• Aucun résultat trouvé

En nous appuyant sur les caractéristiques de la littérature de voyage et celles du roman d'aventures, il s'agit désormais d'examiner comment l’auteur réussit à rompre avec les unités significatives habituelles de la littérature pour la jeunesse.

Matthieu Letourneux, dans son étude sur le roman d'aventures5, genre largement destiné à la jeunesse, évoque l'importance du dépaysement spatial et le cite comme un critère distinctif. En effet, le concept même d'aventure, lié à l'idée de hasard et de risque, est très tôt associé à la forme du voyage. L'espace étranger devient alors

1 Le Dasein signifie : c'est là que l'être est.

2 HEIDEGGER Martin, Être et Temps, trad. François Vezin, Paris, Gallimard, 1986.

3 TROVATO Vincent, Le concept de l'être-au-monde chez Heidegger, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 19.

4 URBAIN Jean-Didier, op. cit., p. 94.

82

un cadre propre à l'aventure : « un univers de fiction recherchant le plus grand écart avec l'expérience quotidienne, favorisant ainsi l'immersion du lecteur1. » Mais dans les romans de Xavier-Laurent Petit, si le dépaysement est une échappée du cadre quotidien, une perte de repères, le traitement des personnages renforce incontestablement la proximité. Cet équilibre entre l'éloignement géographique et l'appréhension des personnages dans un rapport émotionnel reflète toute la tonalité de l'œuvre de l'auteur. Ainsi, la dynamique narrative, dans chacun des treize romans, sera sans doute profondément liée à la faible distance séparant le lecteur du personnage. Quant à l’espace, prioritairement perçu lors des descriptions, ne devrait-il pas mettre en scène un adevrait-illeurs plus ou moins lointain ?

À la lumière du concept du chronotope fondé par Bakhtine, « la corrélation essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu'elle a été assimilée par la littérature2 », nous nous proposons donc de relever les différents motifs qui s'inscrivent dans le temps et l'espace.

2-a- Les unités significatives habituelles

De nombreux romans pour la jeunesse se rejoindraient sur la question du temps et de l’espace : « plus de 60% des récits ont pour cadre l'Occident contemporain, à savoir l'Europe ou l'Amérique du Nord après 19603. » L'espace narratif se réduit par conséquent bien souvent à l'univers familier, un environnement immédiat guère éloigné de l'expérience du jeune lecteur. Daniel Delbrassine évoque longuement cette stratégie de la tension qui repose sur « un JE narrateur qui s'exprime ICI et MAINTENANT4 ». Cette tendance à situer l'action dans un espace-temps proche du «

1 Ibid., p. 39.

2 BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 237.

3DELBRASSINE Daniel, « Deux stratégies de séduction du lecteur dans le roman contemporain » in Le livre pour enfants, Regards critiques offerts à Isabelle Nières-Chevrel, Rennes, PUR, 2006, p. 140.

83

déictique absolu1 », souvent comparée au direct audiovisuel, est très présente dans les romans pour adolescents. En conséquence, il nous apparaît judicieux de s'interroger sur les relations entre le temps des histoires de notre corpus et le temps des récits. Toutefois, la représentation de l'espace étant au cœur des réalités présentées au lecteur juvénile, nous examinerons les techniques et les enjeux des descriptions accompagnant l'aventure spatiale.

Temps compressé

« Pour le lecteur, le récit est d’abord une affaire de temps. Tout récit lui offre l’occasion de vivre une expérience temporelle2. » Claude Le Manchec insiste sur les deux modalités du présent : mémoire et attente. En racontant, l'écrivain donne une existence au passé (événements racontés) et au futur (événements à venir). Le récit chemine ainsi au rythme des chapitres. Mais le temps raconté dans les romans pour les adolescents évoque rarement plusieurs générations. Pour la plupart d’entre eux, l’histoire se déroule sur une année scolaire, voire durant les vacances d’été.

