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« Quoiqu’il nous apparaisse sous la forme d’un objet fixe, le texte présente toujours les traces du temps auquel a été soumis l’auteur et dans lequel évoluent les personnages1. »

La dualité temporelle évoquée par Gérard Genette met en lumière le décalage entre le temps de l'histoire et le temps du récit. Ce décalage peut se manifester à différents niveaux : ordre, durée et fréquence.

Le récit (diégésis) n'est pas la stricte reproduction (mimésis) de la réalité. Il possède un temps propre. En optant pour un personnage narrateur et en privilégiant les scènes, Xavier-Laurent Petit semble favoriser une narration simultanée la plupart du temps conduite au présent. En effet, dans les treize romans du corpus, le temps de la narration et celui de l’action deviennent pratiquement synchrones ou plutôt donnent l’illusion de l’être.

Le temps de la narration

« La principale détermination temporelle de l'instance narrative est évidemment sa position relative par rapport à l'histoire2. » Gérard Genette identifie

1MILLY Jean, Poétique des textes, Paris, Armand Colin, 2008, (2ème édition), p. 123.

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différents types de narration1 parmi lesquels la narration ultérieure, très fréquente, où le récit est au passé, avec un regard rétrospectif.

Sur l'ensemble du corpus, Xavier-Laurent Petit a choisi d’écrire une grande partie de ses récits au passé : la trilogie mongole (153 jours en hiver, Le col des Mille Larmes, La route du Nord), Be safe, L'attrape-rêves, Maestro, Les yeux de Rose Andersen, Itawapa, et Un monde sauvage. Imparfait et passé composé articulent habilement l’ensemble de ces textes. Pour ces neuf romans, la narration est donc ultérieure, car « elle rapporte des événements après qu’ils ont eu lieu2. »

Pourtant, notamment à l’aide de très nombreux dialogues, l’auteur parvient à présenter une succession d’instants racontés aussitôt qu’ils sont vécus. Ces dialogues, exprimés au présent, interrompent le récit à l’imparfait et font croire au lecteur que l’histoire est vécue au moment même.

Dans Les yeux de Rose Andersen, la règle du « je » donne aux romans une fausse allure autobiographique et tente par un style direct abondant d’abroger la distance qui sépare les trois temps du pacte de lecture. Il semblerait qu’il y ait alors transformation de cette durée sans laquelle il ne peut y avoir de récit. Le temps de l’action coïnciderait presque avec le temps de la narration et celui de la lecture :

Le bout de sa cigarette brillait dans l’obscurité.

- C’est à peine si on peut imaginer tout ça, nous autres ! - Tu y es déjà allé ?

- Ouaip… Une fois.

- Alors t’as vu les toits en or ?

- Non. Je ne suis pas allée assez loin. J’avais à peine passé la frontière que leurs policiers m’ont pris et ramené ici.

- T’avais pas le droit d’y aller ?

- Ouaip… Pas le droit… Et puis j’ai pas une tête de riche. - C’est quoi une tête de riche ?

1 Ibid., p. 229, 230 et 231.

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- Une fois, à Tijuales, j’ai vu une femme rousse comme de l’or, une ranjera, avec une peau si blanche et si fine qu’on aurait dit la sainte Vierge en personne. Tout le monde se taisait à son passage, les hommes comme les femmes. Ses yeux étaient verts… Verts comme des dollars !

- Comme des dollars, répétait Guillermo, les pupilles écarquillées.

Moi, je ne disais pas un mot. J’essayais juste d’imaginer la femme aux yeux verts. Avec des yeux pareils, il devait suffire de regarder le monde pour le transformer en or1.

Nous sommes ici face à une scène qui donne l’illusion d’une coïncidence parfaite entre le temps qu’on met à lire l’ensemble du passage et le temps qu’il met à se dérouler.

Tout au long du roman, le personnage narrateur entre en confidence, nous livre ses sentiments et le lecteur devient alors témoin de ses aventures. Finalement, alors que rejeter l’action dans le passé favoriserait un recul critique, à aucun moment le personnage focalisateur n’est en mesure de prendre de la distance par rapport aux événements de l’histoire.

