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41. Transition pour les élevages

L’arrêt du "Plan vert" s’est d’abord traduit par la levée de la caution bancaire de l’Etat auprès des banques pour tous les éleveurs installés lors de cette opération. Les banques ont donc voulu renégocier les remboursements auprès des éleveurs.

La pression bancaire auprès des éleveurs pour accélérer les remboursements a très vite engorgé le marché local de la viande. Cela a eu pour incidence de faire chuter les prix. Les

205 Donc, je formule une remarque à souligner pour les lectures, les demandes n’ont pas été imaginées pour satisfaire des bailleurs de fonds. Dans cette étude nous ne sommes pas dans des situations de distinction : bénéficiaire – client.

faillites se sont dès 1987-1988 accélérées. Dans ce contexte, les éleveurs ont privilégié les logiques d’intérêts individuels sur la logique collective. Les dynamiques ont connu un éparpillement des initiatives. Comme ils n’avaient plus de coopérative, les éleveurs devaient assurer eux-mêmes leur commercialisation, le plus souvent en livrant directement leur bétail à l’abattoir.

Le retour à une certaine stabilisation, vers 1991, a permis de percevoir des logiques qui ont permis à certains élevages de se maintenir. Les élevages qui ont réussi à rester ont dû élaborer leurs propres objectifs techniques, économiques, commerciaux et redéfinir leurs moyens de fonctionnement (Letenneur, Matheron, 1991). De 1986 (arrêt du "Plan vert") à 1991, l’étude sectorielle commandée par l’ODEADOM, a procédé à une analyse suivant trois points :

i) l’abandon par faillite ;

ii) la reconversion partielle ou totale de la fonction élevage de l’exploitation ; iii) la consolidation des élevages qui ont su transformer leur mode de production.

En 1990, un rapport de l’INRA-SAD mentionne : « Parallèlement à la décomposition du

schéma d’élevage, s’est développé un lent processus de recomposition. Le schéma technique rigide imposé par le "Plan vert" n’est plus d’actualité. Le référentiel technique s’est enrichi et diversifié. Les contraintes et les limites des systèmes d’élevages tels qu’ils ont été mis en place sont mieux appréciées. Différentes alternatives techniques expérimentées par un ou plusieurs éleveurs sont maintenant admises. Chaque éleveur peut bâtir le système d’élevage qui lui convient le mieux. Les conditions existent pour qu’une nouvelle organisation collective soit créée afin de permettre aux éleveurs de progresser ».

42. Des techniques standard à l’ouverture des pratiques

L’état des pratiques au début du "Plan vert" incite à considérer ces pratiques plus comme des techniques au sens de Teissier (1978) : « Une technique est un ensemble ordonné

d’opérations ayant une finalité de production et pouvant être fondé soit sur des connaissances scientifiques, soit sur des connaissances empiriques, ou encore --- c’est probablement le cas le plus fréquent en agriculture --- sur un mélange des deux ». Techniques qui de plus ne

pouvaient pas s’inspirer des connaissances empiriques locales, puisque que le "Plan vert" a fait le choix de faire "table rase" des modes d’élevages en place. Quant aux connaissances empiriques amazoniennes voisines, elles étaient aussi juste embryonnaires. Après une approche "Plan vert" très standardisée des techniques, qui pouvait même amener des sanctions auprès des éleveurs qui s’avéraient déviants, le "déverrouillage" a permis aux éleveurs d’exprimer pleinement leurs pratiques nourries de toutes les observations empiriques acquises depuis leur arrivée.

La description du terme pratique par Teissier (même exposé, 1978), montre bien combien il est possible de suivre des techniques similaires mais par des pratiques propres à chaque éleveur : « Alors que les techniques peuvent être décrites indépendamment de l’agriculteur ou

de l’éleveur qui les met en œuvre, il n’en est pas de même des pratiques, si on désigne ainsi les activités élémentaires, ou les manières de faire, réalisées dans une perspective de production ; celles-ci sont en effet beaucoup plus liées à l’opérateur et en particulier aux conditions dans lesquelles il exerce son métier (milieu naturel, système de production, situation familiale…). Ainsi, l’utilisation d’une technique nécessite bien un ensemble de pratiques, mais ces pratiques peuvent être différentes. »

43. Des pratiques en évolution

Comme toute dynamique, de nouvelles pratiques ont surgi avant 1986. Toutefois la plupart ont commencé plus tard pour des raisons diverses.

Des raisons identitaires

La race créole ayant été presque exterminée, les races laitières ont été rapidement éliminées, seul restait le zébu brahman et sa couleur blanche, symbole du choix fait par le "plan vert". Pour des raisons identitaires et / ou de positionnement social au sens de Darré (1996), des races de couleur marron – rouge206 ont été importées afin de montrer que la page était tournée.

