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B. Le transfert des savoir-faire dans une nouvelle situation équipée

Agir en distribuant la cognition entre le présent des situations et les connaissances intériorisées de l'individu

II. B. Le transfert des savoir-faire dans une nouvelle situation équipée

II.B.1. La notion d'intuition dans l'usage des objets.

Concernant les dispositifs quotidiens, on entend souvent parler d'interface intuitive, conviviale qui s'entend souvent comme l'absence de nécessité de connaissances spécifiques ou de pré requis pour utiliser les objets, comme si cela allait de soi, comme si leur mode opératoire s'imposait par lui-même ou était naturel. Les variantes pour désigner ce phénomène ne manquent pas : naturalité d’utilisation ou expérience directe2. Telle une opération du saint esprit qui guiderait l’utilisateur dans une situation qu’il ne connaît pas, l’intuition se charge d’un caractère irrationnel3 dans le sens commun. Et cela se retrouve dans les discours d’accompagnement concernant les dispositifs et les équipements de l’automobile4. La notion d’intuition pourrait bien être l’ultime forme d'enchantement employée par les industriels dans leurs discours. Aussi nous proposons de déconstruire l'intuition s’agissant des modes opératoires des dispositifs.

1 NORMAN, « A time for standards », 2006. www.jnd.org

2 Notice du logiciel de navigation Mio Map v3.3, avril 2007, v.1.00.

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Intuition vient du latin intuitio, issu du verbe intueri qui signifie regarder. Ce mot revêt deux acceptions. Premièrement, au sens de perception immédiate de la vérité, sans l'aide du raisonnement. Deuxièmement, la faculté de prévoir, de deviner. Le petit Larousse, 2002.

Si on ne s'en tient qu'à l'étymologie, on remarque que l'intuition a aussi à voir avec l'affordance qui lie le voir et le faire. Faire preuve d'intuition c'est savoir regarder l'environnement, au sens où l'information est contenue dans le monde, disponible au regard de l'individu, et sert de déclencheur à l'action du fait que la représentation de l'action est lisible dans l'objet ou une partie de celui-ci (bouton, molette, afficheur). A ce titre, l'intuition délaisse son caractère irrationnel pour s'ancrer dans le présent de la situation et dans le passé présentement réactivé.

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Ainsi la documentation (2003) de Windows XP Media Center annonce : « aucun apprentissage n’est nécessaire ». Ce que reprend la presse écrite : « par le biais de menus interactifs qui s’apprivoisent de manière intuitive, sans nécessité de connaissances informatiques préalables », article « La maison digitale : utilitaire et ludique », Le Figaro, 12/10/04. La prise en main des systèmes de navigation GPS, sur les sites Internet des constructeurs, se décrit en termes d' «apprentissage aisé et quasi immédiat » (Renault Carminat) ou encore « sans aucun apprentissage » (Citroën NaviDrive). Les internautes, une population déjà socialisée aux techniques ?

Pour S. Proulx, les dispositifs ont manqué un tournant dans lequel « les machines et les logiciels seraient certainement de plus en plus ‘conviviaux’ i.e. que leurs usages seraient tellement simplifiés que les utilisateurs n’auraient en quelque sorte aucun besoin d’acquérir une compétence technique en matière de manipulation d’ordinateurs »1. Et l’auteur de constater qu’il n’en est rien et que les utilisateurs se trouvent face à un « manque criant de connaissances techniques minimales en matière de communication téléinformatique »2. Nous avons cependant nuancé cela en avançant qu’en se construisant dans la pratique des objets, la « culture numérique » donne accès à des représentations et des connaissances opératoires sur les dispositifs. Les limites de ce mécanisme résident dans l’inégale diffusion dans la société de ces dispositifs et par là même des connaissances mobilisant des pratiques individuelles et un réinvestissement dans d’autres cadres techniques, sans omettre de rappeler la perpétuelle fuite en avant des technologies qui implique une remise à jour fréquente des connaissances. Alors que les concepteurs dressent un tableau idyllique dans lequel les TIC ont une facilité d’usage, D. Boullier écorne cette image en disant que « là où l’on vante l’intuition, on constate qu’il faut encore plus d’apprentissage »3, apprentissage des fonctionnalités des logiciels par exemple mais aussi des modes opératoires. Alors que les techniques se multiplient et n’ont de cesse de se complexifier, le marketing et la publicité nous promettent une facilité d’usage et une simplification des modes opératoires. Encore du bluff technologique ?