Les seules réflexions des personnages proviennent de l’instant présent, comme dans cet extrait de 153 jours en hiver, alors que Galshan compte plus de vingt jours passés chez son grand-père :

Elle aurait été incapable de dire si c’était court ou très long. Par rapport aux cent cinquante-trois jours, c’était presque rien, et pourtant, elle avait l’impression d’être ici depuis une éternité. Comme si elle y était née2...

Itawapa est un des romans du corpus qui présente une temporalité particulière portée par une double focalisation. La première partie, racontée par un narrateur extra-diégétique se déroule en 1974. Le second récit, mené à la première personne par le personnage adolescent (Vitalia), se situe trente-six ans après, en 2010. Ces deux narrations ultérieures, présentées l'une à la suite de l'autre, sont pourtant liées et

1 PETIT Xavier-Laurent, Les yeux de Rose Andersen, op. cit., p. 12 et 13.

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s'articulent jusqu'à résoudre la disparition de la mère de Talia. Les deux récits, écrits au passé, se font écho pour reconstituer l'ascendance de l'héroïne. La jeune narratrice mène ainsi l'enquête sur ses origines et finira par découvrir ce que le lecteur sait déjà. En présentant la première partie qui laisse peu de doute sur la solution du mystère, Xavier-Laurent Petit délaisse le suspense au profit d'une certaine dramatisation.

Pour finir, trois romans du corpus seulement sont écrits au présent (Piège dans les Rocheuses, L'oasis et Mon petit cœur imbécile), ce qui renforce considérablement le lien entre le narrateur personnage et le lecteur et fait de ces textes écrits à la première personne une forme de littérature intime véritablement proche. Le présent du personnage est le présent du narrateur et donne parfaitement l’illusion d’être le présent du lecteur. Ce dernier devient alors contemporain de Sisanda :

Dans ma bouche, c’est tout amer. Le goût du médicament d’Apollinaire. J’essaye de me rappeler ce qui est arrivé. J’écoute encore… La voix rocailleuse de grand-mère Thabang est toute proche. Si je l’entends, c’est que je suis vivante, non ?... Je n’en suis pas très sûre1.

Dans ces trois romans, l’utilisation du présent permet également de refléter les habitudes des personnages et d’aborder certaines généralités : « L’hôpital est à six heures de route2 », « J’ai l’habitude de rester seul à la maison le jeudi3 », « Le soleil illumine une dernière fois les sommets et plonge derrière les montagnes4 » …

Mais en faisant du présent son principal temps de narration, l'écrivain met surtout en avant sa valeur essentielle qui est d'exprimer des faits actuels et de donner l'impression que tout se déroule sous les yeux du lecteur. Nous sommes donc face à une narration simultanée, conduite au présent, où le temps de l'histoire racontée paraît correspondre à celui de la narration. Ce choix narratif offre une certaine dramatisation au récit, tout en entretenant la focalisation : le personnage raconte les événements qu'il est en train de vivre.

1 Id., Mon petit cœur imbécile, op. cit., p. 80.

2 Ibid., p. 16.

3Id., L’oasis, op. cit., p. 49.

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Fils de guerre est le seul roman qui alterne la narration au passé (témoignages de Jozef lors des enregistrements) et la narration au présent (récit du narrateur à qui Jozef confie son histoire). Nous sommes ici face à une narration intercalée où plusieurs actes narratifs sont insérés entre les événements. Ce type complexe de narration allie finalement la narration ultérieure et la narration simultanée. Le lecteur navigue entre les souvenirs racontés par Jozef d'une part et le récit porté par un narrateur d'autre part, ce dernier nous plongeant en plein cœur de l'histoire. Cette articulation habile permet, à la façon d'un reportage, de combiner étroitement témoignages et observations. L'effet de réalité est saisissant.

Au sein de tous ces récits pourtant, qu'ils soient écrits au passé ou au présent, la mémoire et l’attente constituent, dans chacun des treize romans, deux modalités au temps de l’action. En racontant donc, chaque narrateur donne une existence au passé et au futur.

La distribution des éléments chronologiques

Le récit raconte une histoire, mais celle-ci est composée d'une suite d'événements qui ne sont pas forcément énumérés dans leur ordre.