Cette étonnante règle de l'unité de temps, qui n'est pas sans rappeler la dramaturgie classique, tente d'approcher au plus près la vérité scénique. En faisant presque parfois coïncider la durée de l'action et celle de la réception, l'auteur semble opter pour une certaine « esthétique de l'urgence qui caractérise cette représentation de l'adolescent3. » Xavier-Laurent Petit présente ainsi de jeunes héros sur une durée qui ne dépasse pas véritablement l’année, mais qui s’installe en moyenne sur 200 pages et 40 chapitres :

1 Ibid.

2 LE MANCHEC Claude, L’adolescent et le récit, Paris, L’École, 2000, p. 111.

84 Titres Nombre de pages Nombre de chapitres Durée de

l'histoire Âge du jeune héros Âge ciblé (lecteur) Mon petit cœur

imbécile 2009

134 39 47 jours 9 ans 9 à 12 ans

Fils de guerre

1999 167 56 Une année 12 ans 12 à 16 ans Piège

dans les Rocheuses

1999

172 16 Vacances d'été Va au collège Dès 11 ans

153 jours en hiver

2002 172 34 Cinq mois Va au collège Dès 11 ans Le col

des Mille Larmes 2004

183 34 Une saison Va au collège Dès 11 ans

Maestro

2005 190 44 Une année 14 ans 12 à 16 ans Les yeux de Rose

Andersen 2003

191 29 Une année 12 ans 12 à 16 ans

Itawapa

2013 197 46 Une semaine 15 ans 12 à 16 ans La route du Nord

2008 201 35 semaines Deux Va au collège Dès 11 ans L’oasis

1996 205 30 Une saison Va au collège 12 à 16 ans Un monde

sauvage 2015

253 48 Six mois Va entrer au lycée 12 à 16 ans

Be safe

2007 259 55 Une année Va au collège 12 à 16 ans L'attrape-rêves

2009 276 54 Deux ans 16 ans 12 à 16 ans Les romans sont clairement écrits à destination des adolescents. Lorsque l'âge n'est pas indiqué dans l'histoire, le monde du collège y est malgré tout spécifiquement représenté. Le roman le plus court, Mon petit cœur imbécile, s'adresse à des lecteurs dès 9 ans. Les autres ouvrages de l'auteur, plus longs, visent un public plus âgé et le dernier

85

ouvrage, Un monde sauvage, s'inscrit dans cette lignée puisqu'il renferme 253 pages sur un plus grand format broché.

Les premiers chapitres sont bien souvent consacrés à la présentation du personnage sur plusieurs jours : ce dernier « ouvre un œil1 » ou « entrouvre les paupières2. » D’autres précisions quant au jour peuvent rythmer le récit : « Le jour était levé depuis longtemps3 » ou bien « J’ai l’habitude de rester seul à la maison le jeudi4. » Les héros se font connaître et chaque histoire commence par de brèves réflexions, de référence à un moment crucial. L'auteur fait ainsi jouer les ressorts de l'identification et la substance du récit va jusqu'à se confondre avec une vision juvénile réaliste.

Les treize personnages focalisateurs sont donc évidemment jeunes, à l’image du récepteur : de 9 ans pour Sisanda, qui va à l’école, à une quinzaine d’années. En effet, exceptés Saturne et Adriana, qui travaille après être allée à « l’école de la mission5 », les autres adolescents vont au collège ou au lycée : Galshan, par exemple, « n’est plus une enfant6 », mais plutôt « une fille d’une douzaine d’années7 », Felitsa est dans la classe de « madame Sniejana, la seule et unique prof de la seule et unique classe de Slobodnié8 » et ira ensuite « au lycée, faire des études9. »

Lorsque le personnage narrateur n'est pas scolarisé, il apparaît bien plus hasardeux d'identifier l'âge de l'adolescent. Toutefois, quelques indices sont soumis au lecteur et ce dernier peut être amené à effectuer différents calculs. Dans Maestro par exemple, il faudra attendre le chapitre 18 pour comprendre que Saturne est âgé de quatorze ans :

1 PETIT Xavier-Laurent, Piège dans les Rocheuses, op. cit., p. 17.

2 Id., Mon petit cœur imbécile, op. cit., p. 12.

3 Id., 153 jours en hiver, op. cit., p. 27.

4 Id., L’oasis, op. cit., p. 49.

5 Id., Les yeux de Rose Andersen, op. cit., p. 10.

6 Id., 153 jours en hiver, op. cit., p. 16.

7 Ibid., p. 167.

8 Id., Un monde sauvage, op. cit., p. 23.

86

Je détestais le Mensajero. Il ne me rappelait que de mauvais souvenirs depuis que, trois ans plus tôt, il m'avait réveillé en pleine nuit. je venais d'avoir onze ans et Luzia n'était encore qu'une petite puce de quatre ans1. C’est d’ailleurs le travail des enfants, également abordé dans Les yeux de Rose Andersen, qui permet au lecteur de cerner l’âge de la jeune narratrice :