Dans son travail D. Norman soumet la notion d'intuition à un examen critique qui l’amène à l’inscrire dans la connaissance du monde : « intuition is simply a state of subconscious knowledge that comes about after extended practice and experience. With minor exceptions, things that we call intuitive are simply skills that we have practiced for so many years that we no longer recall how difficult it was to learn them in the first place»4. L’intuition ne se joue pas au présent de la situation et n'a de sens que si elle est aussi rattachée au passé de l'individu marqué par des moments d’acquisition dans une trajectoire d’usages, c'est-à-dire à l’intériorisation de connaissances dans la sphère considérée et qui ont été routinisées. Le transfert de schèmes opératoires est un exemple de la façon dont l'intuition s'exerce s’agissant d’aborder de nouveaux objets techniques ayant un cadre de référence connu.

1 PROULX, op. cit., 2001, p.142.

2 Ibid., p.142.

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BOULLIER, op. cit., 2005, p.1.

4 NORMAN, op. cit., 1998, p.182. Tel est le cas de l'écriture (rédaction et lecture), de faire un nœud, de visser une vis, et bien entendu de l'apprentissage de la conduite automobile. Traduction personnelle : « L’intuition est simplement un état de savoir subconscient qui vient après une pratique éprouvée et de l’expérience. A de rares exceptions, les choses que nous appelons intuitives sont des compétences que nous avons pratiqués pendant tellement d’années que nous ne nous souvenons plus combien cela fut difficile de les apprendre au début ».

Dans la théorie de l'action de B. Lahire, on retrouve les implications présentes dans la définition de l’intuition donnée par D. Norman, tant sur l'aspect pré conscient de l'action que sur les apports de l'expérience. B. Lahire dresse un cadre d'interprétation des situations présentes embrassant le passé affirmant que : « c'est dans la capacité à trouver –pratiquement et globalement et non intentionnellement et analytiquement- de la ressemblance entre la situation présente et des expériences passées incorporées sous forme d'abrégés d'expérience, que l'acteur peut 'mobiliser' les compétences' qui lui permettent d'agir de manière plus ou moins pertinente »1. L’auteur emploie lui-même le terme « intuition » pour expliquer la relation qui s'établit entre deux situations dans deux temps (le passé et le présent) ayant une ressemblance et pour lesquelles l’utilisateur établit une analogie. Or l’intuition n’est pas perçue comme telle, il s’agit juste de « l'impression d'un déjà-vu ou d'un déjà-vécu »2. Et ce qui pose problème, c’est la mobilisation non consciente de ces savoir-faire dans une situation ressemblante.

L’intuition est évoquée dans l’approche pragmatique de C. Bessy et F. Chateauraynaud autour de la notion d’expertise. Ceux-ci rappellent l’intérêt d’inclure « les processus d’apprentissage qui créent la ‘familiarité’ avec les choses »3. Autrement dit c’est l’apprentissage et l’expérience qui participent à la formation de l’intuition dans les activités humaines. Aussi F. Chateauraynaud définit l’intuition comme « une perception qui dure au-delà du contexte de sa prise de forme mais qui n’a pas encore trouvé son espace de calcul »4. L’intuition, en reliant des éléments intériorisés à des éléments de la nouvelle situation, permet l’inférence. De ce point de vue, la prise en main de nouveaux instruments s’opère en étant imprégnée de différents schèmes d'action liés à telle ou telle situation instrumentée. C’est ainsi qu’un nouvel objet va être assimilé à des schèmes déjà constitués5. Ainsi opère l’intuition.

II.B.2. Les connaissances intériorisées comme ressources pour faire face aux nouvelles situations. Nous avons avancé plus haut que le « stock de connaissances » se compose de différents savoirs acquis au travers d’instances de socialisation très diverses. La culture numérique se construit au gré des pratiques des TIC et donne accès à des savoir-faire et à des représentations mentales, c’est ce qui amène à parler abusivement d’intuition pour décrire une prise en main des objets dont la signification est perçue instantanément. Aussi, nous examinons maintenant les mécanismes de mobilisation des acquis pour agir dans d’autres cadres équipés.

