• Aucun résultat trouvé

1. CHAPITRE PREMIER : LA PHILOSOPHIE POUR LES ENFANTS

1.6 Émergence et contribution du processus créatif dans la recherche philosophique

1.6.2 La transformation

Lors d'une recherche philosophique menée en communauté, il arrive que les participants laissent bien des croyances, des idées et des certitudes derrière eux. Tous et toutes ont la permission de changer de perspective, de prendre conscience qu‘il existe de nombreuses possibilités là où ils n‘en voyaient que quelques-unes, voire une seule. « The community of inquiry is a safe environment in which each child is encouraged to transform herself himself for the better129 ». Les membres d‘une communauté de recherche philosophique

127 Rappelons que dans la pratique de la philosophie en communauté de recherche pensée par Lipman, les

participants ont l‘opportunité de penser librement à la question qu‘ils aimeraient poser. En début de séance, ils discutent entre eux de ce qui a retenu leur attention dans le texte lu en groupe et ils formulent des questions portant sur ces éléments d‘intérêt. Cette étape fait appel à l‘étonnement des participants et elle leur permet d‘initier une recherche qui est la leur, qui est pour eux pleine de sens.

128 Si l‘étonnement et l‘émerveillement s‘associent à la pensée créative par leur désir de sens, nous pourrions associer à la pensée critique le doute, c‘est-à-dire le sentiment que les choses n‘apparaissent pas comme elles sont en réalité. Le doute est guidé par un désir de vérité.

129 Sharp, A.M., « The Educative Value of Childhood Friendships », Studies in Philosophy for Children :

56

peuvent profitent de cet environnement sécuritaire – et sans évaluation – pour jouer avec les idées, explorer, se transformer. Lorsqu‘ils prennent la parole, c‘est pour partager leur pensée avec les autres. Cette pensée pourra être transformée, laissée intacte ou renforcée par le point de vue d‘autrui. Elle pourra servir à alimenter la réflexion, disparaissant elle- même au profit des autres pensées, comme certaines questions rhétoriques qui ne servent qu‘à provoquer la pensée.

Avant de devenir matière première à transformer, les croyances, les points de vue et les pensées abandonnés par les participants étaient des idées vivantes, occupant une place importante dans leur esprit. Par exemple, des élèves d‘environ onze ans choisissent d‘enquêter sur la question « Qui devrait diriger les écoles? ». Pour plusieurs, avant de se poser cette question, il va de soi que c‘est leur directrice qui dirige l‘école, car c‘est ainsi. Et comme c‘est ainsi, l‘école fonctionne selon des règles qui ne peuvent pas changer. Cette perspective domine le paysage de leur pensée et elle est importante, car elle signifie qu‘il vaut mieux accepter ces règles sans résister. En posant cette question, les élèves ouvrent la porte à d‘autres manières de voir : à quoi ressemblerait une école avec une autre direction ? Une école dirigée par des vedettes de cinéma ? Des policiers ? Des enfants ?

Cependant, il est difficile de transformer certaines pensées lorsqu'elles ne sont pas authentiques. Si les participants d‘une communauté ne s‘engagent pas dans une recherche, qui leur reste étrangère, ils peuvent dire toutes sortes de choses secondaires, ou qu‘ils ne pensent pas130

. Une recherche philosophique authentique commence dans l‘étonnement : « If philosophy begins in wonder, it can also be said that it emerges as reflective dialogue whose insights then infuse and enrich living131 ». S‘ensuit un processus de transformation ayant un véritable impact sur l‘existence, alimenté par le partage d‘idées vraies et importantes. C‘est la pensée créative en recherche de sens qui motive les participants à partager leur pensée, et ce, malgré leur timidité, ou leur peur de

130 Nous évoquons ici un cas similaire à celui mentionné plus haut : si la question n‘a pas été formulée et choisie par les participants, elle n‘est pas la leur et la recherche qui s‘ensuit ne s‘inscrit pas d‘emblée dans une recherche de sens appartenant aux membres de la communauté de recherche philosophique.

131 Lipman, M. « On Writing a Philosophical Novel », Studies in Philosophy for Children : Harry

57

révéler certaines parts de leur identité132. Ils le font parce que quelque chose a suscité leur intérêt personnel et qu‘ils désirent l‘obtenir. Ils expriment leur pensée pour être aidés à y aménager de nouvelles compréhensions d‘eux-mêmes, d‘autrui et du monde133

. Dans notre exemple où des élèves se demandent « Qui devrait diriger les écoles ? », l‘enjeu derrière cette question n‘est peut-être pas de savoir si une autre personne que leur directrice serait plus apte à diriger leur école. L‘enjeu est peut-être de savoir si les autres élèves pensent aussi que l‘enseignant de sciences ferait un bon directeur ou de rêver à un monde où les enfants n'auraient pas d‘école. Quel que soit l‘enjeu ayant motivé le choix de la question, c‘est pour celui-ci que les participants s‘engagent dans la recherche, disent ce qu‘ils pensent et écoutent avec attention les dires des autres. Certaines idées peuvent être très puissantes, même révolutionnaires, alors que d‘autres ont une influence plus subtile. « Whatever one experiences as significant should become part of that person, and reflection is a means of determining that significance134 ». Les idées répondant au besoin de sens des enfants sont assimilées par ces derniers, par la pensée, ce qui nous amène à traiter du rôle de la pensée créative dans leur formation personnelle.