Le hangar était encombré d’énormes cuves métalliques autour desquelles s’activaient des dizaines d’enfants avec des brosses, des éponges, des seaux… Filles ou garçons. Dix ou douze ans, pour la plupart, mais les plus jeunes n’avaient pas beaucoup plus de sept ou huit ans. J’étais de loin la plus âgée, mais « souple comme une liane », avait dit le père.2

Maestro met également en scène les enfants des rues qui travaillent pour survivre. Saturne, jeune héros cireur de chaussures, avoue portant savoir lire : « Je me débrouille. Avant, j'allais à l'école3. »

De la même façon, tous les romans du corpus présentent leur jeune personnage sur une durée relativement courte, le récit oscillant entre 15 jours et presque deux ans. Gustin ne reste auprès de son père que le temps des vacances et reprend l’avion « alors que le mois d’août n’en a plus que pour quelques jours4. » Dans L’oasis, l’emploi du temps d’Elmir est rythmé par les jours de collège et s’étend sur une saison, de « malgré l’hiver qui approche5 » à « avec le début du printemps6. » Adriana mettra, quant à elle, plus d’une année pour franchir la frontière et trouver du travail. Avant le passage, elle évoque le feu d’artifice en l’honneur de la fête nationale des ranjeros, sans aucun doute un 4 juillet7, puis, passé l’autre côté de la frontière, la date du 24 juin8 et la « fin juillet9 ».

Chez Xavier-Laurent Petit, les récits relèvent donc de cette unité temporelle. Le temps compressé garantit un accroissement de l'efficacité, en rendant l'action plus

1 Id., Maestro, op. cit., p. 76.

2 Id., Les yeux de Rose Andersen, op. cit., p. 53.

3 Id., Maestro, op. cit., p. 35.

4 Id., Piège dans les Rocheuses, op. cit., p. 165.

5 Id., L’oasis, op. cit., p. 36.

6 Ibid., p. 197.

7 Id., Les yeux de Rose Andersen, op. cit., p. 62.

8 Ibid., p. 141.

87

vraisemblable : le lecteur juvénile n’a pas affaire à des narrations de vie, mais à des périodes précises, qui cristallisent sur des événements charnières, à l'échelle des vies adolescentes.

Selon le sociologue Gilles Pronovost, le rapport au temps des adolescents est une quête et l'horizon temporel dans lequel se situe le jeune dépend étroitement de son expérience de vie. Le chercheur identifie volontiers une culture du temps présent, qui se traduit différemment, par un désir de liberté ou bien un repli sur soi :

On a souvent retenu de la « culture jeune » cette idée de refuge dans l’immédiat, cette quête de jouissance dans l’instant. Pour un très grand nombre de jeunes, il est vrai que l’horizon est celui d’un temps court1.

Bien sûr, certains adolescents parviennent à se situer dans un temps long, notamment en se construisant une représentation structurée autour de projets d'avenir. Mais il s'avère que plus la vision du monde est négative, voire douloureuse, moins il reste de place pour un accroissement de l'horizon temporel. Cette résistance à l'emprise du temps nous paraît significative de l'univers du lecteur adolescent, ce qui nous amène tout naturellement à penser que le temps compressé est ici une affaire de réception. Séduire le lecteur, miser sur la proximité et l'identification, encouragent aujourd'hui les auteurs à se plonger dans une temporalité adolescente.

Nous sommes donc face à un temps raconté plutôt réduit où l'alternance école/vacances accompagne les jeunes personnages scolarisés. Dans Be safe, les chapitres permettent aisément ce repérage dans le temps grâce au nom des mois inscrits : du mois de juillet (chapitre 1) au mois d'août de l'année d'après (chapitre 53), inscrivant le récit dans un semblant de journal intime…

Dans son « Introduction à l'analyse structurale du récit2 », Roland Barthes évoque les fonctions, des unités de contenu. Selon lui, tout, dans le récit, est

1 PRONOVOST Gilles, « Le rapport au temps des adolescents : une quête de soi par-delà les contraintes institutionnelles et familiales », Informations sociales 3/2009 (n° 153) , p. 22 à 28.