Étudier l'ordre temporel d'un récit, c'est confronter l'ordre de disposition des événements ou segments temporels dans le discours narratif à l'ordre de succession de ces mêmes événements ou segments temporels dans l'histoire, en tant qu'il est explicitement indiqué par le récit lui-même, ou qu'on peut l'inférer de tel ou tel indice indirect1.

L'écrivain pourrait ainsi faire coïncider l'ordre des événements racontés et l'ordre de leur présentation dans l'histoire. Mais ce n'est pas le cas : la majorité des récits ne respectent pas l'ordre chronologique. Chez Xavier-Laurent Petit, la narration ne se déroule pas au même rythme que le temps de l’histoire. « En effet, le temps

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poursuit une progression immuable que le récit ne respecte pas nécessairement, qu’il bouleverse au contraire presque toujours à son gré1. »

Le maintien en éveil du jeune lecteur repose essentiellement sur cette progression narrative : l’auteur peut revenir sur des faits antérieurs ou bien anticiper ceux à venir. De façon générale, le lecteur est progressivement mis au courant de la situation des personnages. Parallèlement, des descriptions (pauses) et des dialogues (scènes) ralentissent la progression de l’action et apparaissent comme de véritables stratégies de retardement. Dans son étude des anachronies, Gérard Genette analyse ces retours sur les événements passés : les analepses « ne risquent à aucun moment d'interférer avec le récit premier, qu'elles ont seulement pour fonction de compléter en éclairant le lecteur sur tel ou tel antécédent2. » Ces renvois servent le plus souvent à expliquer la situation présente ou à justifier la réaction d'un personnage. La plupart des analepses rencontrées dans les textes du corpus sont externes : les événements passés racontés précèdent le point de départ de l'histoire proprement dit. Elles sont également partielles : chaque retour en arrière s'achève en ellipse, les événements passés racontés ne rejoignant pas le récit premier.

Xavier-Laurent Petit a fondé les romans du corpus en partie sur la vie intérieure de chaque héros. La formation d’une pensée personnelle et d’une conscience va donc tout naturellement impliquer quelques retours en arrière.

Ainsi, des analepses renseignent le lecteur au sein de la plupart des romans :

Titres Analepses

Piège dans les Rocheuses (Etats-Unis)

1999

- Le père de Gustin évoque son enfance et la guerre du Vietnam (p. 68 et 67) - L’oncle raconte la guerre du Vietnam (p. 95 à 99)

- Gustin découvre des coupures de journaux qui le ramènent en 1973, 1974 et 1976 (p. 109)

- L’oncle explique ce qui s’est passé au tribunal militaire (p. 117 à 121) - Le père évoque les années passées en France (p. 166 et 167)

Be safe (Etats-Unis)

2007

- L'accident qui a broyé la jambe du père (p. 27) - Le passé militaire du père au Vietnam (p. 65)

- Evocation de Steve, l'oncle des garçons, et de sa mort (p. 203 et 204)

L'attrape- rêves - Louise évoque la visite de son professeur pour convaincre son père de la laisser faire des études (p. 12 et 13)

1 OTTEVAERE-VAN PRAAG Ganna, Le roman pour la jeunesse, op. cit., p. 115.

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(Etats-Unis) 2009

- Louise revient sur le départ de sa mère (p. 44)

Les yeux de Rose Andersen (Mexique)

2003

- Adriana évoque son grand-père et son ancienne vie dès l’incipit

Maestro (Bolivie) 2005

- Saturne évoque ses parents à Llallagua (p. 39)

- La grève et l'accident qui a coûté la vie à son père (p. 79)

- Le Maestro se confie sur sa jeunesse et son amitié avec le président actuel (p. 160)

Itawapa (Brésil) 2013

- Vitalia parle de son père qu'elle n'a jamais connu (p. 23) - Le grand-père commence à évoquer un passé honteux (p. 146) - Retour sur l'année 1974 (p. 193)

L’oasis (Algérie)

1996

- Elmir raconte comment la boutique de Nourrédia devient leur repaire (p. 14) - Evocation de la guerre d’indépendance (p. 24)

- Elmir explique combien la mère de Naïa est coquette et à quel point cela lui a déjà joué des tours (p. 32)

Mon petit cœur imbécile (Kenya)

2009

- Sisanda raconte sa naissance dans le chapitre 4 et l’origine de sa maladie - Sisanda évoque la rentrée des classes et la nouvelle maîtresse (p. 32 et 33) - Evocation du marathon de l’an passé (p. 37) grâce au vieux journal

Fils de guerre (Ex-Yougoslavie)

1999

Pas d'analepses. Tout le roman est construit autour de 2 temporalités.