Des raisons économiques

Les intrants ont d’abord été fortement limités, voir abandonnés, notamment les engrais. Surtout ceux tertiaires (NPK, qui étaient les plus chers), l’urée ayant un coût à l’unité d’azote beaucoup plus compétitif, a trouvé des amateurs. Cette recherche d’économie de la fertilisation a aussi eu pour grand intérêt de valider en vraie grandeur des prairies associées en graminées et légumineuses (Béreau, 1995), chez un éleveur que Röling (1990) pourrait qualifier de "paysans chercheurs". L’entretien de certains investissements a été peu à peu laissé, comme pour les clôtures internes. Les reprises (restaurations) des prairies se sont espacées.

Des raisons de simplification

Les rotations ont souvent été très simplifiées207, cela s’accompagnant souvent d’une simplification du système d’allotement, voire même de son abandon. Suivant les élevages, le souci de simplification était bien réel, dans d’autres cas, l’illusion perdue concernant ce secteur de production s’avérait évident.

La demande sociale exprimée et constatée dans les pratiques

L’intensification du modèle initial portait aussi sur le travail, le manque de souplesse dans l’organisation. Des documents de l’INRA-SAD, 1989 et 1990, de Letenneur & Matheron (1991), du SEBOG en 1993…, il en ressort que les tendances principales portent sur une ouverture des techniques sans souhaiter les renier. Si le SEBOG sollicite un travail "d’assistance en continue" auprès du CIRAD-EMVT, c’est pour accéder à des connaissances scientifiques, sans être dans l’obligation d’application de techniques. Le tricotage de connaissances scientifiques et empiriques pour aboutir à des techniques comme le décrit Teissier devait pour ces leaders rester en leur possession ou au moins en négociation avec les partenaires qu’ils souhaitaient.

Les éleveurs tendaient à s’affranchir des intrants pour deux raisons majeures :

- le prix des intrants pour des pratiques qu’ils ne perçoivent pas comme ayant une incidence nette sur leur élevage ; Plus les structures sont petites plus l’abandon de la fertilisation est fréquente, des structures de tailles importantes ont aussi abandonné l’usage des engrais,

- l’éloignement de la Guyane des grandes "routes" commerciales tendait aussi certains éleveurs de s’affranchir autant que possible de cette dépendance.

206 En premier la race Salers.

207

L’entretien des prairies devenait prioritaire dans un contexte de basse trésorerie et de valorisation (amortissement agronomique) plus longue des prairies implantées. Le retournement des prairies infestées tous les trois-quatre ans pouvait de moins en moins être couvert financièrement par des systèmes plus extensifs avec des pratiques plus souples. Les interventions connues à l’époque, comme le rotobroyage, s’avéraient aussi fastidieux. Cette pratique mécanique, bien qu’apparemment peu lourde en trésorerie, limite la durée de vie des investissements (en l’occurrence le tracteur). Certains éleveurs ont eu recours au désherbage, moyen qui peut être plus économique, mais demande généralement plus de connaissance et d’entraînement.

Les conduites des troupeaux, en croisant les modalités de rotation, de charges, d’allotement, étaient totalement remises en cause. Cela se traduisait déjà par des parcellaires qui ne permettaient plus de réaliser des rotations de très courtes durées (comme indiqué dans le modèle intensif). Cette souplesse en conduite du bétail s’est donc souvent traduite par une ouverture de toutes les portes internes au parcellaire et à une divagation du cheptel dans un contexte le plus souvent de très faible pression globale ; ce qui induisait dans le cas des pâturages libres, une forte pression sur les repousses des plantes fourragères les plus appétantes. Ces plantes sous forte pression pouvaient disparaître au cours d’une saison.

Les professionnels qui ont sollicité le CIRAD-EMVT dès 1993–1994 étaient conscients de cette fragilisation des systèmes d’élevage, mais ne voulant pas revenir à des modèles trop stricts. Ils souhaitaient néanmoins bien tester des techniques pouvant faciliter le travail de l’exploitation. Les premières tâches ont d’abord concerné des techniques précises, notamment sur les moyens curatifs de gestion des prairies infestées par des broussailles. Au-delà, c’est l’ensemble du fonctionnement du système herbager et d’élevage que ces éleveurs voulaient voir aborder.

Figure n° 76 : Cliché, Mesure hauteur d’herbe.

Figure n° 77 : Méthode de mesure des fréquences sp écifiques

Figure n° 78 : Cliché, jeunes plantules de Mimosa pudica et Spermacoce verticillata en

Figure n° 79 : Cliché, prairie de Brachiaria decumbens en cours d’infestation par Mimosa pudica.

PARTIE III :