1 LAHIRE, op. cit., 1998, p.81.

2 Ibid., p.82.

3 BESSY, CHATEAURAYNAUD, « Les ressorts de l’expertise », 1993, p.163.

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CHATEAURAYNAUD, op. cit., 1997, p.122

Commençons en évoquant les principes généraux sur l’acquisition et l’intégration de savoirs à d’autres secteurs de la vie quotidienne, processus que P. Berger et T. Luckmann définissent ainsi : « le stock social de connaissances m'approvisionne ultérieurement en schémas typificatoires requis pour les principales activités de la vie quotidienne »1. En effet, la vie quotidienne comporte différents secteurs dont certains avec lesquels j’entretiens une proximité grâce à la mise en place de routines et d’autres secteurs qui se révèlent sous un jour problématique. Et les auteurs d’illustrer cela avec un exemple concernant la mécanique automobile s’agissant de réparer une voiture allemande alors que l’on est spécialiste des voitures américaines. Ce cas de figure soulève des problèmes qui n’ont pas été traités jusqu’alors par l’individu et n’ont pas encore été routinisés. Néanmoins ils appartiennent à un même secteur de la vie quotidienne (la mécanique), ce qui rend possible le passage de l’un à l’autre. Dans ce processus, « la réalité de la vie quotidienne cherche à intégrer le secteur problématique à ce qui est déjà non problématique »2. Ce sont les routines de la vie quotidienne, le « sens commun » disent-ils, qui contiennent des éléments, des « instructions » permettant de traiter l’événement ou la situation comme un problème.

Ainsi la socialisation et les connaissances relatives à un secteur donnent les clés pour comprendre le problème rencontré faisant que cela ne remet pas en cause ce que je sais de la réalité de la vie quotidienne. Il s’agit de s’ajuster à cette nouvelle situation à partir de ce que je connais. Les schèmes d'utilisation ont une dimension temporelle et sociale comme l’évoque la notion de stock social de connaissances employée par P. Berger et T. Luckmann3 qui y attachent l’idée d’une accumulation et d’une transmission générationnelle. C’est ce dont fait état D. Norman4 en évoquant le caractère cumulatif du savoir incarné dans les artefacts cognitifs et sa transmission aux générations suivantes. Le développement historique des schèmes s’opère au travers des différentes technologies utilisées.

G. Simondon introduit l’idée d’ajustement de l’humain à la machine dans le cadre des outils de production en proposant l’association entre des formes techniques intériorisées appliquées à l’objet utilisé. Ce que l’auteur formule de la façon suivante : « l’utilisateur doit posséder en lui des formes pour que, de la rencontre de ces formes techniques avec les formes véhiculées par la machine, et plus ou moins parfaitement réalisées en elle, surgisse la signification, à partir de

1 BERGER, LUCKMANN, op. cit., 1986, p.38.

2 Ibid., p.38.

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Ibid., p.61.

laquelle le travail sur un objet technique devient activité technique et non simple travail »1. L’objet est perçu à partir des informations qu’il emporte et que l’utilisateur est en mesure de comprendre pour au moins les mettre en œuvre et tenter un ajustement avec la singularité de l’objet. Pour G. Simondon, le couplage entre l’utilisateur et la machine nécessite que celui-ci « possède en lui les formes techniques »2 permettant l’ajustement dans l’activité technique. P. Flichy étend ce mécanisme aux objets techniques en y attachant cet ajustement à « une culture technique suffisante »3 de l’utilisateur. Baignant dans un monde comprenant des technologies pour lesquelles il a acquis certains savoir-faire, parfois même non sans difficultés, l’utilisateur met en œuvre ceux-ci espérant ainsi qu’ils s’ajustent aux modes opératoires de la nouvelle la machine. Les conventions sont un exemple de ce mécanisme en ce qu’elles sont issues d’un cadre socio technique de référence et elles sont ensuite élargies à d’autres objets. Sous cet angle, l’intuition n’est que la réactivation de connaissances familières dans un environnement similaire.