153 jours en hiver (Mongolie)

2002

- Le narrateur évoque la rencontre entre les parents de Galshan (p. 21) - Le grand-père raconte le dressage de son premier aigle (p. 59)

Le col des Mille Larmes (Mongolie)

2004

- Le grand-père se rappelle que sa petite fille lui a sauvé la vie (p. 44) - Uugan évoque sa mauvaise expérience du collège et comment il a été secouru par le grand-père de Galshan (p. 94 et 95)

- Le père raconte son aventure avec les hommes sauvages (p. 172 à 174)

La route du Nord (Mongolie)

2008

- Galshan pense à l'aigle qu'elle a dressé (p. 7 et 8)

- Elle retrouve Uugan et se rappelle comment il a été recueilli par son grand-père (p. 34)

- Retour sur l'accident du père (p. 49)

Un monde sauvage (Russie)

2015

- Retour sur le petit frère et sa "différence" (p. 50)

-Madame Sniejana parle de la mort de son mari et évoque les camps (p. 62, 63 et 64)

- Le professeur évoque sa propre condamnation il y a 43 ans (p. 157 et 158)

Souvent à la suite d’un événement déclencheur, apparemment banal, le personnage narrateur réactive sa mémoire et nous livre son souvenir comme une pièce de puzzle. Il est important de noter que le déroulement chronologique de chaque roman du corpus est perturbé plusieurs fois et que nous y retrouvons ce même procédé qui consiste, par le biais de la mémoire, à introduire du passé dans les scènes de

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dialogues. Les événements racontés ainsi sous forme de souvenirs ou d’explications historiques jalonnent le récit et en perturbent la chronologie.

Pourtant, à la différence des autres romans, qui concentrent principalement les souvenirs sur le personnage principal, Piège dans les Rocheuses renferme de véritables retours en arrière reposant sur les personnages adultes du récit : le père et l’oncle de Gustin. Nous pensons que cela renforce l’impression didactique d’ensemble : l’auteur souhaite avant tout parler de la guerre du Vietnam, de ses terribles séquelles et donner au lecteur quelques clefs culturelles pour bien appréhender son récit. Nous retrouvons ce procédé dans Be safe qui insère dans son histoire cette même évocation de la guerre du Vietnam (vécue par le père) ainsi que dans Un monde sauvage qui évoque les camps de prisonniers en Sibérie.

Dans ces trois romans, la place des documents d’archives (photographie, coupures de journaux, extraits du procès) apparaît primordiale et s’inscrit dans la lignée d’une véritable enquête.

Au sein de la trilogie mongole (153 jours en hiver, Le col des Mille Larmes et La route du Nord), un certain nombre d'analepses reprennent des éléments des épisodes antérieurs. Des notes de bas de page renvoient ainsi aux romans précédents et semblent encourager le jeune lecteur à poursuivre la découverte des aventures du personnage focalisateur. Ainsi, la quatrième de couverture du dernier roman, La route du Nord, reprend cette résonance : « Retrouvez Galshan dans 153 jours en hiver et Le col des Mille Larmes. »

Enfin, Les yeux de Rose Andersen présente lui aussi une construction originale reposant sur un système d’échos qui ponctuent le récit et rythment la chronologie à la façon d’un tourbillon de vie et d’une succession de hasards qui accompagnent Adriana vers des temps meilleurs. La scène de la séquence d’ouverture est réactivée un peu plus tard : « Tu te souviens, quand Grand-pa nous emmenait sur la mesa1 ? ... » De la même façon, le feu d’artifice, admiré dans cette deuxième scène, est rappelé beaucoup