http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2009-3-page-22.htm

2 BARTHES Roland, Introduction à l'analyse du récit, article paru originalement dans la revue Communications n°8 (1966) http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1966_num_8_1_1113

88

fonctionnel, car tout a un sens. Mais les épisodes pivots de l'histoire, indispensables à l'intelligibilité du récit, ont une fonction cardinale. Ce sont ces unités charnières que l'auteur prend le temps de développer. À partir de certains événements importants, le temps du récit ralentit donc sensiblement et les journées peuvent alors s’étendre sur plusieurs chapitres, mettant en avant les moments clés de chaque histoire : des passages dramatiques, des dialogues, véritables scènes où la durée du récit s'approche de celle de l'histoire.

Titres Événements importants Chapitres Piège dans les Rocheuses

1999 Gustin est agressé et retenu en otage 6, 7, 8, 9 et 10 Be safe

2007 La 1ère journée : l'engagement du frère et les réactions de chacun 1, 2, 3, 4 et 5

L'attrape- rêves

2009 Le vol des explosifs, la fuite et l'arrestation Le jour de l'arrivée de Chems

1, 2, 3, 4 et 5 45, 46 et 47

Les yeux de Rose Andersen

2003 Le passage de la frontière 14, 15 et 16 Maestro

2005 La rencontre avec le "Maestro" Le jour des émeutes 30, 31, 32, 33 et 34 5, 6 et 7

Itawapa

2013 Le 1er jour à Itawapa, début de l'enquête Le 7ème jour, le massacre

5, 6 et 7 23, 24, 25, 26 et 27

L’oasis

1996 La fugue d’Elmir 22, 23 et 24 Mon petit cœur imbécile

2009 Le marathon 34, 35, 36, 37 et 38 Fils de guerre

1999 Le jour où la famille doit s'exiler à la bergerie 21, 22 et 23

153 jours en hiver

2002 Le grand-père part abattre les loups Le dressage de l’aigle 25, 26, 27 et 28 11, 12 et 13

Le col des Mille Larmes

2004

Sur les traces du père disparu 22, 23, 24, 25 et 26

La route du Nord

2008 campement et remarque la sécheresse Le 1er jour : Galshan fait le tour du 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8

Un monde sauvage

89

Nous pouvons remarquer que dans chacun des textes du corpus, les épisodes pivots de l'action sont ainsi organisés sur plusieurs chapitres. L'auteur y raconte en détail les événements tels qu'ils se sont passés : il décrit le décor, l'ambiance, fait parler les personnages, ce qui ralentit considérablement le rythme du récit. Parfois, c'est le contraire, le rythme s'accélère et l'auteur résume les autres événements de l'histoire, des actions plus secondaires.

En accordant de l'importance à certains événements de l'histoire, ou bien en les passant sous silence, l'auteur va créer des effets de rythme qui entretiendront l'intérêt du lecteur. Pour mesurer ces variations de rythme, Gérard Genette introduit la notion de vitesse :

On entend par vitesse le rapport entre une mesure temporelle et une mesure spatiale [...] : la vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l'histoire, mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur : celle du texte, mesurée en lignes et en pages1.

Le point de référence, le « degré zéro2 » serait la coïncidence entre le temps de l'histoire et celui du récit, état improbable sur lequel Genette écrit : « Le récit isochrone, notre hypothétique degré zéro de référence, serait donc ici un récit à vitesse égale, sans accélérations ni ralentissements, où le rapport durée d'histoire/longueur de récit resterait toujours constant3. »

Bien entendu, il n'en est rien. Tout récit comporte deux types de discours, les représentations d'actions ou d'événements (la narration) et les représentations d'objets ou de personnages (la description) :

La narration s'attache à des actions ou des événements […], et par là même elle met l'accent sur l'aspect temporel et dramatique du récit ; la description au contraire, parce qu'elle s'attarde sur des objets et des êtres considérés dans leur simultanéité […], semble suspendre le cours du temps et contribue à étaler le récit dans l'espace4.