La notion de « schème d'utilisation » propose une cohabitation, dans le cours d'une situation nouvelle, du présent et du passé pour orienter l'action. Issue des travaux du psychologue J. Piaget, la notion de schèmes a trait aux schémas mentaux et correspondent à la structure d'une action et de ce fait ne sont donc pas directement perceptibles car seule l'action l'est. La difficulté est alors pour le chercheur de mettre en évidence les schèmes mobilisés dans le cours d'une action. Les schèmes se forment dans la répétition et il est possible d'en inférer « l'existence à partir de régularités dans les comportements de la personne »4. Les schèmes évoluent au cours de l'existence de l'individu, se transformant, se diversifiant, gagnant en généralité ; mais ils sont profondément ancrés dans la relation à l'environnement et servent notamment à l'adaptation à celui-ci. Cette notion est largement présente dans le travail de P. Rabardel qui définit un schème d'utilisation comme « une organisation active de l'expérience vécue, qui intègre le passé et qui constitue une référence pour interpréter des données nouvelles »5. De même, cette notion se retrouve dans le travail de B. Lahire pour qui « face à chaque situation 'nouvelle' qui se présente à lui, l'acteur va agir en 'mobilisant' des schèmes incorporés appelés par la situation »6 . Il y a donc une actualisation des schèmes intériorisés à l’aune des éléments de la situation.

L’évolution des schèmes s’opère au travers de deux phénomènes, l'assimilation et l'accommodation, qui pour P. Rabardel, sont complémentaires et constitutifs des processus

1

SIMONDON, « Du mode d’existence des objets techniques », 1958, p.250

2 Ibid, p.248.

3 FLICHY, op. cit., 1995, p.139.

4 TOURRETTE, GUIDETTI, « Introduction à la psychologie du développement », 1998, p.12.

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BÉGUIN, RABARDEL, « Concevoir pour les activités instrumentées », 2001, p.45.

d’instrumentation1. D’abord, l’assimilation correspond à « l’intégration d'objets aux schèmes d'action de l'individu »2, autrement dit il s’agit de l'intégration d'un élément extérieur aux structures mentales et opératoires. L’assimilation peut prendre plusieurs formes, l’une d’entre elles a attiré notre attention, il s’agit de « l'assimilation généralisatrice », configuration dans laquelle un même schème est appliqué à des objets différents. C’est cette définition du schème que retient P. Rabardel en psychologie cognitive faisant que lorsque nous reconnaissons dans un objet ou dans une situation une ressemblance, une proximité d’apparence ou de situation, ceux-ci sont assimilés par les schèmes et se voient ainsi attribués les mêmes significations. Ensuite, l’accommodation désigne un processus de modifications dans lequel l’organisme s’adapte à son milieu. Faisant suite à l’assimilation de schèmes, l’humain « modifie ces schèmes pour les ajuster aux données nouvelles »3. Dans le cas de l’action avec les objets, « les actions et procédures résultant de la mise en œuvre d’un schème familier peuvent se voir attribuer une nouvelle signification en cours d’exécution et ainsi évoquer et être réinterprétés en terme d’un autre schème familier »4. L’accommodation ouvre donc sur d’autres assimilations avec d’autres situations ou avec d’autres catégories d’objets.

Dans une perspective dispositionnelle, C. Fluckiger entend saisir la pluralité des contextes dans les pratiques de sociabilité instrumentée des collégiens. Il montre comment l’informatique est un instrument servant à entretenir les relations de groupe et met en évidence les propriétés de l’outil mobilisées dans l’activité communicationnelle. Il relève que « si l’utilisation des Skyblogs ne nécessite pas de compétences particulières, pour des collégiens souvent habitués à créer des comptes de messagerie ou de chat, l’usage des blogs peut en retour développer de nouveaux savoir-faire en suscitant de nouveaux usages »5. Cela renvoie au processus d’instrumentalisation que P. Rabardel définit comme « un processus d’enrichissement des propriétés de l’artefact par le sujet. Un processus qui prend appui sur des caractéristiques et propriétés intrinsèques de l’artefact, et leur donne un statut en fonction de l’action en cours et de la situation »6.

Comme le font apparaître les psychologues, la notion de schèmes comprend une perspective historique résultant d'une construction dynamique, qui ne peut découler du seul processus de développement de l'individu, ce qui intéresse aussi le sociologue. Pour P. Rabardel, « les

1

RABARDEL, op. cit., 1997, p.144.

