 324). Dans le même article, il fait plusieurs « déclarations » à propos du concept de dévolution(1988, 324).

La première :

« L’enseignement a pour objectif principal le fonctionnement de la connaissance comme production libre de l’élève dans ses rapports avec un milieu a-didactique ». [Par] « production libre », [il entend la] « réponse au milieu gérée par le sens, c’est à dire par ce que l’élève est capable d’interposer entre ses conditionnements, externes

ou internes, et ses décisions; cela implique pour lui la possibilité actuelle, et non pas seulement potentielle, de choisir entre plusieurs voies, pour des

"raisons intellectuelles" ; cela implique aussi une production personnelle ».

Nous retrouvons là une forme de l’appropriation cognitive que nous avons décrite plus haut. La deuxième déclaration concerne l’aménagement de la situation :

« qui révèle plus ou moins clairement son intention [de l’enseignant] d’enseigner un certain savoir à l’élève mais qui dissimule suffisamment ce savoir et la réponse attendue pour que l’élève ne puisse les obtenir que par une adaptation personnelle au problème posé. La valeur des connaissances acquises ainsi dépend de la qualité du milieu comme instigateur d’un fonctionnement "réel", culturel du savoir, donc du degré de refoulement a-didactique obtenu ».

C’est la médiation qui constitue le critère. Il en tire un premier corollaire :

« Pour permettre ce fonctionnement, l’enseignant ne peut pas dire, à l’avance, à l’élève exactement quelle réponse il attend de lui ; il doit donc faire accepter à l’élève la responsabilité d’une situation d’apprentissage (a-didactique) ou d’un problème et accepte lui-même les conséquences de ce transfert. »

C’est ainsi que Guy Brousseau définit la dévolution :

« la dévolution est l’acte par lequel l’enseignant fait accepter à l’élève la

responsabilité d’une situation d’apprentissage (a-didactique) ou d’un problème et accepte lui-même les conséquences de ce transfert. »

Pour en revenir à notre recherche, lors de l’entretien de suivi, qui n’est pas à proprement parler une situation d’apprentissage, mais une discussion ouverte sur les pratiques d’apprentissage et ce que veulent bien en dire les élèves concernés, nous faisons l’hypothèse que le CPE en

position de médiateur des apprentissages, vérifie si la posture de l’élève est bien celle requise par ce que définit Brousseau, s’il accepte le transfert de responsabilité dans la démarche intellectuelle d’appropriation des savoirs.

Comme le remarque Guy Brousseau, la dévolution n’est pas sans paradoxe, « traditionnellement imputée à la motivation de l’élève », il propose pour sa part de dépasser ses modèles explicatifs, psychologiques ou pédagogiques, par des solutions didactiques. Nous le rejoignons dans ce constat. C’est bien dans la question de ce transfert de responsabilité que peut se situer le malentendu dont il est question plus haut : quand l’élève n’endosse pas la responsabilité cognitive tout en faisant penser ou pensant lui-même y adhérer. Dans une autre perspective, Loïc Clavier (2018) questionne le processus de dévolution comme une sorte « d’injonction à l’autonomie » plaçant de fait « l’élève dans un espace d’incertitude » et « l’enseignant dans l’acceptation des conséquences de cette autonomie ». Il y voit une aporie, une injonction paradoxale à une autonomie qui ne peut être, par définition, hétéronome c’est- à-dire imposée par le diktat d’un autre. Cette question de « la capacité de l’enseignant à l’ouverture des possibles de l’autonomie de l’élève » peut aussi se poser au CPE.

Loïc Clavier y répond en reprenant les travaux d’Adoirno sur la distinction entre contrôle et évaluation. Le contrôle clôture le sens, il est hétéronome (Castoriadis) alors que l’évaluation permet de produire du sens et de l’autonomie dans les apprentissages.

Dans notre étude, nous reprenons cette idée selon laquelle c’est cette passerelle, cette médiation que permettrait le CPE qui interroge l’élève. Le questionnement sur les activités scolaires lors de l’entretien de suivi porterait alors, non pas sur la conformité à une norme (le contrôle), mais sur ce que l’élève met en œuvre quand il travaille, ce qu’il réussit ou pas, ceci dans une perspective temporelle, « en travaillant l’histoire du sujet en formation ». « L’évaluation porte le changement en posant la question du sens (…) par un agir communicationnel dans lequel l’autonomisation, l’émancipation des individus est postulée » (Clavier, 2018). Loïc Clavier prolonge sa réflexion avec la problématisation que nous ne reprendrons pas complètement ici. Ces éléments s’inscrivent dans la théorie de l’institution. Nous les croisons avec la notion de « sens de l’expérience scolaire », développée plus haut, issue des travaux de Jean Yves Rochex qui s’inscrivent, quant à eux, dans la théorie socio constructiviste de l’activité de Vytgoski et

Leontiev. Nous tentons ainsi de souligner les rapprochements notamment sur la question du sens et de l’autonomie qui lui est inhérente.

2. Méthodologie de recherche