1 GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 123.

2 Ibid., p. 122.

3 Ibid., p. 123.

90

Les romans de Xavier-Laurent Petit reflètent cette dualité temporelle : ils comportent donc ces variations de rythme, entre les grandes articulations narratives qui s'installent sur plusieurs chapitres et quelques accélérations, ruptures temporelles et parfois même spatiales. Nous observons fréquemment un ralentissement du récit en début de roman, lors de la séquence d'ouverture par exemple, qui permet à l'auteur d'installer le suspense et le cadre de l'histoire, mais également en fin de roman, ralentissement qui une nouvelle fois, retarde le dénouement et accroit la tension narrative.

De fait, le rythme narratif satisfait deux pulsions juvéniles contradictoires : «une envie frénétique d'arriver en bout de course pour savoir1 » et « le désir que l'histoire se poursuive indéfiniment2. »

Parmi les quatre formes fondamentales du mouvement narratif identifiées par Genette3, certaines servent mieux l'attente juvénile du dénouement que d'autres. Et chez Xavier-Laurent Petit, deux procédés apparaissent comme de véritables manœuvres de retardement. Des pauses descriptives aux rôles explicatif ou symbolique (portraits, descriptions d'habillement, d'hébergement…) laissent deviner un ralentissement maximal sans toutefois arrêter le temps de l'histoire puisque le personnage observe, réfléchit, commente… Des scènes aussi, le plus souvent dialoguées, tendent à faire coïncider le temps du récit et celui de l'histoire, créant ainsi un incontestable effet de réel. « C'est à partir du dialogue que le personnage commence à exister, acquiert une véritable présence4. »

Roman à la construction originale, Fils de guerre présente une double narration articulée autour du témoignage fictif de Jozef, enfant soldat de douze ans. Le narrateur rencontre le jeune réfugié, alors soigné dans un camp, et retranscrit les conversations qu'il a eues avec lui. Cette histoire, dévoilée a posteriori à la façon d'un puzzle, repose sur l'alternance d'un récit écrit à la première personne (les enregistrements de Jozef qui

1 OTTEVAERE-VAN PRAAG Ganna, Le roman pour la jeunesse, Berne, Peter Lang, 2000, p. 116.

2 Ibid.

3 GENETTE Gérard, Figures III, op. cit., p. 129.

91

emploie le passé) et d'un narrateur non identifié utilisant le présent. Chaque enregistrement relève donc du discours oral, alors que le chapitre suivant nous livre un récit plus littéraire venant combler les blancs de l'histoire racontée par le jeune garçon. La structure narrative se prête ainsi à la forme du témoignage, mêlant habilement souvenirs racontés et interventions du narrateur externe. Ce dernier s'affiche alors comme le garant du réel : en ayant recours à l'enregistrement, il accentue la véracité des propos tenus. Ce pacte d'écriture, tout en engendrant un effet de distanciation, entretient malgré tout l'illusion de réel et fait de Jozef un personnage focalisateur en tous points vraisemblable. Dans ce roman, la tension entre réalité et fiction nous semble par conséquent tout particulièrement perceptible. L’effet de fiction apparaît lié notamment à la façon dont le narrateur intervient dans la narration :

L'histoire de Jozef est construite telle qu'il me l'a livrée : à la façon d'un puzzle. Certains passages sont de simples retranscriptions de ces enregistrements, mais à d'autres moments, les événements ne s'emboîtant plus, il m'a fallu inventer à partir du peu qu'il m'avait confié1.

Alors que l'effet de réel vise l'adhésion du lecteur à la réalité du récit, cette intervention nous plonge dans l'univers de la fiction, d'où un certain paradoxe entre les mensonges du roman et les vérités qu'il transmet. Pourtant, il nous semble qu'assumer les artifices fictionnels du roman ne dissipe ni la vraisemblance du personnage, ni celle du récit. Bien au contraire, le témoignage de Jozef, même fictif, n'en est pas moins universel et bouleversant. Oscillant sur une double temporalité, Fils de guerre enchaîne rapidement les événements dans une progression violente et douloureuse : les enregistrements de Jozef s'étendent sur quatre mois (du 20 décembre 1995 au 24 avril 1996), alors que l'histoire s'étire sur les quatre saisons d'une année.

Pour finir, dans la plupart des romans du corpus, une ellipse entraîne une accélération maximale en fin de récit, transformant presque le dernier chapitre en épilogue. Ainsi, dans L'oasis, Elmir raconte sa vie à Timimoun dans une lettre à son

92

amie Naïa et Adriana revient au Mexique chercher sa petite sœur dans Les yeux de Rose

Documents relatifs