2 TOURRETTE, GUIDETTI, op. cit., 1998, p.12.

3 Ibid., p.13.

4 RABARDEL, op. cit., 1997, p.143.

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FLUCKIGER, op. cit., 2006, p.124.

schèmes d'utilisation ont à la fois une dimension privée et une dimension sociale »1 . Les schèmes constituent une partie du stock social de connaissances des individus, ce dont la sociologie des usages peut rendre compte. Les schèmes mis en œuvre dans la découverte opératoire font partie de l'étape constitutive de l'usage, ce que l'on peut nommer acquisition de savoir-faire opératoires. Ainsi comme le rappelle P. Rabardel, « c'est ce caractère social des schèmes d'utilisation qui rend possible l'invention et la diffusion d'artefacts au sein d'une même collectivité, et qui rend interchangeables les artefacts appartenant à une même classe »2. Les individus se meuvent dans un environnement où toute l’action ne se joue pas au présent mais se joue aussi en relation avec les savoirs ayant été intériorisés.

Cette dimension est essentielle dans la sociologie des régimes d’engagement de L. Thévenot, notamment celui de l’engagement familier qui est à même de décrire le processus de transfert de savoirs dans un nouvel environnement équipé. L’auteur fait de l’ajustement une dimension essentielle dans le rapport au monde humain et non humain. L’engagement dans une nouvelle situation équipée comportant un cadre de référence familier est un cas de figure intéressant dans l’exercice de la coordination. L’appréciation se porte sur des objets généraux au travers d’un « jugement sur l’action qui repose sur des attentes conventionnelles permettant de dépasser les contingences de la situation »3. Il s’agit alors d’opérer un rapprochement entre les éléments présents dans la situation et les éléments intériorisés. Dans le cadre du régime de la familiarité, l’acteur se trouve « dans une intimité distribuée sur ses proches entours, selon une disposition personnelle qui incline à agir en s’appuyant sur les choses et lieux familièrement disponibles »4. Ainsi la familiarité que l’acteur entretient avec le monde se construit au gré de ses pratiques.

Une situation où l’ajustement s’avère problématique est « une situation où l’action habituelle ne réussit pas à faire advenir ce que l’acteur attend [...] Elle résulte de l’écart qui se crée entre une situation espérée et une situation déterminée »5. C’est ce que L. Thévenot nomme « une épreuve » qui se définit comme la « confrontation inquiète entre une conception préalable de l’acte et son déroulement effectif [qui] conduit à une évaluation qui apaise pour un temps cette inquiétude »6. Face à l’épreuve, l’acteur cherche à identifier la cause du problème et entreprend des « réaménagements qui peuvent conduire aussi bien à une modification de [ses] gestes qu’à

1

BÉGUIN, RABARDEL, op. cit., 2000, p.45.

2 Ibid., p.45.

3 THÉVENOT, op. cit., 1990, p.59.

4 THÉVENOT, op. cit., 2006, p.245.

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GAUTHIER, op. cit., 2005, p.89.

une transformation de [son] environnement »1. Il reconsidère son plan en cherchant à opérer un ajustement, « ce qui exige une attention centrée sur des ressources et des repères conventionnels qui permettent la comparaison entre la situation rencontrée et sa représentation fonctionnelle »2. C’est ainsi que sont mobilisés les savoir-faire partagés collectivement dans une sphère donnée comme autant d’ « appuis conventionnels » pour agir de façon appropriée dans la situation.

Au-delà de la dimension opératoire et cognitive, l’acquisition de savoir-faire s’inscrit aussi dans le corps de ceux qui utilisent les techniques comme A. Leroi-Gourhan3 le soutient en développant l’idée que les outils et le corps se situent dans le prolongement des capacités cognitives de l’être humain. De nombreux auteurs se sont inscrits dans la perspective introduite par A. Leroi-Gourhan en soulignant que la maîtrise des instruments passe par un « faire-corps » comme le rappelle P. Rabardel : « l’instrumentalisation de l’artefact est ainsi complétée par une instrumentation de soi »4. De même pour M. Akrich pour qui, « ce ne sont pas les seules capacités cognitives de l’utilisateur, en prise directe sur une similitude formelle, qui permettent d’assurer le bon fonctionnement du dispositif avec son utilisateur, mais un mixte qui associe capacités cognitives et ajustement corporel »5. Ne se résumant pas seulement à l’acquisition de