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plus loin : « Le souvenir de cet autre feu d’artifice qu’on avait regardé, un soir, avec Guillermo est remonté comme une bulle à la surface de l’eau1. » La construction narrative s'appuie régulièrement sur la reprise des événements, imprégnant le récit d'un concept de cycle et de continuité. La dette de 4000 dollars2 qu’Adriana doit rembourser une fois arrivée aux États-Unis fait directement écho aux 1000 dollars3

nécessaires pour passer la frontière, et l’idée de chance intervient par deux fois, pour le passage de la frontière puis lorsqu’Adriana voudrait que son frère arrête la drogue : Ils veulent tous arrêter ! Tous ! Mais heureusement pour moi, il n’y en a pas deux sur cent qui réussissent.

"Pas deux sur cent"… Exactement les mêmes mots que Mama Yosefa avait employés lorsque le père lui avait parlé de son projet de passer la frontière.

Mais moi, j’avais réussi4.

Seul le roman Fils de guerre ne renferme aucune analepse. Cette spécificité peut s'expliquer par la manière dont le thème de la guerre est accentué à travers un éclatement du temps et des éléments chronologiques. En observant les dates des enregistrements de Jozef, qui ne sont pas livrés chronologiquement, nous remarquons que l'auteur privilégie le désordre et le chaos dans le témoignage même du jeune garçon : chapitre 2 (9 mars5) - chapitre 4 (15 février6) - chapitre 7 (28 décembre7) - chapitre 9 (7 avril8)… Le premier enregistrement, daté du 20 décembre, où Jozef raconte l'exil de sa famille qui quitte le village pour la montagne, est retranscrit au chapitre 21 :

Depuis plusieurs jours, Jozef s'intéresse de près au magnétophone que je porte en bandoulière. Je lui ai expliqué comment ça fonctionnait et il a déjà eu l'occasion d'écouter les voix d'autres personnes que j'ai interrogées. Mais aujourd'hui, pour la

1 Ibid., p. 147.

2 Ibid., p. 128.

3 Ibid., p. 49.

4 Ibid., p. 166.

5 Id., Fils de guerre, op. cit., p. 13.

6 Ibid., p. 17.

7 Ibid., p. 29.

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première fois, il me lance sa petite phrase : « Si ça t'intéresse, tu sais, tu peux appuyer sur la touche de ton appareil1… »

Pas de retour en arrière donc, les enregistrements du jeune héros transmettent des événements qui ont été remis en ordre par le narrateur. La chronologie de l'histoire réapparaît donc ainsi respectée au sein d'un cadre spatio-temporel rigoureux.

Les prolepses, plus rares, se rencontrent davantage dans les récits autobiographiques : « l'anticipation, ou prolepse temporelle, est manifestement beaucoup moins fréquente que la figure inverse2. » Si les analepses détiennent une fonction explicative, les prolepses possèdent plutôt une fonction d'annonce et font ainsi peser un certain poids destinal sur le récit. Une nouvelle fois, c'est la construction d'une pensée personnelle qui va permettre cette anticipation :

Le récit « à la première personne » se prête mieux qu'aucun autre à l'anticipation, du fait même de son caractère rétrospectif déclaré, qui autorise le narrateur à des allusions à l'avenir, et particulièrement à sa situation présente, qui font en quelque sorte partie de son rôle3.

153 jours en hiver, par exemple, contient un déroulement perturbé par une échappée dans un futur prospectif. Il s’agit de la prédiction du grand-père de Galshan incluse dans la conversation avec l’inspecteur du district :

- Alors, c’est un signe qui ne trompe pas. Dans quelques heures, le Djout va s’abattre sur la région. Le vent du nord qui va se lever sera terrible. Il fera encore plus froid qu’aujourd’hui, plus froid peut-être que tu n’as jamais connu depuis ta naissance ! Ni toi ni moi, ni ton commissaire principal n’auront envie de se risquer sur les pistes par un temps pareil4.

Cette projection dans le futur permet bien évidemment d’amplifier la solennité de l’instant et la mise en intrigue. Une telle scène renforce l’aspect dramatique et

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